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Faut-il sauver le «Suisse» Jean-Paul Marat?

Jean-Louis David, Le mort de Marat, 1793 Musées Royaux des Beaux-Arts at Brussels

La mémoire collective a fait de Marat, né en 1743 à Boudry dans le canton de Neuchâtel, une brute sanguinaire. Faut-il corriger cette image? Retour sur un personnage central et atypique, à l'occasion du 220e anniversaire de 1789 et d'une exposition au Musée de la Révolution française.

A l’entrée du Musée de la Révolution française, installé au Domaine de Vizille, près de Grenoble, un petit carton prévient le public: «L’assassinat de Marat par Charlotte Corday est une crime violent. Sa représentation a généré des œuvres susceptibles de choquer la sensibilité du public».

C’est vrai que, plus de deux cents ans après les faits, la scène de la baignoire ensanglantée n’a rien perdu de son «mordant». Juste après le crime, le soir du 13 juillet 1793, le peintre Jean-Jacques Hauer se précipite au domicile de Marat. Le tableau qu’il peint rapidement montre Marat les yeux exorbités, le sang coulant à flots de sa poitrine, tandis que Charlotte Corday quitte l’appartement du révolutionnaire couteau en main, l’air satisfait.

Des hurlements des bêtes féroces

Le célèbre David accourt à peu près au même moment. Son Marat, achevé trois mois plus tard, est plus apaisé. Plume à la main, il semble poursuivre dans la mort son combat contre le «despotisme».

Qui est Marat? Une brute sanguinaire? Un révolutionnaire intègre, proche du peuple? Un «Suisse», qui a vécu longtemps outre-Manche, «étranger aux mœurs françaises»? Michelet, le grand historien du XIXe siècle, a figé pour longtemps l’image de Jean-Paul Marat: «Echappé de sa cave, sans rapport avec la lumière, ce personnage étrange, au visage cuivré, ne semblait pas de ce monde-ci. Il voyait bien l’étonnement des simples, il en jouissait. Le nez au vent, retroussé, vaniteux, aspirant tous les souffles de la popularité, les lèvres fades et comme vomissantes, prêtes, en effet, à vomir les injures et les fausses nouvelles.»

La Suissesse Germaine de Staël n’est pas plus tendre. «Jamais on n’avait vu la parole humaine aussi dénaturée; les hurlements des bêtes féroces pourraient être traduits dans ce langage.»

Un «monstre» qui naît en 1743 à Boudry, dans le canton de Neuchâtel, d’un père réfugié italien et d’une mère française. On sait peu de choses sur son enfance. La légende noire fera du petit Jean-Paul Mara – il francisera plus tard son nom – un chef de bande terrorisant le pays. La réalité est plus banale: Il fait «des études sérieuses, où la religion tint sa place», note son biographe Olivier Coquard, qui rappelle qu’une Bible lui ayant appartenu est conservée à la Bibliothèque de Neuchâtel.

Marat le cosmopolite

Mara quitte Neuchâtel pour Bordeaux à l’âge de 17 ans, pour devenir le précepteur des enfants de Paul Nairac, un grand négociant, et négrier, bordelais.

Devenu médecin, savant, publiciste, Marat gardera des liens avec son pays natal, notamment pour publier ses ouvrages. Il voyage, s’installe en Angleterre, où il pratique la médecine. Puis s’initie à la critique sociale et politique. Un «cosmopolitisme» dont se serviront ses adversaires.

«Du fait de sa naissance à Neuchâtel et de ses séjours britanniques, certains ont mis en doute son patriotisme, l’ont accusé d’être pro-anglais», note Guillaume Mazeau, commissaire de l’exposition que consacre à Marat et Charlotte Corday le Musée de la Révolution française. «Dans les années 1930-40, l’extrême-droite a même fait de Marat un juif, une figure de l’indignité nationale», ajoute l’historien.

Des chercheurs contre une légende

C’est à cette légende que plusieurs chercheurs actuels s’attaquent. Avec prudence et sans esprit partisan. Marat est certes loin d’être un ange. A l’aube de la Révolution, le Neuchâtelois est un homme des Lumières assez typique, mais pas vraiment reconnu par ses pairs. Un travailleur forcené, doté d’une culture considérable, mais aussi un personnage mégalomane, un brin schizophrène. Il a 46 ans. 1789 tombe à pic. Il s’adapte rapidement à son nouveau métier: journaliste de combat, polémiste, démagogue: il sera l’«Ami du peuple», titre du journal qui le rend célèbre.

«Par l’extrême violence de ses mots, Marat exerce une responsabilité certaine dans la radicalisation de la révolution et les débordements qui l’accompagnent», estime Guillaume Mazeau. Il vote la mort du roi, demande un décret mettant à prix la tête des membres de la famille royale en fuite, attaque violemment les Girondins.

Pour autant, faut-il lui attribuer toutes les dérives de la Révolution, notamment les massacres de septembre 1792? «Marat n’a jamais été un «septembriseur», mais ses appels constants et répétés à l’élimination des traitres à la patrie ont trouvé, dans le contexte de l’été 1792 finissant, un écho qu’ils n’ont jamais eu alors», écrit Olivier Coquard. En somme: responsable, mais pas coupable.

Une posture de martyr

Si Marat s’en est moins bien tiré que d’autres à travers les siècles, c’est qu’il était assez isolé, note Olivier Coquard: «Détesté par les Girondins, méprisé par les Montagnards, Danton et Robespierre en tête. Marat recherchait d’ailleurs lui-même cette posture de martyr.» Plus proche du peuple que des élites. «Sur son intégrité personnelle, on ne peut lui faire aucun reproche. Il n’appartenait pas à la gauche caviar.»

Ce qui étonne l’historien Guillaume Mazeau, c’est la popularité presque inébranlable jusqu’à nos jours de Charlotte Corday, qui contraste avec la marginalisation de Marat, acteur pourtant central de la Révolution française. Comme si l’Histoire avait donné raison à l’assassin – une jeune et belle Normande influencée par le milieu girondin et contre-révolutionnaire – et non à sa victime.

«Chacun accommode Charlotte à sa sauce. Même le philosophe Michel Onfray, qui représente une certaine gauche radicale, fait l’éloge de Charlotte dans son dernier ouvrage, La religion du poignard (éditions Galilée). Il voit en elle une athée libertaire, alors qu’elle était vierge et catholique. Un comble!»

Mathieu van Berchem à Paris, swissinfo.ch

De son vrai nom Marie Anne Charlotte de Corday d’Armans, celle qu’on surnommera la «pucelle de Caen» est issue d’une modeste famille de la vieille noblesse normande. Elle est la petite-nièce de Corneille.

Choquée par les brimades que subissent ses proches et par la guerre civile, elle sympathise en 1793 avec le mouvement d’opposition à la Montagne (parti dominant à Paris). Alors que son entourage est contre-révolutionnaire, elle s’engage dans la voie de la révolution modérée que proposent notamment les Girondins les plus conservateurs.

En juin 1793, elle se décide à tuer celui que l’on présente alors, avec Robespierre et Danton, comme le principal coupable des violences: Marat.

Charlotte Corday part à Paris, échoue dans sa tentative d’approcher Marat, puis réussit à se faire introduire chez lui, le soir du 13 juillet.

Marat, malade de la peau depuis longtemps, est dans sa baignoire. Il corrige des numéros de son journal l’Ami du peuple.

Charlotte Corday, qui a acheté un couteau de cuisine au Palais royal, se fait passer pour une alliée: elle lui fournit une liste de «rebelles» à Caen. Marat lui répond: «Je les ferai tous guillotiner.»

Charlotte sort alors son couteau et le plonge dans la poitrine de Marat. Elle est remise à la police, jugée, puis guillotinée quatre jours plus tard.

C’est dans ce château, situé aux portes de Grenoble, que s’est réunie, le 21 juillet 1788, l’assemblée des trois ordres du Dauphiné.

L’Assemblée de Vizille, manifestation politique déterminante dans l’amorce des bouleversements politiques de 1789, a scellé le destin du château, aujourd’hui musée de la Révolution française.

Corday contre Marat, les discordes de l’Histoire. Musée de la Révolution française, Domaine de Vizille. Jusqu’au 28 septembre 2009. Fermé le mardi.

A lire: Le bain de l’histoire, par Guillaume Mazeau, éditions Champ Vallon, et Marat, par Olivier Coquard, éditions Fayard.

L’Hebdo consacre cette semaine un dossier aux Suisses qui ont fait la Révolution française.

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