
Succès de la salle d’injection pour toxicomanes à Strasbourg

(Keystone-ATS) Le dispositif fait l’unanimité: à Strasbourg, la salle de consommation à moindre risque (SCMR) est saluée par les riverains comme par les autorités et les associations qui espèrent voir cette expérimentation amplifiée et pérennisée.
A 46 ans, Christophe se rend quotidiennement dans cette salle baptisée Argos tenue par l’association Ithaque. Sous sa casquette beige, ce toxicomane vient fumer de la cocaïne. « J’étais à un gramme et demi par jour, je suis passé à un gramme, je réduis progressivement », se félicite-t-il.
Avant de fréquenter les lieux, Christophe se droguait dans les parkings. « On faisait vite, pour pas que les gens nous voient. On prenait plus de risques, c’était très sale ».
Depuis qu’il a découvert Argos, il a modifié ses habitudes. « Je prenais de l’héroïne aussi, mais j’ai arrêté avec la méthadone », un médicament de substitution. Et pour préparer sa cocaïne, il a remplacé l’ammoniaque par du bicarbonate, beaucoup moins nocif. « Je vais mieux, j’ai envie de m’en sortir, pour moi et ma famille ».
Lutter contre la précarité
En plus du matériel stérile, l’association propose également des consultations auprès d’infirmiers ou de médecins. Mais avant même d’évoquer les objectifs de réduction des risques, d’accès aux droits et d’accès aux soins, les responsables insistent sur l’importance de nouer un contact avec un public en grande précarité.
« A l’ouverture de la salle, alors qu’on avait 25 ans d’expérience dans l’accompagnement, on a rencontré plein de personnes qu’on ne connaissait pas », souligne Nicolas Ducournau, le coordinateur de la SCMR.
Une fois le contact établi, un parcours de soin peut être envisagé si l’usager est volontaire. Et alors que la question du sevrage lui est régulièrement posée, Nicolas Ducournau rappelle que ce n’est pas exactement l’objectif: la salle de consommation n’est souvent que le premier « maillon d’une longue chaîne ».
Pas de plainte
A Strasbourg, 1300 personnes ont poussé au moins une fois la porte d’Argos depuis 2016, avec en moyenne une cinquantaine d’usagers quotidiens. Mais la salle ne semble pas perturber la quiétude du quartier. Dans le parc de l’autre côté de la route, les jeux pour enfants font le plein.
« Il n’y a jamais eu un mec assez fou pour mettre un point de deal ici, c’est trop familial », s’amuse Sébastien Larcher, 49 ans et père de trois enfants. « C’est très agréable. En été, on vient pique-niquer jusqu’à très tard ».
Même observation auprès des établissements scolaires, à moins de 500 mètres. « Nous n’avons eu aucun incident », affirme Christophe Studeny, le proviseur du lycée Pasteur. « Ce n’est pas un sujet de préoccupation ». Quant à la principale du collège, arrivée à l’été, elle ignorait l’existence du dispositif. « Personne ne m’en a parlé. C’est dire à quel point il n’y a pas de nuisance ».
Les autorités partagent cette satisfaction. « Nous n’avons pas eu de problèmes de tranquillité ou de délinquance », assure la commandante de police chargée du dossier. « C’est surtout lié à l’implantation: le lieu a été extrêmement bien choisi ».
Subvention pour le local
La salle se trouve dans l’enceinte du CHRU de Strasbourg, mais dispose d’une entrée spécifique à l’écart, donnant sur un quai ouvert à la circulation. Il n’y pas d’habitation à proximité immédiate.
Signe de cette insertion réussie, le conseil municipal a récemment accordé de nouvelles subventions, votées à l’unanimité, alors qu’en 2016 plusieurs conseillers s’étaient opposés à l’aménagement du site.
« Le bilan est très positif, en matière d’accès aux soins comme de sécurité » avance Alexandre Feltz, adjoint à la maire et addictologue. « On attend du gouvernement de pouvoir stabiliser ce modèle, parce que l’expérimentation finit fin 2022 ».
Réticences à Paris
En juin, le cabinet du ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran avait expliqué vouloir « pérenniser » dans le droit commun ces dispositifs. Mais depuis, le dossier ultra-sensible des consommateurs de crack à Paris a changé la donne, a fortiori dans un contexte pré-électoral.
Le gouvernement souhaite désormais poursuivre l’expérimentation jusqu’en 2025. Le sujet sera débattu en octobre au parlement.