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Le casse-tête de millions de doses vaccinales Covid-19 périmées

Covid vaccines
La société d'analyse des sciences de la vie Airfinity estime que 1,4 milliard de doses de vaccins Covid pourraient avoir été gaspillées dans le monde depuis leur déploiement fin 2020.​ Hans Christian Plambeck/laif

Les entrepôts suisses regorgent de doses vaccinales inemployées contre le Covid-19. D’autres sont en cours d’acheminement. Mais face à la demande qui stagne et vu la complexité des négociations pour les céder aux pays pauvres, des fioles obsolètes sont détruites par millions. 

«Dès le départ, les Suisses en ont commandé beaucoup trop. Quatre fois le chiffre de la population en une fois. Ils ont ensuite continué à passer des commandes», explique à swissinfo.ch l’expert en politique de santé de l’ONG suisse Public Eye, Patrick Durisch.

A l’échelle de la planète, 13,3 milliards de doses vaccinales anti-Covid-19 ont été administrées. En Suisse, 70% de la population environ ont reçu une injection au moins, chiffre qui n’a guère évolué cette dernière année. Seuls 11,5% des résidents du pays ont sollicité un rappel ces six derniers mois.

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Plusieurs raisons à cette fatigue face aux vaccins et plus généralement à l’égard de la pandémie. L’immunité plus forte au sein de la communauté, la lassitude devant les mesures de santé publique et une connaissance plus largement partagée des dangers du Covid font partie de la liste.

«Le coronavirus a également perdu un peu de son aspect choquant dans le public», déclarait récemment l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) sur les ondes de la radio publique suisse alémanique SRF.

Si la pandémie fait office d’événement passé pour beaucoup en Suisse, le Covid-19 demeure une urgence de santé publique de portée internationale, la forme d’alerte la plus élevée de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Vaccins et traitements, tout comme les mesures de prévention ont contribué à maitriser la situation. Mais la crise a atteint «un point de transition» qui doit être «géré avec prudence», a jugé l’OMSLien externe en date du 30 janvier.

Avec une demande vaccinale qui s’est effondrée, la Suisse comme beaucoup de pays riches ayant passé de volumineuses commandes se retrouvent avec un stock massif sur les bras. Des millions de doses inutilisées et périmées ont déjà été détruites. Des quantités du même ordre pourraient finir de même cette année encore. Il apparait en effet ardu de les céder ou les vendre aux pays pauvres auxquels elles ont été promises.​​   

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Un stock qui gonfle

La Suisse et ses 8,7 millions d’habitants n’est certes pas en manque de vaccins anti-Covid. L’OFSP indique disposer de 12,5 millions de doses «prêtes à l’emploi» et le gouvernement s’est engagé à en acquérir 11,6 millions supplémentaires cette année.

Or, depuis début 2023, la vaccination est quasiment à l’arrêt. On est passé à 460 injections quotidiennes en moyenne en février contre 3300 l’année dernière.

Cette stratégie d’acquisition de l’OFSP a son explication. Elle «vise à couvrir tous les scénarii plausibles pour garantir que des quantités suffisantes des vaccins les meilleurs et les plus récents soient disponibles en tout temps à l’échelle du pays», indique Simon Ming, porte-parole à l’OFSP.

Ce qui n’empêche pas certains parlementaires suisses d’y aller de leur critique. En juin 2022, le Parlement a demandé au gouvernement qu’il annule une commande de 14 millions de doses et qu’il renégocie les contrats pour une moitié de ce volume.

Sénateur du Centre, Peter Hegglin est de ceux qui ont insisté sur une réduction du budget d’acquisition des vaccins anti-Covid. «Il est apparu assez rapidement que la Suisse achetait beaucoup plus de doses de vaccins qu’elle n’en avait besoin, a-t-il expliqué au quotidien Aargauer Zeitung. Les achats auraient dû être stoppés ou du moins réduits bien plus tôt.»

Un avis contesté par Simon Ming à l’OFSP. «Au moment où les contrats ont été conclus, l’évolution de la pandémie était difficile à anticiper», fait-il observer en soulignant que l’OFSP n’a plus aucune obligations contractuelles en matière de vaccins anti-Covid au-delà de 2023.

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Du gaspillage

Chaque dose vaccinale a une date de péremption et doit être éliminée «au moins six mois» après sa livraison, selon l’OFSP, ce qui oblige à en détruire toujours plus.

Jusqu’ici, autorités cantonales et fédérales ont poubellisé 3,4 millions de doses. 5,9 autres millions, propriétés du gouvernement suisse, ont été stockées en Belgique en vue de leur transfert à des pays tiers. Avec l’échec de ce plan dans le cadre du programme de partage des vaccins Covax, elles ont été détruites sur place après leur péremption l’automne dernier et le site de stockage fermé.

Selon l’OFSP, 1,8 million de doses participant du stock actuel vont expirer d’ici fin mai à moins que leurs dates de péremption ne soient prolongées. En l’état, le coût total du gaspillage est estimé à 270 millions de francs au moins.

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Il s’agit là d’un problème rencontré par de nombreux pays riches. La société d’analyse des questions de santé Airfinity classe la Suisse au troisième rang en termes de doses de vaccins anti-covid sous contrat par habitant, derrière le Canada et l’Australie et juste devant la Grande-Bretagne et l’UE. Si elle ne dispose pas de données par pays pour le gaspillage, Airfinity estime que 1,4 milliard de doses au total pourraient en avoir fait les frais depuis leur apparition à fin 2020.   

Don de doses

Pour mettre en valeur les doses restées sur la carreau, Berne a mis en place une politique idoine. Le gouvernement a annoncéLien externe l’an dernier que 34 millions de celles-ci seraient mises à disposition des citoyen-ne-s suisses et qu’au cas où elles ne pouvaient trouver preneur, jusqu’à 15 millions seraient transmises à l’initiative Covax. Cette stratégie reste d’actualité. Pour 2023, 13 millions de doses au maximum pourront être revendues ou cédées si elles ne sont pas utilisées en Suisse, a décidéLien externe le Conseil fédéral en décembre.

Malgré ces promesses, les données les plus récentes font état de 4,8 millions de doses seulement remises par la Suisse à d’autres pays, sans compter 3,3 millions en cours d’acheminement. Au total, 1,9 milliard de fioles ont été cédées à 146 pays à ce jour via Covax – initiative conjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de Gavi, l’alliance mondiale du vaccin.

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Pourquoi un pays riche comme la Suisse n’a-t-il pas livré davantage de vaccins par l’intermédiaire de Covax ou en bilatéral?

Jusqu’ici, aucune opportunité de revente des doses ne s’est présentée, indique Simon Ming. «Beaucoup de pays à revenu élevé ont eu recours à une stratégie similaire à la Suisse pour se procurer des vaccins anti-Covid-19 et ont de ce fait accepté des surplus afin de sécuriser leur approvisionnement. Par conséquent, on observe une offre excédentaire de doses vaccinales à l’échelle mondiale depuis début 2022.»

La Suisse donne la priorité aux dons par l’intermédiaire de Covax, indique le porte-parole, mais la demande de la part des États pauvres «stagne à bas niveau». Qui plus est, le transfert de vaccins requièrent des accords trilatéraux complexes entre fabricants, Covax et Confédération. Les doses tendent à expirer avant même le terme des négociations.

«Ils ont détruit des millions de doses et tenté d’en céder d’autres à Covax mais le processus est compliqué sachant que l’industrie pharmaceutique possède un droit de véto. Ils ne pourraient pas faire ce qu’ils veulent même s’ils voulaient les vendre à d’autres pays. Ils doivent toujours en demander l’autorisation», explique Patrick Durisch.

Le représentant de Public Eye pointes les négociations antérieures entre gouvernement et fabricants. Négociations qu’il qualifie de «bancales». Elles ont débouché sur des contrat saturés de clauses de confidentialité et garanti «le dernier mot» aux entreprises de la pharma.

«Les gouvernements ont été pris en otage avec leur propre consentement. Pour moi, il s’agit de la principale leçon à retenir», souligne le porte-parole.

​​Planifier pour la suite​​     ​ 

Mais déjà, les discussions en vue d’un futur traité relatif aux pandémies ont commencé dans le cadre de l’OMS. Objectif: s’assurer que la réponse mondiale à la prochaine grosse crise sanitaire ne soit pas seulement plus consistante mais aussi plus équitable.

En février, l’organisation a transmis aux États membres et aux ONG un avant-projetLien externe où figurent plusieurs articles sur les vaccins. Une des mesures proposées prévoit que les gouvernements réservent 20% des tests, vaccins et traitements développés aux pays les plus pauvres afin d’éviter que ne se répète «le catastrophique fiasco» de la pandémie de Covid-19.

Le texte doit maintenant faire l’objet d’un long processus de négociations qui devrait se poursuivre l’an prochain. La propriété intellectuelle sera un des principaux sujets de discorde. Et les résistances devraient venir avant tout des riches pays occidentaux qui abritent les géants de la pharma.

Édité par Sabrina Weiss, traduit de l’anglais par Pierre-François Besson

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