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Le gruyère, un «swiss cheese» comme un autre?

Contrairement à l'emmental, les exportations de gruyère AOC ont reculé en 2007. gruyere.com

Les deux tiers des membres de l'OMC demandent une amélioration de la protection des indications géographiques et la création d'un registre international. Avec cette nouveauté: la protection à la fois de la biodiversité et des savoirs traditionnels.

Les montres, le gruyère et le basmati, même combat! 110 pays – dont la Suisse, l’Union européenne et de très nombreux pays du Sud – demandent à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de mettre la propriété intellectuelle au service des productions locales et traditionnelles, ainsi que de la biodiversité et des savoirs traditionnels.

Cette coalition hétéroclite a vu le jour en juillet dernier dans le cadre de la rencontre ministérielle à Genève, mais c’est la semaine passée qu’elle a renouvelé sa proposition à la réunion du Conseil des ADPIC (Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.)

Protection de la biodiversité

Ainsi, les deux tiers des membres de l’OMC proposent d’aborder conjointement trois sujets traités jusqu’ici séparément: l’amélioration de la protection des indications géographiques pour les produits autres que les vins et les spiritueux; la création d’un registre international des indications géographiques des vins et spiritueux; et la protection de la biodiversité et des savoirs traditionnels par le biais des brevets.

«Pour l’instant, une protection efficace des indications géographiques existe seulement pour les vins et spiritueux et le mandat de négocier un registre n’existe que pour ces deux produits. En clair, on pourra y enregistrer le Saint-Saphorin (vin), mais pas le gruyère, les montres suisses, l’huile d’argan ou le café de Colombie», explique Mathias Schaeli, chef des relations commerciales internationales à l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle à Berne.

Ainsi, précise encore Mathias Schaeli, «on peut théoriquement appeler ‘gruyère’ un fromage américain, pour autant qu’il porte l’indication ‘made in USA’. A la longue, le gruyère risque de ne plus être une désignation réservée à un produit suisse, mais simplement un type de fromage, comme c’est déjà le cas avec ‘swiss cheese’ aux Etats-Unis, qui désigne un fromage dur, jaune et avec des trous.»

Le Gruyère est une appellation d’origine contrôlée (AOC), un type spécial d’indication géographique. L’AOC peut être protégée comme telle devant les tribunaux suisses, «mais la protection à l’étranger est déterminée par les lois nationales des pays tiers et leurs obligations internationales, et c’est là que l’OMC et les ADPIC entrent en jeu!» souligne Mathias Schaeli.

Pression des géants agro-alimentaires

Mais les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et certains pays d’Amérique du Sud, comme le Chili ou l’Argentine, s’opposent à cela. Sous la pression des géants agro-alimentaires, ils défendent une utilisation libre de ces indications géographiques pour leurs produits, sans référence à une origine géographique précise. Ils s’inquiètent d’une possible mondialisation de la protection des indications géographiques et préfèrent la cloisonner au niveau national, où les géants agro-alimentaires sont plus influents.

La troisième proposition de la coalition consiste à amender l’Accord sur les ADPIC pour protéger la biodiversité et les savoirs traditionnels.

«C’est une question qui touche de près les pays du Sud: 80% de la biodiversité se trouve dans les pays en développement mais 90% des brevets sont dans les pays développés. Et bon nombre d’entre eux – relatifs aux produits pharmaceutiques, botaniques ou cosmétiques – reposent sur les ressources biologiques et les savoirs traditionnels du Sud», précise Sunjay Sudhir, délégué de l’Inde auprès de l’OMC

Convention non respectée

La Convention sur la biodiversité oblige les entreprises à indiquer clairement ces ressources et à partager les bénéfices avec les pays et les communautés autochtones. Mais elle n’est pas respectée.

«Nous proposons d’amender les ADPIC pour obliger les entreprises à inclure une indication de l’origine. Nous voulons aussi que la demande de brevet contienne l’évidence d’un accord informé et préalable des communautés autochtones et l’obligation de partager les bénéfices avec elles. Et nous souhaitons pouvoir entreprendre des actions légales en cas de non-respect de ces dispositions. Les brevets sont des droits individuels, ils ne reconnaissent pas les droits collectifs. Nous voulons corriger ce système pour préserver la biodiversité. Pour nous, c’est une condition de réussite du Cycle de Doha.»

swissinfo, Isolda Agazzi, InfoSud

La déclaration de novembre 2001 de la 4e conférence ministérielle de l’OMC à Doha, au Qatar, a établi le mandat des négociations sur divers thèmes.

Parmi ces négociations figurent celles qui ont trait à l’agriculture et aux services, qui ont commencé au début de 2000.

Mieux intégrer les pays en développement dans le commerce mondial et susciter l’essor du commerce sud-sud sont aussi des objectifs de ce cycle, assimilé à un «round» du développement.

A Doha, les ministres ont adopté une décision pour tenter de faire face aux difficultés auxquelles se heurtent les pays en développement dans la mise en œuvre des accords actuels de l’OMC.

Le mandat original a été affiné par les travaux menés à Cancún en 2003, à Genève en 2004 et à Hong Kong en 2005.

L’appellation d’origine contrôlée désigne un produit originaire d’une région ou d’un lieu déterminé. Ses caractéristiques proviennent de la combinaison d’une méthode de production et d’une zone géographique, un terroir.

Cette protection a été créée pour garantir l’origine du vin. Elle a ensuite été élargie à l’ensemble des produits agricoles ou alimentaires, puis aux produits forestiers et marins.

En Suisse, il y a 9 fromages AOC: les Berner Alpkäse et Berner Hobelkäse, le formaggio d’Alpe ticinese, la tête de moine, le sbrinz, le gruyère, l’étivaz, le vacherin Mont-d’Or, le vacherin fribourgeois et l’emmental.

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