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Une bataille homérique au nom des pères divorcés

Violence conjugale, divorce, ce sont surtout les enfants qui trinquent. avenue-images.com

Victime d’une épouse violente, Patrick Robinson s’est battu pour la garde des enfants et s’estime lésé par la loi sur le divorce. Son témoignage alors que la ministre de la Justice Sommaruga veut lier l’introduction de l’autorité parentale conjointe à la question de la pension alimentaire.

«Je suis un des rares pères qui détient seul l’autorité parentale, retirée à la mère après huit ans de bagarre», témoigne Patrick Robinson. Le calme est plus ou moins revenu dans sa vie, mais ses enfants en pâtissent encore.

En 1998, suite aux violences de son épouse envers lui-même et leurs filles de 7 et 4 ans ce spécialiste en développement rural et en questions de genre quittait le domicile conjugal sous des menaces de mort et se réfugiait à l’Armée du Salut.

«Malgré les constats médicaux attestant les violences, le juge a confié la garde à la mère seule, alors que, en général, l’autorité parentale reste conjointe jusqu’au divorce. Si tout au début, les autorités nous avaient accordé une médiation, comme je le demandais, je pense qu’on aurait pu limiter les dégâts.»

Totale impuissance

Patrick Robinson a bénéficié d’un droit de visite assez élargi. Mais il a vécu dans la peur de voir la mère, d’origine étrangère, quitter la Suisse. De plus, la situation ne s’améliorait pas et il se trouvait dans une totale impuissance.

«L’Office cantonal des mineurs ne voulait pas entendre parler de la violence physique et psychologique. Au point que les enfants ont cessé de se plaindre, par peur de représailles de leur mère. N’ayant plus confiance en personne, la cadette a demandé à avoir sa propre avocate. Sa lettre n’a reçu aucune réponse du juge en plus d’un an», raconte-t-il.

Jusqu’au soir où la cadette débarque chez son père, la lèvre en sang. Il fait venir le pédiatre. Le lendemain, ce dernier dénonce le cas, non pas à l’Office cantonal des mineurs (qui n’avait jamais réagi auparavant, selon le père), mais directement à l’autorité tutélaire.

Une juge a entendu les enfants et leur a accordé une avocate. «Là, poursuit M. Robinson, cela a traîné encore deux ans, parce que mes filles étaient très repliées sur elles-mêmes et avaient du mal à sortir les choses.»

Finalement, en 2006, à leur demande, les enfants ont été confiées à leur père et l’autorité parentale a été retirée à la mère. C’est ainsi que, pour ce père, la lutte pour la coresponsabilité parentale est devenue un enjeu, une mission.

Depuis 1996, il milite au sein du Mouvement de la condition paternelle de son canton qui, comme d’autres associations masculines, revendiquent la coresponsabilité parentale «par principe pour les parents mariés ou non mariés».

Les ratés de la loi sur le divorce

En 2000, l’introduction de la nouvelle loi sur le divorce, qui visait à la simplification de la procédure, a créé des zones de flou, poussant les pères à s’organiser. Ce d’autant que, actuellement près d’un couple sur deux se sépare.

Le code civil repose sur le divorce par consentement mutuel. Quand celui-ci n’est pas atteint, le juge prononce le divorce au bout de deux ans et accorde l’autorité parentale à un parent, aux deux si les deux le demandent.

Pour Patrick Robinson, le problème, c’est que l’accord de la mère est requis, et la situation se complique encore quand les parents ne sont pas mariés. «A part l’Autriche et le Liechtenstein, la Suisse est le dernier pays d’Europe où les pères n’ont en pratique presque aucun droit, s’insurge-t-il. C’est un archaïsme, on bafoue l’intérêt de l’enfant, basta!»

Les pères se sentent donc maltraités par la législation, par les croyances, par l’attitude de la société, des politiciens et des médias. «A juste titre, on a voulu réparer les injustices envers les femmes, mais on en a créé une autre, plaide Patrick Robinson. Certains pères doivent parfois traverser des mois de procédure avant d’espérer revoir leur enfant, alors que tous les spécialistes recommandent que les enfants entretiennent une relation saine avec les deux parents, même séparés.»

Les organisations de pères revendiquent l’ordonnance d’une médiation dès le début de la séparation «afin que les parents mettent de côté les rancunes pour construire l’avenir en s’accordant sur le partage de la prise en charge», poursuit M. Robinson.

«Nous demandons aussi que le Code pénal soit modifié pour que le parent qui détient la garde principale de l’enfant soit punissable lorsqu’il ne présente pas l’enfant pour le droit de visite, au même titre que les sanctions prévues lorsque le parent non-gardien ne rend pas l’enfant dans les délais.»

La colère gronde

C’est ce qui explique la colère des organisations masculines lorsque, en janvier, Simonetta Sommaruga suspendait la révision de la loi (après six ans de travaux) afin de lier la problématique de l’autorité parentale conjointe aux questions de soutien financier et de pensions. La ministre de Justice et Police souhaite améliorer aussi la situation du parent qui supporte la plus grande charge financière, malgré une autorité parentale conjointe. Patrick Robinson rétorque que «les questions d’argent sont importantes mais elles doivent être traitées de manière équitable».

Deux députés, le libéral genevois Hugues Hiltpold et l’ écologiste bernois Alec von Graffenired, sont donc montés au créneau durant l’heure des questions de la session parlementaire en cours.

Le gouvernement a répété que «les deux parents n’ont pas seulement des droits par rapport à l’autorité parentale, mais aussi une responsabilité économique permettant d’assurer le développement de l’enfant». Le Conseil fédéral promet que «le projet sera envoyé pour consultation cette année encore».

De son côté, Lucrezia Meier-Schatz, conseillère nationale démocrate-chrétienne et directrice de la Fondation Pro Familia, est attentive aux difficultés des pères. Elle estime que «c’est dans l’intérêt de l’enfant que la garde doit être partagée, pas dans celui des parents».

Avec 19’321 divorces en 2011, le taux atteint 47,7% des couples en Suisse.

Sur 13’789 mineurs concernés par le divorce en 2009, 7707 ont été confiés à la mère, 5432 à l’autorité conjointe des deux parents et 616 à leur père. (Office fédéral de la statistique OFS)

Selon la CROP se basant sur une étude du Fonds national, 18’000 enfants seraient actuellement privés de toute relation avec le parent non gardien.

II n’existe pas de statistique nationale sur la violence conjugale. De plus, les chiffres partiels disponibles ne portent pas sur la violence féminine, ce que critiquent les organisations masculines.

Les statistiques policières de la criminalité ont recensé en 2009 9761 victimes de violence domestique, dont 76% étaient des femmes et 24% des hommes.

Dans 81% des cas, les femmes étaient victimes de leur partenaire ou ex-partenaire et dans 19%, il s’agissait d’hommes subissant la violence de leur partenaire actuelle ou ancienne.

Créée en 2007, la Coordination Romande des Organisations Paternelles (CROP) a été pour regrouper les divers mouvements des cantons francophones et compte près de 400 membres

Créée en 2005, Männer.ch est l’organisation faîtière regroupant 25 associations d’hommes et de pères de Suisse germanophone totalisant environ 3000 membres.

Créée en 2008, l’Association suisse pour la coparentalité (GeCoBi) regroupe 13 associations de pères et de mères sans droit de garde, totalisant entre 2000 et 3000 membres.

Les organisations masculines réclament entre autre la transformation de la Commission fédérale pour les questions féminines (créée en 1976) en commission pour les questions liées aux spécificités de chaque sexe. La Commission compte pour l’heure 20 femmes et 3 hommes.

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