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Pour René Felber, l’EEE reste une occasion ratée

Les conseillers fédéraux Jean-Pascal Delamuraz (à g.) et René Felber étaient abattus après le non à l'EEE. Keystone Archive

Dix ans après le refus de l'Espace économique européen, l'ancien ministre des Affaires étrangères regrette toujours cette décision.

Pour lui, la Suisse en subit encore les conséquences, surtout politiquement. Il l’a dit dans une interview à swissinfo.

L’image avait marqué les esprits: le 6 décembre 1992, le conseiller fédéral René Felber annonçait, la mine défaite, que le peuple suisse refusait d’entrer dans l’Espace économique européen (EEE).

Même avec dix ans de recul, la déception de ce socialiste neuchâtelois reste forte. Certes, la catastrophe économique annoncée à l’époque ne s’est pas vraiment produite, mais la Suisse reste plus que jamais isolée politiquement. Un isolement qu’elle paye au prix fort.

swissinfo: Vous avez été très affecté par le refus du peuple d’entrer dans l’Espace économique européen (EEE). Avec le recul, pensez-vous que vous réagiriez de la même façon?

René Felber: Sans aucun doute. C’était l’écroulement d’un projet que nous offrions à la Suisse. Celui de devenir un pays participatif et constructeur de l’Europe dans laquelle nous nous trouvions.

En dix ans, les Romands semblent avoir perdu leur enthousiasme face à l’Union européenne (UE). Comment interprétez-vous cette évolution?

R.F.: C’est une évolution normale dès lors que les politiciens ne s’engagent absolument pas en faveur de l’UE. Ils se satisfont de résoudre les problèmes au jour le jour. L’Europe n’est plus un projet politique.

Il y a dix ans, l’enthousiasme des Romands venait du fait que certains conseillers fédéraux s’étaient fortement engagés pour ce projet. Or, s’il n’y a plus d’engagement, il n’y a plus de projet.

Mais la conclusion des bilatérales n’a-t-elle pas aussi joué un rôle dans la mesure où elles ont permis à la Suisse d’atteindre ses principaux objectifs, comme, par exemple, la libre circulation des personnes?

R.F.: Je suis persuadé que cela joue un rôle. On passe son temps à parler des bilatérales. Mais, contrairement à ce qu’affirmaient les opposants à l’EEE, elles ne constituent pas une voie facile.

Les négociations avec Bruxelles continuent et elles sont très difficiles. Finalement, ces bilatérales ne sont qu’un palliatif.

Le 6 décembre 1992, on avait parlé d’un véritable fossé entre Romands et Alémaniques. Pensez-vous que ce fossé s’est depuis comblé ou agrandi?

R.F.: Il ne s’est pas particulièrement creusé. Je pense qu’il y a en Suisse des fossés, mais qui ne sont pas seulement linguistique. Il y a aussi des fossés entre les villes et les campagnes, ce qui rend difficile la création d’un grand mouvement unitaire en faveur d’un projet.

Par ailleurs, la différence entre Romands et Alémaniques n’est plus aussi grande en ce qui concerne l’Europe, car bon nombre d’Alémaniques se rendent désormais compte qu’il faut rejoindre l’Europe. Mais ils ne le disent pas, vu qu’on ne leur pose pas la question.

Il est cependant clair qu’il faut continuer à affirmer que la Suisse ne perdrait pas son identité en adhérant à l’UE. Un Italien n’est pas devenu un Danois et un Polonais ne sera pas identique à un Espagnol. Il n’y a pas de fusion. Mais c’est la même chose ici: un Neuchâtelois n’est pas devenu un Schaffhousois dans la Suisse fédérale.

Il y a dix ans, d’aucuns prétendaient que le refus de l’EEE serait une catastrophe pour l’économie suisse. Avaient-ils raison?

R.F.: Nous avions clairement dit que les effets seraient sensibles à long terme, pas dans les dix ans suivant le vote. Par ailleurs, les accords bilatéraux compensent en partie les effets négatifs du 6 décembre.

Mais ces accords bilatéraux sont plus difficiles à mettre au point aujourd’hui et à accepter que ne l’était l’EEE à l’époque, car la législation européenne évolue sans cesse. Donc, se rapprocher de l’UE nous coûte toujours plus cher.

Mais, ce que nous avons surtout perdu, c’est une autonomie politique. Le conseil fédéral et le Parlement passent leur temps à modifier la législation suisse pour l’adapter à celle de l’UE. Nous n’y sommes même pas contraints, mais nous ne pouvons pas faire autrement.

D’une façon générale, nous payons aussi le fait de ne pas faire partie d’un ensemble puissant. Isolés, nous constituons une cible facile. C’était le cas dans le dossier des fonds en déshérence et ce sera le cas dans celui de l’Afrique du Sud.

Petit à petit, nous perdons aussi en influence. On ne nous écoute plus, on n’a pas besoin de nous, nos services ne sont plus utiles…

Si vous étiez encore au gouvernement, que feriez-vous pour relancer le débat européen?

R.F.: D’abord je maintiendrais l’idée que nous appartenons à l’Europe et que c’est un projet de politique important auquel nous devons participer.

Je rappellerais aussi qu’il faut établir un catalogue de ce qui nous est nécessaire sur le plan de nos relations avec l’UE et vérifier si nous pouvons vivre sans ces relations ou si, au contraire, elles nous sont absolument indispensables.

swissinfo/Olivier Pauchard

Biographie de René Felber:

Naissance le 14.03.33 à Bienne
Election au législatif de la ville du Locle en 1960
Maire du Locle de 1964 à 1980
Membre du parlement neuchâtelois de 1965 à 1976
Election au Conseil national en 1967
Election au Conseil fédéral le 09.12.87
Président de la Confédération en 1992
Démission du gouvernement le 31.03.93

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