
Une empreinte indéniable, mais pas appréciée de tous

A Bâle, le nom de Daniel Vasella restera attaché à la métamorphose d’une terne zone industrielle en un campus de recherche d’avant-garde et à la reconversion d’un port en promenade publique. L’homme a changé le visage de la ville. Mais tout le monde n’applaudit pas pour autant.
Au bistrot comme dans la rue, les réactions à l’annonce du départ du président de Novartis sont d’abord émotionnelles. Le mot «cupide» revient souvent pour qualifier Daniel Vasella, l’homme qui recevait chaque année salaire et bonus par dizaines de millions.
«Les gros bonnets font un peu la même chose. L’un érige une Tour de Babel, tandis que l’autre construit un monument de prestige insensé», lâche un employé à l’entrée des locaux de Roche, le groupe concurrent de Novartis. «Il est vrai que sous Vasella, ils ont développé des nouveaux médicaments à succès, mais chez Roche, nous avons ça aussi», ajoute un collègue.
Architecture haut de gamme
A côté de l’entrée principale de Roche s’élève une immense grue. Ici se dressera bientôt la nouvelle tour de bureaux du groupe, conçue par les stars locales de l’architecture, le bureau Herzog & de Meuron. Assurément une futur icône de niveau mondial, qui sera aussi, avec ses 178 mètres, l’immeuble le plus haut de Suisse.
Et Novartis n’est pas en reste avec son nouveau campus, un groupe de constructions d’un modernisme audacieux, qui a remplacé d’anciennes halles industrielles ternes et grises. Pour ce chantier, Daniel Vasella a fait appel à la crème de la crème de l’architecture internationale, notamment au Californien Frank O. Gehry, à l’Irako-britannique Zaha Hadid et aux Japonais du bureau Sanaa.

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Déjanté dehors, sérieux dedans
Un engagement clair pour Bâle
«Ce campus est un creuset dédié à la recherche, qui réunit des scientifiques de 90 pays, et on n’a peut-être pas mesuré à quel point c’est un projet estampillé Vasella. Il en a choisi pratiquement chaque brique, explique le journaliste économique René Lüchinger. Avec un Américain à la tête de Novartis, nous n’aurions jamais eu cela à Bâle».
«Le fait que Novartis et Roche investissent autant représente un engagement clair pour Bâle, estime le président du gouvernement cantonal Guy Morin. Le campus est nettement le projet de Vasella. Il s’est aussi largement impliqué dans l’accord que la ville et Novartis ont conclu ensemble.»
Promenade au bord du Rhin
En substance, cet accord a consisté à fermer une rue qui traversait la commune française d’Huningue et qui, il y a quelques années encore, conduisait au cœur de la zone Novartis et à la remplacer par une nouvelle rue, avec une nouvelle station de tram et un nouveau poste de douane.
Grâce à un échange de terrains avec le canton, Novartis peut ériger de nouvelles constructions en bordure du Rhin. Le port de St-Jean, le plus ancien de Bâle, a été démantelé et fera bientôt place à un jardin public et à une zone de promenade.
«Cette voie au bord du Rhin est certainement une bonne chose, juge le député vert Urs Müller. Mais ce qui est excessif, c’est que le campus est devenu une ville fermée dans la ville. Monsieur Vasella et ses gens ont dicté leur volonté. Le campus inclut des bâtiments à l’architecture intéressante, nous ne le contestons pas, mais tout cela reste inaccessible à la population. Nous avons essayé de l’empêcher, mais l’idée n’a pas trouvé de majorité politique».
Novartis est une entreprise privée, «fortement orientée vers la recherche et dont les activités doivent être protégées. On doit l’accepter», réplique Guy Morin. Et de préciser que le campus est «largement accepté» par les autorités et par la classe politique.
En 2012, Novartis a atteint 56,6 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires, avec un bénéfice de 12 milliards. Le groupe emploie presque 124’000 personnes, dont 13’000 en Suisse.
Le traumatisme de Schweizerhalle
Depuis 2004, le gouvernement bâlois est majoritairement de couleur rouge-verte. Pourtant, aussi bien les autorités que les dirigeants des deux géants de la pharma considèrent les relations et la collaboration comme constructives. Il est bien loin le temps où certains auraient vu d’un bon œil la chimie quitter Bâle.
Le gigantesque incendie de Schweizerhalle le 1er novembre 1986, où les tonnes d’eaux déversées par les pompiers avaient empoisonné le Rhin et sa faune, a marqué pour Guy Morin «le point le plus bas dans l’acceptation» de cette industrie par la population. Depuis, les chimiques se sont ouvertes au dialogue et ont modifié leurs positions. Les activités traditionnelles et l’agrochimie ont été vendues et délocalisées. Novartis et Roche sont maintenant et depuis longtemps de pures entreprises pharma.
En 2012, Roche a atteint 45,5 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires, avec un bénéfice de 9,8 milliards. Le groupe emploie plus de 80’000 personnes dans le monde, dont plus de 11’000 en Suisse.
Production bio
«Il n’y a que très peu de production à Bâle. Et là où il y en a, c’est une production biologique, sans risques pour l’environnement et sans fumées nocives. Maintenant, nous avons ici surtout l’innovation, la recherche et l’administration, ce qui a aussi certainement contribué à cette bonne acceptation», relève Guy Morin.
Le député vert Urs Müller admet que Bâle s’est «en partie» réconciliée avec l’industrie pharma. Sans oublier qu’elle est aussi «un gros contribuable, avec lequel on est évidemment prêt à chercher des solutions par le dialogue».
Né en 1953 à Fribourg, originaire de Poschiavo, une vallée italophone des Grisons. Il étudie la médecine à Berne et la pratique à l’Hôpital de l’Ile, jusqu’au rang de chef de clinique.
En 1978, il épouse Anne Laurence Moret, nièce de Marc Moret, qui deviendra président de Sandoz, un des géants pharmaceutiques bâlois de l’époque. En 1988, Daniel Vasella bifurque vers l’industrie. Il travaille pour Sandoz aux Etats-Unis et suit parallèlement des cours de mangement à la Harvard Business School.
Il rentre au pays pour devenir le patron de Sandoz Pharma. En 1996, lorsque son entreprise fusionne avec Ciba-Geigy, il prend la tête de la nouvelle unité pharma, rebaptisée Novartis.
En 1999, il essuie de vives critiques pour son double mandat de président et de directeur général du nouveau géant. Il n’abandonnera pourtant cette double casquette qu’en 2010, bien après ses collègues de Roche et de Nestlé. Dès lors, il n’est plus que président du conseil d’administration, poste dont il s’apprête maintenant à prendre sa retraite.
Selon les estimations, Daniel Vasella aurait gagné jusqu’à 300 millions de francs durant ses années à la tête de Novartis. En 2012, le magazine économique Bilanz estimait sa fortune à près de 150 millions.
Sous son règne, les ventes de Novartis sont passées de 31 milliards de francs (1997) à 56,6 milliards (2012). Les bénéfices cumulés sur cette période frisent les 85 milliards.
Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez

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