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Les Suisses restent favorables à l’aide au suicide

L'idée de débrancher de tels appareils ne heurte pas une majorité de Suisses. Keystone

Les Suisses sont favorables à l’assistance au suicide – mais rejettent le «tourisme du suicide». C’est ce que révèle une étude de l’Université de Zurich qui intervient à quelques mois de la présentation d’un projet de réglementation fédérale.

Les discussions parfois violentes menées depuis des années sur l’assistance au suicide en Suisse – particulièrement en raison des cas d’étrangers qui viennent finir leurs jours avec l’aide d’une organisation – n’ont pas changé l’opinion de la population sur cette manière de mourir.

Une étude réalisée par l’Institut de criminologie de l’Institut de Zurich confirme l’attitude libérale de la population, qui est jusqu’ici toujours ressortie des sondages menés à cet égard. Mais la nouvelle enquête jette aussi une lumière plus précise sur ce que pensent les Suisses.

Cas concrets

Dans les interviews réalisées auprès de 1500 personnes dans toute la Suisse, les chercheurs n’ont pas posé la question frontale du «pour ou contre» les organisations d’aide au suicide. «Cela aurait signifié ‘pour ou contre’ Ludwig Minelli [responsable de l’organisation qui accepte d’aider les étrangers à mourir], a expliqué le professeur Christian Schwarzenegger, lors de la présentation de l’enquête début septembre à Zurich. Nous voulions savoir pourquoi les Suisses favorisent telle ou telle intervention.»

Les chercheurs ont donc présenté des cas concrets – et ayant défrayé la chronique notamment en Italie ou aux Etats-Unis – à leurs interlocuteurs, que ceux-ci devaient juger selon leur justesse morale et juridique. Exemple: un homme atteint d’une maladie paralysant les muscles, sous assistance respiratoire et qui a tous ses esprits, demande que l’appareil soit débranché.

Dans tous les cas présentés (comprenant aussi des malades dans le coma, des personnes atteintes d’Alzheimer ou des personnes non frappées par une maladie mortelle mais souffrant d’incontinence et d’autres maladies du grand âge), les personnes interrogées sont majoritairement favorables à l’assistance au suicide.

«Les Suisses sont plus sceptiques vis-à-vis du suicide assisté pour les gens qui en ont marre de vivre sans être malades ou pour les malades psychiques, ajoute le professeur. Mais globalement, la population rejette une législation trop restrictive et souhaite pouvoir exercer son droit à l’auto-détermination.»

Forte polarisation

Cette attitude très ouverte est liée, selon le professeur, à une «religiosité faible.» En revanche, ajoute-t-il aussitôt, «la polarisation est grande entre un groupe très favorable à l’assistance au suicide et au décès, et une forte minorité plébiscitant des interdictions.»

Ainsi, interrogés sur le cas d’une femme atteinte d’un cancer incurable, souffrant de douleurs insupportables et se trouvant à un stade terminal, 33,6% des personnes interrogées trouvent moralement tout à fait justifié qu’un médecin lui prescrive un médicament mortel à utiliser avec une organisation d’aide au suicide. 27,5% d’entre eux ne voient aucun obstacle moral à ce que le médecin lui fasse lui-même une injection létale.

Les personnes qui trouvent cela complètement erroné représentent 13,1% dans le premier cas et 23% dans le deuxième. Et ceux qui émettent un «peut-être» ne sont pas rares non plus (près de 11%)!

Entre la Pologne et les Pays-Bas

«Il sera difficile, pour le législateur, de trouver un compromis, admet Christian Schwarzenegger. Il s’agira de trouver un processus démocratique pragmatique, loin des attitudes absolues telles que pratiquées en Pologne, qui interdit tout dans ce domaine, ou des Pays-Bas, très libéraux.»

L’organisation Exit alémanique s’est félicitée des résultats. «C’est une confirmation du travail que nous effectuons depuis bientôt 30 ans», a déclaré à swissinfo.ch le porte-parole Bernhard Sutter.

L’association – qui refuse d’accompagner les étrangers ne résidant pas en Suisse – se dit néanmoins surprise de la forte proportion de gens (86%) qui souhaitent que ce soit un médecin qui pratique l’assistance au suicide. «Nous essayons d’avoir davantage de médecins», révèle Bernhard Sutter.

Les premiers projets de lois du gouvernement – qui allaient de l’interdiction à des mesures de surveillance des organisations – ont en tout cas permis à l’organisation d’augmenter considérablement le nombre de ses membres.

«Nous avons aujourd’hui 54’000 cotisants, indique le porte-parole, contre 50’000 en 2005. Cela montre que le tour de vis proposé n’a pas convenu à la population.»

Autres volets attendus

Le gouvernement devrait présenter son projet définitif d’ici la fin de l’année. Pour Christian Schwarznegger, «il faudrait aller dans la direction d’une loi de surveillance ou d’une autorisation administrative (non nécessaire aujourd’hui) pour prévenir les abus. Le financement de ces organisations devrait aussi être strictement contrôlé et leurs collaborateurs formés selon des standars unifiés.»

L’Institut de criminologie publiera dans le courant de l’année prochaine un autre volet de l’étude, spécifiquement centré sur les médecins. Deux autres aspects feront l’objet de présentations séparées, l’un sur l’opinion de la population étrangère, l’autre sur l’avis des juristes.

Ariane Gigon, swissinfo.ch, Zurich

La majorité des Suisses sont favorables à l’assistance au décès et à l’assistance au suicide et soutiennent le principe d’auto-détermination concernant la fin de la vie.

Ils soutiennent aussi l’aide au suicide directe pour les personnes atteintes de maladies incurables et dont la mort est proche, assistance qui est aujourd’hui interdite.

86% sont favorables à l’implication d’un médecin dans l’acte de mettre fin à ses jours ou de personnel spécialement formé pour cela. Seuls 43% sont favorables à l’assistance par un personnel formé des organisations d’aide au suicide – telle que pratiquée aujourd’hui.

Seuls 36% disent vouloir considérer pour eux-mêmes la possibilité de recourir à une organisation d’aide au suicide. Mais la majorité estime que ces organisations permettent une mort digne.

L’étude révèle aussi que 34% des personnes de plus de 70 ans ont des directives anticipées.

L’acceptation de l’aide au suicide diminue si elle s’applique aux personnes atteintes de maladies psychiques ou de personnes arrivées à un grand âge et «fatiguées de vivre».

Quelque 66% rejettent l’aide au suicide accordée à des étrangers n’habitant pas en Suisse et 52,5% accepteraient qu’une organisation d’aide au suicide travaille dans leur voisinage.

L’espérance de vie a considérablement augmenté en Suisse et dans les pays occidentaux ces dernières décennies: alors que 12 hommes sur 1000 et 8 femmes sur 1000 mouraient par année en 1969, le taux de mortalité est tombé à 6 hommes sur 1000 et 4 femmes sur 1000 en 2007.

Le corrolaire de cette évolution est que de moins en moins de personnes meurent de mort «naturelle» ou «subite» – sans présence médicale. Selon une étude de 2002, ce fut le cas de 49% des décès en Suisse. Dans 51%, une décision médicale était présente.

L’aide au suicide par des organisations telles que Exit ou Dignitas ne couvre que 0,4% de tous les décès.

Dans 28% des cas, un renoncement à un appareil respiratoire ou une alimentation assistée a conduit au décès.

La prescription de médicaments anti-douleurs très forts a raccourci la vie dans 22% des cas.

Les médecins ont prescrit un médicament conduisant à l’arrêt des fonctions vitales, sur demande du patient, dans 1,3% des cas. Cette aide au suicide «active» est actuellement interdite en Suisse.

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