Quand la fiction précède la réalité

Les Twins rasées. Le Pentagone éventré. La terreur venue du ciel, brutalement, qui confronte le monde à une réalité jamais vue jusque-là. Jamais vue en vrai. Mais la fiction avait déjà envisagé nombre de situations similaires.
Les astrologues et autres mages n’avaient rien vu venir. Ni dans les étoiles, ni dans le marc de café, ni dans les entrailles d’un chien quelconque. Rien, ou alors ils avaient oublié de nous le dire.
L’un ou l’autre d’entre eux se signalera sans doute aux médias en prétendant avoir prédit un truc terrible pour ce début de millénaire, mais de façon suffisamment floue, indistincte et ambiguë pour que le propos puisse concerner à peu près n’importe quoi, n’importe où, et presque n’importe quand.
Il faudra bien un jour que chacun se rende compte que les gesticulations des pseudo-devins, même lorsqu’elles se parent de respectabilité en pénétrant à l’université, ne restent que des fredaines. L’imagination des artistes, par contre, qui n’ont pourtant pas la prétention de donner rendez-vous à l’histoire, est souvent bien plus pointue…
Au fil des pages
Côté littérature, le scénario d’une attaque terroriste sur New York n’est pas nouveau. On pense au duo franco-américain Dominique Lapierre et Larry Collins qui, en 1984, avait envisagé la chose dans «Le Cinquième Cavalier». L’ouvrage mettait en scène une course contre la montre pour empêcher l’explosion au cœur de Big Apple» d’une bombe atomique dissimulée par des sbires du colonel libyen Mouammar Kadhafi.
En 1994, Tom Clancy, dans «Dette d’honneur» propose un scénario d’une proximité troublante avec l’attaque de mardi. A l’issue d’une attaque au virus informatique contre Wall Street et d’une mini-guerre nippo-américaine aux îles Mariannes (Pacifique), un kamikaze japonais écrase le Boeing 747 qu’il pilote sur le Capitole à Washington. Le président des Etats-Unis et tous les membres du Congrès périssent: la première puissance mondiale est décapitée.
Manichéistes, les romans de Tom Clancy? Pas beaucoup plus que George W. Bush lorsqu’il parle du combat du Bien contre le Mal.
Jeudi sur les ondes de la Radio Suisse Romande, Patrick Gyger, directeur de la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains, citait également un roman intitulé «Trente secondes sur New York», paru en 1969 et signé par le Français Olivier Buchard, «qui décrit l’utilisation d’un Boeing 707 porteur d’une bombe, qui va s’écraser sur Big Apple», détruisant la ville.
Hollywood pas en reste
En 1998, «Couvre-feu», avec Denzel Washington, Annette Bening et Bruce Willis, met en scène un groupe de terroristes arabes qui attaquent le quartier-général du FBI (police fédérale) à New York, des bus et un théâtre de Broadway plein à craquer.
Dans «Le Pacificateur» (1997), avec George Clooney et Nicole Kidman, un terroriste serbe projette de faire sauter une arme nucléaire volée dans New York. Et dans «Arlington Road», sorti en 1999, un professeur spécialisé dans les questions de terrorisme (Jeff Bridges) découvre que ses charmants nouveaux voisins (Tim Robbins et Joan Cusak) essaient d’organiser des attaques terroristes à Washington et il tente de les arrêter.
Plus éloignés dans le scénario, mais tout aussi fidèle du point de vue de la représentation, on pourrait évidemment citer «La Tour Infernale» ou «Piège de Cristal». Ou encore «Independance Day» de Roland Emmerlich, et les terribles scènes où l’on voit les mégapoles américaines sombrer dans la fumée et la panique. Et «Mars Attacks!» de Tim Burton… Un film dont la télévision suisse alémanique avait prévu la diffusion mardi soir, et qu’elle a déprogrammé de toute urgence.
Les images dont on se nourrit depuis mardi, tout en étant absolument et horriblement nouvelles, ont pour chacun d’entre nous un air de déjà vu. D’où, paradoxalement, notre difficulté à accepter de les prendre pour ce qu’elles sont: la réalité.
Bernard Léchot

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