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Le maintien de l’accord sur les céréales en mer Noire atténue temporairement la crise alimentaire

Un bateau transportant des céréales en mer Noire
Selon les spécialistes, l’accord est crucial pour enrayer la crise alimentaire mondiale, attisée par la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid-19 et les chocs climatiques répétés. Copyright 2022 The Associated Press. All Rights Reserved.

Un accord autorisant les exportations de céréales depuis les ports ukrainiens, essentiel pour atténuer la crise alimentaire, a été prolongé malgré les menaces de Moscou de s’en retirer. Selon l’ONU, les exportations d’engrais russes, bloquées en raison des effets des sanctions occidentales, doivent désormais être débloquées.

Les Nations unies ont annoncé jeudi que l’accord permettant à l’Ukraine d’exporter ses céréales à travers la mer Noire serait prolongé de quatre mois.

L’Initiative céréalière de la mer NoireLien externe, négociée par l’ONU et la Turquie, avait été conclue le 22 juillet, après de longs mois de négociations en coulisses. L’accord couvrait une période initiale de 120 jours (jusqu’au 19 novembre) à l’issue de laquelle il serait automatiquement prolongé, sauf décision contraire de la Russie.

Selon les spécialistes, l’accord est crucial pour enrayer la crise alimentaire mondiale, attisée par la guerre en Ukraine, la pandémie de Covid-19 et les chocs climatiques répétés. La Russie est le premier exportateur mondial d’engrais, et avec l’Ukraine, un important exportateur de céréales. La hausse des prix des denrées alimentaires et des engrais étrangle de nombreux pays d’Afrique et du Moyen-Orient qui dépendent fortement des importations.

«La prolongation de l’accord va augmenter l’offre de produits alimentaires et d’engrais sur les marchés mondiaux et va ainsi limiter les sources d’incertitude, ce qui devrait entraîner une baisse des prix pour tout le monde», explique Monika Tothova, économiste à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). «Cela permettra également aux agricultrices et agriculteurs de percevoir un revenu, ce qui leur permettra de planter la prochaine récolte», ajoute-t-elle.

La faible offre mondiale et les prix élevés des engrais font craindre à l’ONU que la crise alimentaire actuelle ne s’aggrave l’année prochaine, provoquant la famine dans les pays les plus vulnérables tels que la Somalie, le Yémen ou l’Afghanistan. L’accord sur les céréales de la mer Noire a jusqu’ici contribué à une baisse des prix alimentaires, après que ceux-ci eurent atteint un niveau record en mars, selon l’indice des prix alimentairesLien externe de la FAO, qui reflète les prix alimentaires à l’international.

Depuis que le premier cargo a quitté l’Ukraine, le 3 août, les registres de l’ONULien externe indiquent que quelque 11,2 millions de tonnes de céréales et d’autres denrées alimentaires, principalement du maïs et du blé, ont quitté les ports ukrainiens. Les principales destinations de ces navires ont été l’Espagne, la Turquie et la Chine, bien que certains navires – y compris des bateaux affrétés par le Programme alimentaire mondial (PAM) – aient navigué vers des pays confrontés à des crises humanitaires comme le Yémen, le Soudan ou l’Afghanistan.

Moscou s’est plaint à plusieurs reprises que le volet russe de l’accord négocié sous l’égide de l’ONU ne remplissait pas ses promesses. Le jour de sa signature, un accord parallèle entre la Russie et l’ONU a été conclu. Celui-ci engage les Nations unies à soutenir les exportations de céréales et d’engrais russes, qui restent bloquées en raison des effets secondaires des sanctions économiques imposées à la Russie. Il a été conclu pour une période de trois ans.

«Faire du commerce en Russie est très difficile. Car les négociants sont réticents à y aller, la logistique est très compliquée, et si toutefois ils le voulaient, il faut trouver des banques qui acceptent de financer ça, il n’y en a aucune en Suisse. Et puis c’est pareil pour les assureurs et les armateurs», explique Florence Schurch, secrétaire générale de l’Association suisse de négoce de matières premières et du transport maritime (STSA) à Genève, ville qui abrite plusieurs des principaux négociants en matières premières. «Les céréaliers hésitent à prendre le risque réputationnel de faire du commerce avec la Russie», ajoute-t-elle.

La prolongation de l’accord a été une bonne nouvelle pour les négociants en matières premières, qui ont pu exporter plus de la moitié des 22 millions de tonnes de céréales qui étaient restées bloquées dans des silos près des ports ukrainiens après le début de la guerre. Kiev avait espéré que l’accord pourrait être renouvelé pour une année supplémentaire, plutôt que pour quatre mois, afin d’atténuer les incertitudes.

«L’incertitude est liée à la guerre. Que ce soit quatre mois ou une année, de toute manière, les négociants vivent au jour le jour. Même s’il avait été prolongé d’un an, personne ne peut garantir qu’il tienne encore dans une semaine. Les choses peuvent changer tellement rapidement», indique Florence Schurch.

Céréales et engrais

Fin octobre, Moscou a suspenduLien externe sa participation à l’accord de l’ONU sur les céréales après avoir affirmé que des drones ukrainiens avaient attaqué sa flotte de la mer Noire en Crimée. Elle a toutefois repris sa coopération quelques jours plus tard, les Nations unies, l’Ukraine et la Turquie ayant décidé de continuer à appliquer l’accord et à autoriser la circulation des navires.

Dans une interview accordée mercredi au quotidien Le TempsLien externe, le représentant permanent de la Russie auprès de l’ONU à Genève, Gennady Gatilov, a une nouvelle fois exprimé le mécontentement de son pays face à cet accord. Selon lui, les exportations alimentaires ukrainiennes ont surtout servi à financer l’armement de Kiev, et non pas à nourrir les personnes affamées dans le monde. Entre-temps, la Russie a été «laissée de côté», a-t-il ajouté.

Dans le cadre de cet accord, la Russie exige de pouvoir exporter de l’ammoniac, un ingrédient essentiel des engrais, via un pipeline vers la mer Noire. Selon l’agence de presse Reuters, les négociations avec la Russie sur cette question sont en cours.

Le ministère russe des Affaires étrangères a confirmé dans une déclarationLien externe jeudi que Moscou a observé certains progrès dans le traitement de ses reproches concernant ses exportations de céréales et d’engrais. Il a déclaré s’attendre à ce que les questions restantes soient traitées au cours des quatre prochains mois de l’accord.

La question de savoir pourquoi Moscou ne s’est pas retiré de l’accord qui lui apparaît injuste reste entière. «La Russie a peut-être reçu des assurances discrètes que les Nations unies et les pays européens feront pression pour lever les blocages des exportations d’engrais russes, ce qui a toujours été censé faire partie de l’accord global», déclare Richard Gowan, directeur des Nations unies à l’International Crisis Group, un groupe de réflexion à New York. Selon lui, les pays occidentaux ont également intérêt à ce que les engrais russes soient disponibles sur le marché, car l’agriculture mondiale en dépend.

Diplomatie onusienne

Jeudi, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et Rebeca Grynspan, secrétaire générale de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), ont tous deux déclaré que la prochaine étape consisterait à lever les obstacles aux exportations russes de denrées alimentaires et d’engrais.

De discrètes négociations ont eu lieu vendredi dernier au siège de l’ONU à Genève entre une délégation de haut niveau menée par le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Vershinin, et de hauts responsables onusiens. Ils ont discuté des «mesures prises pour faciliter les paiements, les assurances maritimes et l’accès aux ports de l’UE pour les céréales et les engrais».

Mais il y a une autre raison qui pourrait avoir incité la Russie à ne pas quitter l’accord sur les céréales de la mer Noire. «Je ne pense pas que la Russie veuille donner l’impression qu’elle affame les pays du Sud», indique Richard Gowan.

Depuis le début de la guerre, Moscou a bénéficié du soutien tacite de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, qui se sont abstenus lors de votes clés à l’ONU concernant l’agression russe. «Si la Russie mettait fin à l’accord maintenant, elle pourrait subir un sérieux contrecoup diplomatique de la part des pays du Sud», déclare Richard Gowan, qui ajoute que «maintenir l’accord en vie est un moyen pour Vladimir Poutine de renforcer sa relation de travail avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, dont le soutien lui est indispensable sur la scène internationale».

Texte édité par Virginie Mangin

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