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B comme Bodmer, B comme Botta

La complémentarité du neuf et de l'ancien. Genève Tourisme

C'est dans un écrin signé Botta qu'on peut, à Cologny, rencontrer Cendrars, Baudelaire, Mozart, Shakespeare, Saint-Jean ou un scribe égyptien... La Société d'histoire de l'art en Suisse (SHAS), à l’occasion de son 125e anniversaire, étoffe son offre habituelle de visites de sites particulièrement remarquables.

Cologny. Autrement dit, la périphérie plus que résidentielle de Genève. Là, tout n’est qu’ordre, calme, verdure et maisons de maître.

C’est dans cette ambiance chic que, sur un terrain de la vaste propriété acquise par son fondateur, la Bibliothèque Bodmer – la Bibliotheca Bodmeriana – fut inaugurée le 6 octobre 1951. Elle occupe deux villas d’allure classique.

Mais c’est en 2003 qu’on a pu découvrir le Musée Bodmer. Confié au prestigieux architecte tessinois Mario Botta, l’agrandissement nécessaire s’est fait à travers une construction en sous-sol, sur deux étages, située entre les deux villas existantes.

Un vaste espace enfoui, «à l’exception de cinq volumes parallélépipédiques en verre, à base carrée, d’une hauteur d’environ 3 mètres cinquante, alignés sur l’axe de l’entrée tels un ensemble d’écrans perspectifs qui dirigent l’attention du visiteur vers le lac», selon la description de l’architecte.

Une collection fascinante

Martin Bodmer, zurichois de naissance, genevois d’adoption, est décédé en 1971. Peu avant sa mort, il avait créé une fondation pour que son incroyable collection ne soit pas dissoute. Jusque là, seuls les chercheurs, ou presque, y avaient accès.

Papyrus, manuscrits, incunables, éditions originales, pièces uniques, textes autographes, partitions, mais aussi pièces archéologiques, tapisseries ou peintures… La collection de la Fondation Bodmer, c’est 160.000 pièces, 80 langues représentées! 237 pièces sont présentées au public dans le cadre de l’exposition permanente.

L’occasion de se confronter en une visite à l’antiquité égyptienne, aux balbutiements du christianisme, au passé chinois, indien ou sanscrit, à l’inventivité humaine, de Gutenberg à Darwin en passant par Newton.

Mais aussi de voir ‘en vrai’ la signature de Baudelaire, au bas d’un poème des Fleurs du Mal, les annotations de Proust ou une partition tracée de la main de Mozart.

Des livres qui volent

«Il y a des pièces qui nous parlent des origines de la culture, des origines de la pensée des hommes. Il fallait donc leur offrir une disposition qui leur permette de lancer des messages spirituels. Il s’agit en fait d’un espace sacré», constate la star tessinoise de l’architecture, qui, en l’occurrence, a également oeuvré comme muséographe.

Et l’organisation s’est imposée d’elle-même ou presque: «Il faut dire que la Fondation Bodmer avait déjà sa propre organisation. Il y a des noyaux: Moyen-Age, Shakespeare etc. On ne partait donc pas de zéro: il y avait une structure, comme une architecture intérieure du musée. Notre rôle, c’était d’essayer de valoriser cela au maximum», constate Mario Botta.

Béton et granit à l’extérieur, métal, marbre et bois foncé à l’intérieur. «On a essayé de prendre des matériaux naturels, souligne l’architecte. Il y a le sol en bois, et toutes les vitrines en métal brut, nu. Cela dans l’idée de mettre en valeur, par contraste, le papier écrit, le papier imprimé. Selon moi, plus il y a de différence, plus on voit la préciosité de la texture du papier, qui fait aussi partie du message».

Ambiance sombre. Et remarquable éclairage, qui fait jaillir les ouvrages de l’obscurité. Les livres, les manuscrits semblent projetés dans la lumière, dans un accrochage à trois dimensions qui donne l’impression que ces témoins de l’histoire humaine volent, qu’ils sont au-delà des contingences matérielles.

«La Bible de Gutenberg ou l’évangile de Jean sont des mythes dans notre imaginaire occidental. Là, tout à coup, ils se concrétisent en des objets vrais, écrits, et ce message suscite alors des émotions», constate Mario Botta.

«Bodmeriana»

«C’est une bibliothèque totalement unique au monde. Mais une bibliothèque d’un genre particulier: vous êtes toujours les bienvenus pour voir les phares de l’humanité, mais pas vraiment pour feuilleter les papyrus ou les parchemins du Moyen-Age!», constate en riant Martin Bircher, directeur de la «Bodmeriana», la bibliothèque de la Fondation.

Regarder, ne pas toucher… Et pour cause. Les documents, on l’a dit, sont de taille: «Bodmer s’intéressait aux œuvres fondatrices. Son but: avoir le manuscrit de la main de l’auteur ou la plus vieille édition possible», explique André Hurst, recteur de l’université de Genève.

Lequel précise: «Il a organisé sa bibliothèque autour de ce qu’il appelait les cinq piliers: la Bible, Homère, Dante, Shakespeare, Goethe. Cette liste a l’air extrêmement européo-centriste. Pourtant, dans cette collection, il y a des manuscrits venus des 5 continents».

Effectivement à Cologny, dans un parcours chronologique, c’est la Terre entière qui est représentée, avec toutefois une prédominance méditerranéenne.

swissinfo, Bernard Léchot

– Martin Bodmer, né en 1899 et décédé en 1971, est issu d’une riche famille patricienne zurichoise.

– Collectionneur dès l’âge de 16 ans, il fonde en 1922 le Prix Gottfried Keller.

– Dès 1939, il s’installe à Genève, et se met au service du CICR, le Comité International de la Croix-Rouge (il en sera le vice-président de 1947 à 1964).

– Peu avant sa mort, il crée une fondation dotée d’une bibliothèque qui inclut 160’000 ouvrages, en 80 langues. Que des pièces rares: papyrus, manuscrits, incunables, premières éditions etc.

– Le projet du musée date de 1998. Inauguré en 2003, il est ouvert du mardi au dimanche, de 14h00 à 18h00 (19-21, route du Guignard, Cologny).

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