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Une icône de la communauté gay refait surface au Monte Verità

Rundbild Klarwelt der Seligen
Le panorama Klarwelt der Seligen dans son nouveau dispositif au Musée Monte Verità à proximité de Locarno. Ars Artis Ag

C’est un panorama circulaire emblématique de la communauté du Monte Verità qui a fleuri au Tessin dès les années 1900. Peinte par Elisàr von Kupffer, un artiste et philosophe allemand revendiquant son homosexualité, l’œuvre est à nouveau visible, après une première résurrection dans les années 1970 par le célèbre commissaire d’exposition bernois Harald Szeemann.

Le légendaire complexe muséal du Monte Verità, au-dessus d’Ascona (Tessin), retrouve sa pièce maîtresse. Après une longue phase de restauration, le tableau circulaire Klarwelt der Seligen (Le monde clair des bienheureux) d’Elisàr von Kupffer (1872-1932) est à nouveau ouvert au publicLien externe depuis Pâques 2021.

Ce tableau est la dernière pièce du puzzle du complexe muséal dont la première pierre a été posée en 1978 par une figure majeure de l’art contemporain, le commissaire d’exposition Harald SzeemannLien externe, avec son exposition itinérante Le Mammelle della verità.  

L’exposition a ensuite été présentée à Zurich, Berlin, Vienne et Munich avant d’être installée en permanence dans la Casa Anatta à Ascona, une maison datant de l’époque de la fondation de la colonie du Monté VeritàLien externe, refuge d’anarchistes et d’artistes en rupture avec la culture bourgeoise de l’époque dans le sillage du Mouvement pour une vie saineLien externe qui se répandait principalement dans le monde germanique.

À l’occasion de son exposition, Harald Szeemann a sauvé une première fois la fresque programmatique d’Elisàr von Kupffer qui se faisait appeler Elisarion, gourou d’une nouvelle religion – le ClarismeLien externe – pour laquelle un temple avait été édifié à Minusio aux abords de Locarno et d’Ascona.

Elisàr von Kupffer
Elisàr von Kupffer en 1902. elisarion.ch

Mais qui était ce prophète de la libération des corps et des esprits? Aristocrate allemand originaire d’Estonie, Elisàr von Kupffer développe ses idées dans l’écriture et la peinture. Une inspiration stimulée par la rencontre en 1891 d’un aristocrate ukrainien, Eduard von Mayer (1873-1960), né à Saint-Pétersbourg et qui devient son partenaire de vie et son compagnon à partir de 1897.

Après avoir voyagé à travers l’Europe, le couple s’installe au Tessin en 1915 avec une vision: la religion qu’ils avaient fondée, le Clarisme, devait rayonner de Minusio dans le monde entier, avec comme point fort l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes et des homosexuels.

Comme d’autres nouveaux courants spirituels du temps, tels que la Théosophie d’Helena Blavatsky ou l’Anthroposophie de Rudolf Steiner, le Clarisme se posait comme antithèse de la vision scientiste du monde et de la morale bourgeoise de l’époque. Cette mystique n’attira toutefois que très peu d’adeptes. 

À Minusio, les deux claristes font construire en 1925 le Sanctuarium Artis Elisarion, qui a été transformé depuis en centre culturel pour la communauté de Minusio. Ce bâtiment est dans la lignée du Goetheanum de Rudolf Steiner bâti dans les années 20 à Dornach près de Bâle.

Sanctuarium Artis Elisarion in Minusio heute
Le Sanctuarium Artis Elisarion à Minusio. elisarion.ch

À l’époque, les deux artistes installent le Monde clair des bienheureuxLien externe dans une annexe. La fresque devait être vue à la fin d’un parcours en forme de pèlerinage conduisant les visiteurs d’un «monde confus» à un «monde clair».

Un paradis gay

Le panorama fait 26 mètres de long et se compose de 16 toiles formant un tableau circulaire à 360° de près de 9 mètres de diamètre. Il représente une Arcadie où se prélassent et s’enlacent 84 jeunes hommes libérés de tout vêtement.

Un glacier, des bords de mer, des prairies couvertes de fleurs et des lacs de montagne en constituent le décor. Les protagonistes sont réunis dans 33 scènes, que l’auteur décrit lui-même en vers.

Ausschnitt aus dem Rundbild Klarwelt der Seligen
Détail de la fresque Klarwelt der Seligen. Claudio Berger

Le tableau est sous la protection de l’Office du patrimoine culturel du canton du Tessin, qui a accompagné l’ensemble du projet de restauration. La restauration a été parrainée par la Fondation Monte Verità et l’association Pro Elisarion – fondée en 2008 dans le but de préserver l’œuvre d’Elisàr von Kupffer et d’Eduard von Mayer.

L’ancien chef de l’Office fédéral de la culture, David Streiff, s’est personnellement impliqué dans cette association: «Lorsque M. Szeemann est décédé en 2005, il m’est apparu clairement que d’autres personnes devaient désormais s’occuper de l’héritage d’Elisarion.»

Pour restaurer la fresque, David Streiff a lancé une collecte de fonds et obtenu un grand soutien de la communauté gay de Suisse, dont il fait lui-même partie.

Elisàr von Kupffer est aujourd’hui considéré comme l’un des pionniers du mouvement Queer. «À l’époque, lui et son partenaire ont essayé de vivre au Tessin en tant que couple homosexuel créatif. C’était extraordinaire dans un canton catholique comme le Tessin», souligne David Streiff.

Une œuvre hors du temps

Quelle est la valeur de ce cyclorama ? Historien de l’art, David Streiff estime que «cette œuvre est complètement hors du temps. Elle est unique et constitue une iconographie très intéressante de la vision de l’auteur, menant de l’obscurité à la lumière, reprenant de nombreux aspects de l’histoire de l’art européen, y compris religieux, pour créer quelque chose d’assez extraordinaire.»

>> L’éclairage de Kaj NoschisLien externe, auteur de MONTE VERITÀ- Ascona et le génie du lieu publié en 2011 dans la collection Savoir suisse (PPUR). .

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