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Mots soulignés et rêves esquissés à Festi Neuch’

Raphaël, plutôt prince mystérieux... Baptiste Feuz

Au troisième jour du festival Festi Neuch', le slameur Grand Corps Malade, puis le chanteur Raphaël, ont déployé leur verbe et leur charme face à un chapiteau bondé. Un seul public, mais deux approches poétiques bien différentes...

Soirée résolument ‘langue de Molière’ samedi à Neuchâtel avec la venue de Grand Corps Malade, roi du slam francophone, suivi de Raphaël, héraut et héros du renouveau folk-rock de ces dernières années.

Ils auront été précédés, sur une scène plus modeste, par Marc Aymon, jeune chanteur suisse d’ailleurs pas très éloigné de cette cour où jouent actuellement Raphaël, Renan Luce, et pas mal d’autres.

Marc Aymon, avec un nouvel album dans ses flight-cases, «Un amandier en hiver», et un trio de musiciens qui lui auront permis de muscler son propos. Univers intéressant, sensible, mais encore en quête de véritable identité.

L’air de rien, Grand Corps Malade est aussi un nouveau venu – son premier album ne date que de 2006. Mais son univers à lui est tellement défini que son empreinte dans le paysage du disque français est déjà indéniable.

Enfant de la ville

Grand Corps Malade, une impression de force fragile, cohérence étonnante entre son immobilisme, appuyé qu’il est sur cette canne qui ne le quitte jamais, et cette voix profonde et monocorde qui sait pourtant donner de la nuance.

«Le Chant du Gros, le Paléo, je n’ai que de bons souvenirs avec le public suisse!» commence-t-il par lancer à un chapiteau bondé, qui, tout au long du spectacle, lui rendra son enthousiasme avec ferveur.

Entouré de quatre musiciens (guitare acoustique, piano, basse et percussions), son répertoire bénéficie soudain d’une unité musicale qui lui manque parfois sur disque – cela même si le groupe est emmené par le responsable musical de l’album, le percussionniste Feedback.

Grand Corps Malade. T-shirt rayé et jean. Cool et inspiré. Une sorte de modèle, le copain blessé par la vie qui sait dire des choses fortes, et les dire bien. Les mecs rêvent sans doute de boire une bière avec lui, et les filles… un peu plus si entente.

Il nous dit sa première soirée slam, celle qui a modifié le cours de sa vie. Il raconte avec le sens du détail qui touche son «village», comme il dit, Saint-Denis, et sa world-culture que la Basilique et ses rois ne préfiguraient guère.

Il raconte la vie, la douleur, l’amour, avec pudeur et sait parfaitement alterner l’intensité (superbe «Midi 20», magnifique «La nuit») et l’humour («Underground» ou «Mon cœur ma tête et mes couilles»).

Enfant de la Lune

Sur scène, Raphaël n’est pas «cool». Plutôt prince mystérieux. Yeux métalliques et manteau noir. Une légère distance, toujours. Et une attitude rock qui surprendrait ceux qui le soupçonnent encore de mièvrerie.

«Je sais que la terre est plate», dit sa première chanson de la soirée – titre de son dernier album. Une façon de rappeler en ouverture que son monde n’est pas tout à fait le nôtre?

Ce monde où une chanson peut s’ouvrir par «Et toi j’ te connais pas mais t’es plus ma copine», où une autre s’appelle «Les petits bateaux», et une autre encore «Schengen». Baptiser une chanson qui parle de vagabonds «Schengen», ce n’est pas banal.

En une heure trente de spectacle, l’univers étrange et magnétique de Raphaël défile devant nous, entre guitare hurlante d’Olivier de la Celle (plus connu sous le pseudo de «Le Baron») et instruments impromptus – violon, flûte, saxophone, clarinette – entrelardant son folk-rock d’envolées tziganes ou klezmer.

Parmi les surprises, une chanson inédite et une reprise de Bashung, «Happe». Bashung, un autre surdoué des univers parallèles. Et puis… «Sur la route», «C’était le temps», «Et dans 150 ans» serviront de bouquet final, avec en rappel, «Ne partons pas fâchés» et «Caravane», chansons imparables.

De quoi lessiver définitivement les spectatrices des premiers rangs qui crient «Hiiiiiiiiiiiiii» dès que Raphaël dit le verbe «s’embrasser» dans une chanson.

Dire ou suggérer

Grand Corps Malade, poète novateur, et Raphaël, chanteur à minettes? Il faut se méfier des clichés…

Qui se souvient de «La Chanson de Paul», chantée et dite par un certain Serge Reggiani? Qui se souvient des textes de Prévert caressés par le même Reggiani? A l’écoute de Grand Corps Malade, quitte à en outrer certains, c’est Reggiani qui me vient en tête – l’emphase en moins, la modernité musicale en plus. Reggiani chantant Lemesle ou Dabadie et disant Prévert, et quelques autres représentants de cette chanson à texte si française. Reggiani faisait-il du slam sans le savoir?

Les mots de Grand Corps Malade sont des mots qui veulent raconter et dire. Un lyrisme du concret, estampillé «poésie» de par les vraies qualités d’écriture du bonhomme, mais aussi par la grâce de l’image mode que véhicule le slam.

La démarche littéraire, osons le mot, est toute autre, et finalement moins traditionnelle, avec Raphaël. Convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit? Pourquoi faire? Raphaël évoque. Procède par touches, par images juxtaposées, par associations. Qui peut être sûr d’avoir vraiment compris ce que dit «Le vent de l’hiver», pourtant ressassé par toutes les radios de France comme de Suisse?

Raphaël esquisse. A nous de remplir les vides. Si la référence dylanienne est clairement explicite dans sa musique, c’est sans doute aussi du côté de Robert Zimmerman, qu’on peut trouver une influence en matière d’écriture. Peut-être aussi de Bowie, pour lequel Raphaël s’est passionné très jeune. Bowie qui, à une époque, affirmait écrire ses chansons en procédant par collages.

Mais ces détails techniques concerneront sans doute assez peu les filles du premier rang qui font «Hiiiiiiiiiiiiii» avec tellement de talent.

Bernard Léchot, Neuchâtel, swissinfo.ch

Haroche. Raphaël Haroche est né en 1975 à Paris.

Aubert. Le grand public l’a découvert grâce à son duo avec Jean-Louis Aubert sur la chanson «Sur la route».

Caravane. Raphaël connaît la consécration avec son troisième album, «Caravane», plus d’un million d’exemplaires vendus, qui lui a valu trois victoires de la musique en mars 2006.

Plate. Suivront deux CD en public, et un nouvel album en 2008, «Je sais que la terre est plate».

Eicher. Stephan Eicher (pour qui Raphaël avait écrit la chanson «Rendez-vous», chantée d’ailleurs ce samedi à Neuchâtel) y cosigne la chanson «Concordia».

Fabien. Fabien Marsaud – son vrai nom – est né en 1977 au Blanc-Mesnil, au nord-est de Paris.

Basket. Sa vocation pour le sport (le basket) sera brisée par un accident, dans une piscine, en 1997. Après une année de rééducation, il retrouve l’usage de ses jambes.

Slam. C’est en 2003 qu’il découvre le «slam» – textes déclamés – courant né aux USA dans les années 80. Il va se passionner pour le genre et, sous le pseudonyme de «Grand Corps Malade», participer activement à cette nouvelle scène en France.

Midi 20. En 2006 sort son premier album, intitulé «Midi 20», qui lui vaudra deux Victoires de la Musique en 2007.

Enfant de la ville. 2008 voit la publication de son 2e album, «Enfant de la ville».

L’Open Air de Neuchâtel se déroule du 4 au 7 juin.

Le concert de clôture (dimanche soir) fera honneur à la musique des Balkans, avec ‘The No Smoking Band’, le groupe du réalisateur serbe Emir Kusturica.

Le site du festival, étendu sur 15.000 m² au bord du Lac de Neuchâtel, inclut environ 70 bars et stands de restauration.

Le budget de 1,9 million de francs consacré à la manifestation est inférieur de 100.000 francs à celui de 2008.

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