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Les jeunes comédiens romands rêvent de Paris… et de Lausanne

Rosine Rochette à Paris dans les années 1970. La Genevoise rêvait de la capitale française pour fuir son milieu familial et la bonne société du bout du lac. DR

Paris et ses écoles de théâtre attirent toujours les acteurs en herbe. Moins qu’autrefois? La Manufacture et les autres lieux de formation romands soutiennent désormais la comparaison.   

Partir. «Monter» à Paris pour devenir comédien. Entrer au prestigieux Conservatoire d’arts dramatiquesLien externe, ou dans une autre école, et apprendre le métier dans la ville de Molière. Des générations de Suisses en ont rêvé, beaucoup l’ont fait.

Gaël Kamilindi dans Electre/Oreste, à la Comédie française à partir du 25 octobre. DR

Pour ne citer que les plus célèbres: le metteur en scène Christoph Marthaler, qui a suivi l’école Jacques LecoqLien externe dans les 1970, tout comme le comédien Gilles Privat; l’acteur Jean-Luc Bideau qui a fait le Conservatoire, tout comme Vincent Perez. Sans oublier le légendaire Michel Simon, qui se forma à Paris…sur le tas.

Et au XXIe sièce? La Ville-lumière et ses 130 salles de spectacle attire-t-elle toujours autant les apprentis-comédiens romands? Pensionnaire de la Comédie française, le Genevois Gaël Kamilindi se revoit, il y a onze ans, à sa sortie du cours préparatoire du Conservatoire de Genève, dirigé par Anne-Marie Delbart. «On tentait tous les concours d’entrée des grandes écoles. Le Théâtre national de StrasbourgLien externe m’intéressait, parce qu’il forme à tous les métiers du théâtre et qu’on s’imagine en sortir avec une troupe déjà constituée. Mais aussi la ManufactureLien externe à Lausanne, une très bonne école.»

Paris trop élitiste?

Et Paris? «Tout le monde nous dissuadait de tenter le coup: aucune chance! Et trop individualiste, trop élitiste.» Ironie de l’histoire, Gaël est reçu au Conservatoire de Paris. Pas à Strasbourg. «La première année, j’avais beaucoup d’appréhension. J’avais le sentiment de devoir prouver qu’on avait bien fait de me choisir. J’attendais aussi que les professeurs me révèlent l’art du théâtre. Puis j’ai compris que cela devait venir de moi-même», confie le comédien né en République démocratique du Congo, dans sa coquette loge de la Comédie française, rue Richelieu.

De son cours préparatoire à Genève et de ses aventures en Suisse, il reste une petite communauté assez soudée de comédiens qui se croisent souvent à Paris: de Tamaïti Torlasco à David Casada, en passant par Lola Riccaboni. Les deux derniers sont d’ailleurs à l’affiche, avec Gilles Privat, d’un très helvétique «Misanthrope»Lien externe au Théâtre de la Ville de Paris. Quant à Kamilindi, il joue dès le mois d’octobre dans les «Fourberies de Scapin»Lien externe de Molière et «Electre/Oreste» d’après Euripide.

Français et Belges tentés par Lausanne

«Il y a toujours des jeunes qui ont envie de ‘monter’ à Paris, remarque Anne Papilloud, secrétaire générale du Syndicat suisse romand du spectacle. Mais aujourd’hui, on constate aussi que de nombreux Français et Belges ‘descendent’ en Suisse romande pour y apprendre le métier. Les conditions de vie y sont plus favorables. Les écoles de bonne qualité. Et les comédiens professionnels peuvent bénéficier d’un régime chômage qui est proche du système français de l’intermittence du spectacle». 

«Il y a toujours des jeunes qui ont envie de ‘monter’ à Paris, Mais de nombreux Français et Belges ‘descendent’ en Suisse romande pour y apprendre le métier»
Anne Papilloud, Syndicat suisse romand du spectacle

Une tendance qu’on observe aussi à la Manufacture, la Haute école des arts de la scène, installée à Lausanne. «Chaque année, davantage de Suisses s’inscrivent au concours d’entrée, note Marion Grossiord, responsable de la communication. Français et Belges se présentent aussi en nombre croissant, et pas seulement les frontaliers.»

Souvent, plus que la ville ou le pays, ce sont les affinités pour un certain type de théâtre qui orientent les choix. Après une année de cours préparatoire au Théâtre populaire romand (TPR)Lien externe, la chaux-de-fonnière Aloïse Held, 20 ans, n’a pas hésité longuement. Préfèrant le théâtre gestuel, le masque, au texte pur et dur, elle vise les enseignements inspirés par le précurseur Jacques Lecoq. Notamment l’école Serge Martin, à Genève, mais c’est finalement à l’école Lassaad, à Bruxelles, qu’elle est prise. «Je serais bien restée en Suisse pour tisser mon réseau, comme mes amis de La Chaux-de-Fonds qui sont partis à Verscio, à L’Accademia Teatro Dimitri, ou aux Teintureries à Lausanne, mais c’est très excitant, et un peu affolant, de partir à l’étranger.»

A Paris pour prendre le large

Partir pour prendre le large? Et s’affranchir d’un milieu trop confiné? Au fond, rien n’a changé. En 1956, la Genevoise Rosine Rochette rêve de la capitale française, pour fuir son milieu familial et la bonne société du bout du lac. «Je voulais être libre et ne plus dépendre de mes parents, farouchement opposés à mon choix de faire du théâtre», se rappelle la comédienne, qui vient de publier un beau livre autobiographique, «Scènes de vie et vie sur scène», aux éditions L’Harmattan.

En guise de «cours préparatoire» au concours du Conservatoire de Paris, Rosine Rochette va voir le célèbre comédien français Jean Piat, en villégiature au bord du Léman. Dans le silence imposant d’une belle villa, elle lui lit des répliques de Bérénice (Racine) et Célimène (Molière). «Vous êtes encore très jeune, lui répond Jean Piat. Ce personnage de Bérénice, c’est encore un peu tôt pour une jeune fille de votre âge. Si j’étais vous, franchement, j’attendrais un peu.» Il faut dire qu’entretemps, les parents de la jeune femme ont appelé Piat pour la dissuader de se lancer sur les planches…

Rosine Rochette n’en démord pas. Elle sera reçue à l’unanimité au conservatoire de Paris. «J’y ai appris à bien dire les textes. Moins à jouer avec mon corps», confie-t-elle. Après un à peine mois d’école, elle est embauchée par le Théâtre Hébertot pour une scène de viol avec Roger Hanin, dans «La Nuit romaine» de Vidalie.

Ses six années au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, où elle jouera dans les célèbres pièces «Les Clowns» et «1789», lui permettront d’aborder un théâtre plus physique, plus incarné. Elle travaillera ensuite avec les plus grands metteurs en scène, de Roger Planchon à Jacques Lassalle, en passant par le Suisse Claude Goretta.

A la ManufactureLien externe, les cours de théâtre ont débuté mardi 17 septembre, pour 16 nouveaux élèves sélectionnés parmi 182 candidats. Fondée en 2003 par les cantons romands et la partie francophone du canton de Berne, la Manufacture est intégrée en 2006 à la Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale (HES·SO). Elle délivre des titres de Bachelor et de Master reconnus au niveau européen. 

L’école de théâtre Serge MartinLien externe, à Genève, a fait peau neuve en 2017, avec une seule classe qui réunit au fur et à mesure des années tous les élèves. «Pour une meilleure émulation encore comme avec le mélange des âges ou des nationalités. La mission de l’école est de former des plongeurs qui s’aventurent et pas seulement de bons nageurs: des acteurs pour la scène, un espace extraordinaire», indique le site de l’école fondée par Serge Martin, formé lui-même à Paris à l’école Jacques Lecoq.

Les TeintureriesLien externe, à Lausanne, «développent l’art d’être acteur.trice dans les différentes formes artistiques du théâtre d’aujourd’hui : interprétation des textes classiques et contemporains, écriture et création de plateau, théâtre documentaire, théâtre et vidéo en direct».

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