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L’amour, entre jouissance et fosse d’aisance

Une vision résolument 'cartoon' de Molière. Photo: Marc Vanappelghem

A Genève, Omar Porras crée «Les Fourberies de Scapin». Pour cette comédie légère de Molière, le metteur en scène colombien, établi en Suisse, a mobilisé les gros calibres du comique. Son spectacle sera joué en France et au Japon cette année.

On l’entend comme des coups de feu, cette chasse d’eau tirée en rafales durant le spectacle. C’est que la chose est centrée sur quelque affaire de ventre. Pas étonnant, nous sommes chez Molière, qui administre son rire purgatif contre l’indigestion du mariage.
Il faut dire que le mal d’amour a toujours saisi aux tripes l’homme Molière, déçu, de son vivant, par les deux Béjart, mère et fille. Plusieurs de ses pièces ont été le reflet de son dépit amoureux. Il y eut à cet égard «l’Ecole des maris» et «L’Ecole des femmes», mais aussi un chef-d’œuvre «Le Misanthrope».
Il y eut aussi des comédies moins fines, dans le genre farce, comme «Les Fourberies de Scapin» qu’Omar Porras crée à Genève, au Théâtre de Carouge.

Maître du jeu

«Les Fourberies…», telles que vues par le metteur en scène colombien, c’est l’amour entre jouissance et fosse d’aisance : des cœurs qui s’épanchent et des ventres qui se lâchent. Face à face deux camps: les amoureux et leurs contradicteurs. Fils généreux et ardents contre pères avaricieux et pleutres. Les premiers veulent vivre avec les femmes qu’ils aiment, les seconds veulent les en empêcher.

Au milieu, il y a Scapin, un valet perfide, qui s’affranchit de sa servitude en s’imposant maître du jeu. C’est lui qui tire les ficelles de cette comédie: autant il sait faire plaisir aux enfants, autant il sait faire peur à leurs géniteurs. Sa méthode? Le chantage, qui agit comme un laxatif et envoie aux chiottes les parents.

Pendant que ceux-ci grimacent, leur progéniture exulte. Larmes et joies s’expriment ici dans un décor tout droit sorti d’un cartoon de Walt Disney: une taverne aux couleurs criardes, au look cruellement kitsch, avec un juke-box art déco, des WC aux portes battantes (façon saloon western) et un bar design.

Propulsées ainsi dans le monde de la culture pop, «Les Fourberies…» de Porras multiplient les clins d’œil au dessin animé. C’est que l’amour ici a quelque chose d’un mouvement qui toujours se décompose et se recompose. Il vit au rythme des soubresauts du cœur et des gags visuels qui leur viennent en appui.

A peine lâchés sur scène, Scapin et son ami Sylvestre montent au feu et tirent. Leurs coups de pistolet sont autant de coups de pied à la morale bourgeoise des deux pères, Argante et Géronte, joués ici par des femmes. Gueulards à souhait, ces deux-là houspillent une piétaille de nourrices et de serveuses drôlement fagotées, la chaussure glissant sur la musique d’une danse tecktonik, le regard fuyant derrière un masque de demeurées.

Des Simpson à Bécassine

L’affaire se corse quand débarque l’un des deux fils, Léandre. Le flash est alors immédiat: c’est Bart l’affreux jojo de la série culte américaine «Les Simpson», cartoon signé Matt Groening. Trapu, la taille comprimée dans un costume à carreaux étriqué, les cheveux jaunes dressés comme les épis d’un balai, il a tout de l’amant que l’on fuit.

Il faut dire que le physique de sa dulcinée, Zerbinette, n’est guère plus alléchant. Elle, c’est Bécassine, revue et corrigée par Omar Porras. Soit une jeune femme aux cheveux rouges, portant chaussettes de couleur idoine, parlant d’une voix aigrelette et cheminant joyeusement de gaffe en gaffe.

Pour Scapin et ses fourberies, Porras a tendu tous les ressorts de la comédie. Et ce n’est pas nouveau chez lui. Sa façon de prendre l’humanité à rebrousse-poil fit merveille dans «La Visite de la vieille dame» comme dans «Maître Puntila et son valet Matti», deux de ses précédents spectacles. Ici, il se met au diapason de Molière dont «Les Fourberies…» restent une plaisante badinerie.

swissinfo, Ghania Adamo

«Les Fourberies de Scapin» de Molière par le Teatro Malandro.

Mise en scène d’Omar Porras. Décor de Fredy Porras.

Suisse romande
– Théâtre de Carouge, Genève, jusqu’au 10 mai.
– Théâtre Forum Meyrin, Genève, du 14 au 20 mai.
Une tournée romande est prévue pour la saison 2009-2010

France
Chambéry, du 26 au 28 mai
Lyon : du 3 au 10 juin
Montpellier : 17 et 18 juin

Japon
Dans le cadre du SPAC Festival, Shizuoka : 4 et 5 juillet.

Né à Bogota en Colombie, il y a 45 ans, il se forme à la danse et au théâtre en Amérique latine et en Europe.

C’est en 1990, qu’il fonde à Genève le Teatro Malandro, centre de création, de formation et de recherche.

Sa technique théâtrale s’inspire à la fois de la tradition occidentale et orientale. Elle mêle l’art de l’acteur, de la marionnette, la danse et la musique.

Dès ses débuts, il se tourne vers les grands textes en mettant en scène aussi bien les auteurs du passé (Euripide, Shakespeare…) que les écrivains contemporains (Dürrenmatt, Brecht…).

Ses spectacles sont présentés sur les plus grandes scènes européennes et dans de nombreux festivals, en Europe comme en Amérique latine.

Il est également acteur dans bon nombre de ses créations et metteur en scène d’opéra.

Il a récemment monté à l’Opéra de Toulouse «La Périchole».

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