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De l’utilité des assemblées citoyennes dans la lutte pour le climat

Activiste avec une banderole devant le Palais de Westminster
Des panels citoyens doivent-ils déterminer la politique climatique? C’est ce que demande un activiste du groupe Extinction Rebellion avec une banderole devant le palais de Westminster à Londres, à l’automne 2022. Keystone / Tolga Akmen

Le politologue Rikki Dean a mené des recherches sur les assemblées citoyennes contre la crise climatique. Selon lui, les démocraties ne peuvent pas faire face au réchauffement planétaire au moyen de tels panels uniquement.

swissinfo.ch: Lors des Journées de la démocratie à Aarau, vous discuterez du thème «Moins ou plus de démocratie dans la protection du climat». Y a-t-il un argument défendant moins de démocratie?

Rikki Dean: À mon avis, il n’y a pas de bon argument pour moins de démocratie et le totalitarisme écologique représente un danger en réponse au défi climatique. Dans une situation d’urgence, même les démocraties suspendent les processus démocratiques ordinaires. Nous en avons fait l’expérience lors de la pandémie de Covid-19.

La Chine est un régime non démocratique que certaines personnes trouvent intéressant. Se pose donc la question suivante: allons-nous réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans un cadre démocratique ou la politique en Europe prendra-t-elle une direction plus autoritaire? Il est important de réfléchir à la manière dont nous pouvons améliorer la politique climatique dans une perspective démocratique.

Der Politikwissenschaftler Rikki Dean blickt in die Kamera.
Rikki Dean mène des recherches sur les innovations démocratiques à l’Université Goethe de Francfort. Dans ses recherches, il combine la théorie de la démocratie, la théorie de l’administration publique et les sciences sociales empiriques dans le but de comprendre la gouvernance participative. Il a obtenu son doctorat à la London School of Economics. Sa thèse de doctorat Democratising Bureacracy a été récompensée par le «Richard Titmuss Prize for Outstanding Scholarship». / Uwe Dettmar

Les pays autoritaires gèrent-ils mieux le changement climatique?

Non, certainement pas. Mais nos institutions représentatives ne parviennent pas à le gérer. Les partis font toujours campagne avec l’idée qu’une bonne gouvernance signifie assurer la croissance économique et que la consommation peut augmenter indéfiniment.

Or, nous savons que la croissance nuit à l’environnement. Le régime représentatif n’a pas relevé le grand défi politico-économique des années à venir: comment construire de la légitimité démocratique pour un mode de vie qui respecte les limites écologiques?

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Certains misent sur les panels citoyens. Vous faites des recherches sur ces instruments de démocratie participative. Pourquoi un tel engouement envers ceux-ci?

En Europe, les résultats de la Convention constitutionnelle irlandaise ont été interprétés de manière à susciter un tel enthousiasme. Le panel citoyen irlandais a recommandé le mariage homosexuel et une loi libérale sur l’avortement. Lors d’un référendum, la majorité a voté dans le sens du panel.

Ce résultat progressiste dans un pays majoritairement catholique a coïncidé avec l’ascension de Donald Trump et le Brexit. Cela a inspiré beaucoup de personnes. Les panels citoyens délibératifs ont ainsi créé de l’espoir dans la gestion de la polarisation.

Mais une importante minorité a également voté contre les libéralisations. Il est très probable que l’opinion de la majorité ait changé en raison du panel citoyen. Les partis n’avaient pas changé de position auparavant, uniquement parce qu’il y avait encore un grand bloc d’électrices et électeurs conservateurs et religieux dont ils ne voulaient pas perdre les voix.

L’Assemblée et le référendum ont réussi à débloquer le système politique et à actualiser la loi conformément à l’opinion de la majorité. Mais ce n’est pas ce qui a rendu les panels citoyens si populaires: ils sont considérés comme une solution aux grands problèmes de la politique représentative, comme le populisme et la polarisation.

Vous avez participé à une étudeLien externe qui a comparé les six premières assemblées nationales sur les questions climatiques en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Écosse, en Irlande et au Danemark. Quels enseignements en avez-vous tirés?

Nous avons remis en question l’idée de ce qui est considéré comme le succès d’un panel citoyen. L’idée selon laquelle les panels ne sont efficaces que s’ils parviennent à modifier directement la politique est largement répandue.

Ç’aurait été également ma première idée.

Cela semble logique. Mais cette réflexion repose sur une idée fantaisiste de la politique. La gestion et l’élaboration des politiques sont des processus longs et complexes sur lesquels différents groupes d’intérêt ont une influence. Un seul événement avec des recommandations qui changent tout, ce n’est pas ainsi que fonctionne la politique. Nous devons être réalistes quant à l’impact des panels citoyens.

Les six assemblées pour le climat ont été intégrées dans le système politique de façons très diverses. L’assemblée danoise, par exemple, a été mise sur pied par un ministère et ne diffère pas particulièrement d’un processus de consultation habituel. Il est étrange de traiter ces organes différemment. Nous n’attendons pas des procédures de consultation qu’elles changent le débat public, et nous ne pensons pas qu’elles échouent si elles n’y parviennent pas.

L’assemblée allemande sur le climat, en revanche, n’a pas été instituée par le gouvernement, mais par la société civile. Il est déraisonnable de s’attendre à ce que les initiatives de la société civile aient une grande influence sur la ligne du gouvernement.

En Suisse, Extinction Rebellion a réclamé des panels citoyens. Pourquoi les activistes demandent-ils des débats participatifs?

Il est évident qu’Extinction Rebellion a déjà une idée claire de ce que doit être la politique climatique. Pourquoi donc ce groupe veut-il organiser un panel citoyen? Il s’agit sans doute d’une tentative de changer la politique.

Si vous êtes Extinction Rebellion et que vous défendez une direction claire en matière de politique climatique, le gouvernement peut vous rejeter en arguant que vous êtes une minorité radicale et que vous ne parlez pas au nom du grand public.

Mais, si vous organisez une assemblée de citoyennes et citoyens choisis au hasard qui affichent les mêmes revendications que vous, il est plus difficile pour les institutions d’argumenter que le peuple ne soutiendra jamais vos objectifs.

Le Centre d’études pour la démocratie d’Aarau (ZDA) organise pour la 15e fois les Journées de la démocratie. L’événement qui se tient sur une journée, malgré son intitulé, aura lieu le 30 mars prochain. Il est placé sous le signe de la crise climatique et de la démocratie.

La professeure de droit Helen Keller tiendra une conférence intitulée «Les tribunaux et la crise climatique». La professeure-assistante Hannah Werner du ZDA, Andri Heimann du ZDA également, ainsi que Karin Ingold, professeure de politique environnementale à l’Université de Berne et Rikki Dean débattront du thème suivant: «Moins ou plus de démocratie dans la protection du climat».

Cela ressemble plus à une campagne politique qu’à une innovation démocratique.

C’est intéressant. Est-ce une utilisation judicieuse des assemblées citoyennes? On ne dit pas aux participantes et participants: «Venez, donnez votre avis et nous ferons campagne en faveur de vos idées.» Mais, dans les gouvernements, ces panels ne sont guère employés autrement. Nous l’ignorons uniquement parce que nous partons du principe que le gouvernement a une opinion uniforme.

Il est probable qu’une partie de la motivation derrière certains panels citoyens soit de gagner des batailles politiques au sein des institutions. Des preuves existent selon lesquelles les autorités ainsi que les politiciennes et politiciens y ont recours dans cet objectif. Si de tels rassemblements peuvent insuffler une légitimité d’action, c’est une fonction tout à fait utile. Mais il est faux de prétendre que seule la force du meilleur argument détermine les lois et les politiques.

Des personnes engagées estiment que le réchauffement climatique est trop complexe pour nos systèmes politiques et que les panels citoyens représentent une chance. Cet espoir n’est-il pas fondé?

Je suis sceptique quant à l’emploi de panels citoyens sur des questions fondamentales. Selon moi, il y a deux problèmes. La force d’un panel est que les participantes et participants s’intéressent de près à un sujet. Mais plus la liste des thèmes est longue, moins il reste de temps pour chacun d’entre eux. De plus, lorsqu’un panel établit une longue liste de recommandations, il est facile pour les politiciennes et politiciens de faire du tri: seules les plus simples et les moins radicales sont mises en œuvre.

Il est préférable, à mon avis, que les panels citoyens soient responsables d’une question spécifique: «surmonter les problèmes de notre système», par exemple, n’est ni un objectif clair ni une ambition réaliste. Les panels les plus efficaces sont ceux chargés d’évaluer un problème précis. Une question telle que «Comment atteindre un solde net nul?» est trop complexe et comprend des thèmes fort différents. Une meilleure question pour un panel serait: «Devrions-nous interdire les jets privés?»

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Eine Frau, die an einem Tisch sitzt.

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Le rôle du hasard dans la démocratie suisse

Ce contenu a été publié sur Lorsque le hasard décide, tout le monde peut s’exprimer. Carnet de bord d’un panel de citoyennes et citoyens à Thalwil, dans le canton de Zurich.

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En Suisse aussi, on expérimente des panels citoyens. Sont-ils nécessaires alors que tant de votations populaires sont organisées chaque année?

Je ne suis pas un expert du système suisse, mais je perçois les votations populaires et les panels citoyens plutôt comme des éléments complémentaires. Les votations devraient être basées sur de bons arguments, et les panels citoyens peuvent y contribuer. Cela a été un problème lors du référendum sur le Brexit. Même les membres de ma famille et de mon cercle d’amis apolitiques trouvaient le vote important.

Mais toutes et tous disaient manquer de bonnes informations. Si quelqu’un leur avait dit: 150 personnes choisies au hasard ont discuté du sujet et sont parvenues à ces conclusions, cela aurait été une source d’information digne de confiance. Un exemple est la «Citizens’ Initiative Review»Lien externe dans l’Oregon, aux États-Unis. Cela pourrait être un moyen de relier les panels à la démocratie directe suisse. Les votations populaires se prêtent également à l’instauration d’un panel citoyen.

Tous les panels ont été associés avec un référendum. Un panel citoyen a un effet transformateur sur les participantes et participants, mais nous parlons d’environ 150 personnes, ce qui est trop peu pour changer la société. Un vote donne aux médias une raison de couvrir l’événement et accroît l’intérêt du public. Les votes sont donc importants pour susciter le débat dans la société.

Allez-vous poursuivre vos recherches sur les panels citoyens ou existe-t-il d’autres instruments d’innovation démocratique qui pourraient aider à lutter contre le changement climatique?

J’aimerais avoir une bonne réponse. Je suis sûr que les panels citoyens ne sont pas la panacée qui résout tous les problèmes. Ils représentent un outil utile, mais nous entretenons un rapport malsain avec l’environnement, ancré dans notre politique représentative. Nous devons changer ce rapport. Ce changement se heurtera à une énorme résistance.

De la part des gens aisés, mais aussi de personnes ordinaires, qui se sont, par exemple, habituées à prendre l’avion régulièrement. Dans les pays riches, nous nous sommes tous habitués à vivre d’une manière non durable. Pour changer cela, un vaste processus de transformation s’avère nécessaire. Les assemblées citoyennes peuvent être un élément utile de ce processus, mais elles n’en seront probablement qu’une petite partie.

Relu et vérifié par David Eugster; traduit de l’allemand par Zélie Schaller

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