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Ces vrais paysages qui n’existent pas

Deak Ferrand et l'un de ses 'environnements créés'. swissinfo.ch

Le cinéma est l’art du faux. Le Genevois Deak Ferrand, émigré à Hollywood, l’a démontré aussi bien dans 'Le Seigneur des Anneaux’ que dans 'Matrix’.

Spécialiste du ‘Matte Painting’, c’est-à-dire de peinture numérique pour le cinéma, il est membre du jury du 5e ‘Neuchâtel international fantastic film festival’.

Photo de cavaliers galopant dans le désert, quelques dunes caillouteuses autour d’eux. Juste en-dessous, la même image. Mais sur les dunes ont poussé des ruines, des ksars déglingués et fantomatiques. Entre ces deux images – celle qui a été réellement tournée, et celle que les spectateurs découvrent à l’écran – il y a le travail de Deak Ferrand.

Une création numérique, insérée lors de la post-production dans l’image même du film, numérisé entre-temps. Ce travail-là, l’artiste genevois et l’entreprise qu’il a créée en Californie, ‘HATCH’, l’ont également effectué sur des films comme ‘Le Seigneur des Anneaux» ou «Matrix». Rien que ça.

En attendant de passer lui-même à la réalisation…

swissinfo: Vous êtes un spécialiste du ‘Matte Painting’… Un terme qui nécessite quelques explications…

Deak Ferrand: Le nom vient de l’époque où l’on peignait sur verre. On faisait un ‘matte’ sur le négatif original. Aujourd’hui, le nom est resté, mais on n’a plus besoin de faire ça. On peut appeler cette technique du ‘digital painting’, ou du ‘created environnement’, c’est-à-dire un environnement créé.

swissinfo: Quelles sont les techniques graphiques employées?

D.F.: Auparavant, tout se faisait à l’acrylique ou à l’huile, et était peint à la main. Aujourd’hui, avec des logiciels comme ‘Photoshop’ ou ‘Softimage’, ou des logiciels 3D, il n’y a aucune limites dans l’utilisation de photos existantes.

Ce qui compte, c’est le résultat final. Personnellement, j’utilise n’importe quelle technique, n’importe quelle source pour arriver à ce que je veux. Des photos que je réalise, des scans de livres, des recherches Internet, mais je peins aussi, numériquement.

On est d’ailleurs en train de développer un DVD qui montre, avec des ‘step by step’, comment faire des matte paintings. Y figureront à peu près 12 heures d’explications visuelles, qui expliquent tout. On le trouvera d’ici quelques mois sur notre site web.

swissinfo: Lors de la post-production, qui s’occupe de l’intégration?

D.F.: Le film est scanné, puis il arrive chez nous. Je fais moi-même les corrections couleurs pour mes plans, je fais mon matte painting, le compositing – le fait de mettre les éléments ensemble. Je veux avoir le contrôle sur le produit final. En fait, on renvoie un produit fini. Ils nous envoie un film, on leur renvoie un film!

swissinfo: Vous avez travaillé sur des films au succès retentissant, vous êtes reconnu à Hollywood… Vous êtes-vous habitué à cette idée, ou cela reste-t-il un rêve éveillé?

D.F.: Je doute complètement de ce que je fais, jusqu’au moment où je livre quelque chose. Rien n’est acquis. A chaque projet, je pense que ça ne va pas marcher, qu’ils vont trouver que je suis nul… Aux Etats-Unis, il faut être quand même assez bon, parce qu’il y a 300 gars qui attendent derrière toi. Et beaucoup de jeunes, très forts. Donc non, rien n’est acquis.

swissinfo: Vous avez étudié au Canada, au ‘National Center for Animation and Design’… comment s’est fait le grand saut?

D.F.: J’ai fait une année et demie d’arts déco à Genève, puis j’ai été mis dehors. On m’a dit d’aller faire autre chose. J’ai commencé un apprentissage, puis j’ai abandonné et je me suis retrouvé sans rien. Absolument sans rien.

J’ai décidé de partir parce que j’étais un raté complet en Suisse, je n’avais pas trouvé une technique dans laquelle je pouvais mettre ce que je voulais, même si je savais déjà que je voulais faire du cinéma. Alors je suis parti à Toronto, puis à Montréal. Je devais y rester deux semaines, j’y suis resté quatre ans.

En fait, j’avais un rêve, parce qu’il faut se mettre un but dans la vie. C’était: ‘Je veux travailler chez Industrial Light & Magic, la compagnie de George Lucas, et je veux travailler sur ‘Star Wars’. Finalement, ILM m’a appelé pour Star Wars. Ils m’ont fait venir deux fois, et j’ai dit non! A cette époque-là, j’avais moins ce rêve américain, j’avais plutôt envie d’être indépendant.

swissinfo: En 1995, vous êtes parti en Californie et en 2001, vous avez monté votre propre entreprise, ‘HATCH’. Qu’est-ce qui vous frappe dans la façon de fonctionner, d’un côté ou de l’autre de l’océan?

D.F.: Les Etats-Unis ne sont pas un pays parfait. Mais la grosse différence, c’est que si vous avez un peu de talent et que vous en voulez, les gens vont vous donner la chance de pouvoir prouver de quoi vous êtes fait.

L’impression que j’ai en Europe, en Suisse ou en France, c’est que les gens ne vont pas vous donner cette chance. Cela marche plus par piston, par relations. Là-bas ils se foutent de savoir d’où tu viens, ce que tu faisais avant, si tu as 18 ans…

Aux USA, tu montres ce que tu fais. Si c’est bien, on te donne ta chance, si tu fais de nouveau bien, on te donne autre chose et ça continue comme ça. C’est incroyable. Et génial.

swissinfo: Qu’est-ce que les Américains recherchent chez les créateurs européens?

D.F.: Une sorte d’exotisme européen. Quelque chose de plus profond qu’on trouve dans cette ‘vieille Europe’. Par exemple, la lumière est différente en Europe. J’essaie de mettre beaucoup de références européennes dans ce que je fais. Chaque fois que je viens ici en vacances, je prends à peu près 3000 photos de références. J’espère que cela se voit dans mes peintures…

swissinfo: Vous êtes présent au Nifff en tant que membre du jury… Parvenez-vous encore à voir un film avec un œil de spectateur?

D.F.: Je suis un amoureux du cinéma. J’aime le film. Mon métier, c’est les effets spéciaux, mais j’aime le film en général, avant tout. Donc je m’immerge totalement dans un film.

swissinfo, Bernard Léchot à Neuchâtel

Le 5ème ‘Neuchâtel international fantastic film festival’ a lieu du 28 juin au 3 juillet.
Deak Ferrand est membre du jury de la compétition internationale.
Une exposition lui est consacrée au Théâtre du Passage.
Il donnera une conférence sur le procédé du ‘matte painting’ samedi 2 juillet à 15h45 au cinéma Apollo.

– Le Genevois Deak Ferrand est né il y a 36 ans. Etudes en arts graphiques avortées.

– 1991: il s’exile au Canada. Il y suit des cours au ‘National Center for Animation and Design’.

– Débuts professionnels à Montréal. En 1995, il est envoyé à Santa Monica (USA).

– 2001: Il fonde HATCH, sa propre entreprise d’effets visuels.

– Deak Ferrand a contribué à des films tels What Dreams May come, X-Men, Lord of the Rings, The Scorpion King, The Two Towers, Matrix Revolutions, Hellboy, Van Helsing, Blade Trinity, Constantine.

– Il travaillera peut-être sur la prochaine mouture de King Kong, et envisage de réaliser lui-même un long métrage à partir de A Princess of Mars d’Edgar Rice Burrough.

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