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«Efina», vue imprenable sur l’amour

C. Hélie Gallimard

Paru chez Gallimard, le deuxième roman de la Valaisanne Noëlle Revaz est un sommet d'intelligence et d'humour. A lire surtout si on a le cœur qui chavire. Critique.

Il y a beaucoup de chiens dans Efina. Il y en a un «qui s’exprime par la langue et (…) n’en finit pas de lécher». Celui-ci «aboie peu, mais il aboie bien» et sa «queue est infatigable».

Et puis il y en a un autre, «un beau mâle» avec un «corps étroit, tout en muscles». Celui-là, on le tient en laisse par crainte des incartades. Il «n’a pas le droit de prendre de la distance». Mais on lui accorde quand même un peu de liberté, «juste assez pour lever la patte sans que la laisse tire son cou (…). Juste assez pour ne pas renifler les filles et ne pas leur faire des enfants».

Séducteur, colossal, tyrannique

Il y en a encore un qui sort complètement de l’ordinaire. Lui, n’appartient pas à la race canine, mais c’est tout comme. D’ailleurs, il ne porte pas de nom. Peut-être justement parce qu’il concentre sur lui tous les chiens de la terre. Il les représente un peu, on peut même dire beaucoup. C’est sans doute pour cela qu’il s’appelle T. Vous comprenez, sous cette lettre se cachent mille identités, mais brille un seul et même visage. Celui d’un don Juan, ou plutôt d’un chien toujours prêt à décimer les lapins.

A côté de ce T, le Don Juan de Molière peut aller se rhabiller. T, séducteur colossal, attirant, répugnant, amant prodigieux ou piteux, c’est selon. Selon qu’il se montre tyrannique au lit ou pas. Car si T se nourrit de femmes, il ne digère aucune d’elles. T change de partenaires comme il change de chemises, fait l’amour comme on boit un verre d’eau.

Dire qu’il est un cynique résonne comme un lieu commun. Non, T est «un prince de mauvaise foi». Un homme double en somme, exactement comme le voit Efina, un jeudi soir au théâtre.

Effets de miroir

Donc Efina «voit sur la scène deux hommes, deux comédiens qui entrent alternativement. L’un, avec du ventre, un escroc. L’autre fin et calme, un notable. Quand la pièce est terminée, un acteur vient saluer et, à le voir, elle comprend: il était à lui seul deux hommes».

T, comédien fabuleux, seigneur et crapule, sur les planches comme à la ville. Dans un cas comme dans l’autre, il se crée un costume, une perruque, une voix et des sentiments qu’il n’épouse guère bien sûr. Tout est affaire de jeu chez lui. «Le jeu est dans la chair de T».

Il est aussi dans la chair d’Efina, roman à effets de miroir qui porte comme sous-titre L’amour en scène.

De l’amour, Noëlle Revaz a une vision aussi drôle que monstrueuse, c’est-à-dire très juste. Pour elle, l’affaire se résume en ces mots lapidaires: «L’amour, ce truc identique chez tout le monde».

Des années plus tard

Mais pour Efina, son héroïne, il en est autrement. Efina, dans sa rage de vouloir aimer T, trouve une raison de vivre. Cela commence par une lettre. Cela se termine bien des années plus tard sur un banc, dans un parc.

Entre temps, le comédien séduisant que fut T s’est vidé de sa substance. Son costume s’est fané, sa consistance s’est liquéfiée au fil des nuits. Mais attention! Pas de morale pour autant chez Noëlle Revaz, pas de Commandeur pour emmener le séducteur aux enfers. Le seul enfer ici est celui des vies prises dans un va et vient entre attrait et rejet, exténuant.

Entre Efina et T, c’est un duel sans merci, long. Très long. Des tonnes de lettres échangées, incendiaires, salaces, tendres, insultantes, comiques surtout… Entre les lignes, le désir de plaire de l’une, la volonté de déplaire de l’autre.

L’amour, une grande supercherie

Pour un séducteur, cela peut paraître étonnant. Mais non, la force de T est là, dans sa mauvaise foi. La faiblesse d’Efina est d’y croire à chaque fois. De croire que, sous le sourire affiché, se cache un beau sentiment. Mais le sourire de T n’est qu’une mimique. Mieux vaut s’en accommoder.

Voilà donc Efina avec plein d’amants dans son lit et plein de chiens à ses pieds. Car oui, elle aime les chiens, Efina. Les vrais aussi. Noëlle Revaz excelle dans ce rapprochement métaphorique entre les deux espèces. Chien/homme: un duo attendrissant et édifiant. La romancière y va par fines touches néanmoins.

Rien n’est pesant chez elle. Même pas ce tourbillon vertigineux de missives reçues et envoyées. Même pas ce vide abyssal que T remplit par ses conquêtes féminines.

Tout est ici nimbé d’une ironie légère, intelligente, qui se passe de tout décor pour mettre en scène une grande supercherie, l’amour.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Efina… ou l’amour en scène, de Noëlle Revaz. Gallimard, 2009, 182 pages.

Née en 1968 à Vernayaz, en Valais, dans une famille de neuf enfants.

Après avoir suivi des études de lettres à l’Université de Lausanne, elle signe, entre 1995 et 1996, des chroniques radiophoniques sous le pseudonyme de Maurice Salanfe.

Pour la TSR (Télévision Suisse Romande), elle écrit des sketches: Le Petit Silvant illustré, La minute kiosque.
Elle publie également des nouvelles dans la presse romande.

En 2002, paraît chez Gallimard son premier roman Rapport aux bêtes qui reçoit plusieurs prix littéraires, dont le Prix Schiller. Le livre raconte l’histoire d’un paysan rustre qui rudoie son entourage, jusqu’au jour où il rencontre un ouvrier portugais. Celui-ci va alors changer sa vie.

En 2003, le roman est adapté à la scène et créé à Genève par Andrea Novicov. Il a été aussi porté à l’écran.

En 2007, elle reçoit le Prix SSA (Société Suisse des Auteurs) à l’écriture théâtrale pour sa pièce Quand Mamie.

En 2008, elle écrit pour Sion en Lumière un spectacle intitulé On a volé l’Epée de la Régalie.

En 2009, paraît Efina… ou l’amour en scène toujours chez Gallimard.

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