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Michel Bühler, il était une fois…

Michel Bühler, la musique, les mots et la route. SP

Chanteur et écrivain, l’artiste vaudois réunit ses deux amours en consacrant un livre à la chanson. Un livre né d’une colère, et qui se veut à la fois coup de gueule, recueil de souvenirs et analyse d’un genre musical. Avec un peu d'aigreur et de mauvaise foi.

20 octobre 2010. Pour fêter la Francophonie réunie à Montreux, la Télévision suisse romande (TSR devenue aujourd’hui RTS, Radio télévision suisse) organise un spectacle de variétés intitulé «40 ans, 40 tubes».

Défilent alors des artistes français (Alain Souchon, Sylvie Vartan, Maxime Le Forestier, Camelia Jordana, Zaz), une Québécoise (Diane Dufresne), des Belges (Maurane, Axelle Red), un Réunionnais (Gérald de Palmas), des Maliens (Amadou & Mariam), un Algérien (Khaled), des Haïtiens (le groupe «Haïti en scène»).

Côté suisse, outre une prestation de l’imitateur Yann Lambiel, le chanteur Jérémie Kisling doit se limiter à donner une version du «Lundi au soleil» de l’inénarrable Claude François. Eh oui, la Suisse manquant de «tubes», les producteurs ont décidé de la représenter par une chanson cosignée par l’Helvète Patrick Juvet.  

Bref. A l’affiche, de la variété passablement calibrée, mais aucune «chanson romande» répertoriée comme telle. Et une délégation helvétique modeste. Le sang de Michel Bühler, mis au rancart malgré ses plus de quarante ans de chanson au compteur, ne fait qu’un tour.

«De ma colère, de cette blessure – mais oui – est né ce que vous tenez dans les mains. Qui pourrait avoir comme sous-titre : ‘Défense de la chanson’…», écrit-il.

Clé à molette

L’homme dégaine donc sa plume. Et signe un essai qui est à la fois une déclaration d’amour à un genre musical qu’à la différence de Gainsbourg il juge majeur, et une mise en accusation de tout ce qui ne va pas dans le sens de sa vision du genre.

Michel Bühler commence par se souvenir de l’Oncle Gustave, de la maison familiale où l’on chantait, comme dans les bistrots de campagne d’alors. Source de son parcours. Une chanson vivante, humaine, spontanée, authentique, qui réchauffait les cœurs. Et Bühler de se mettre à écrire à l’unisson: «Il y avait la belle Marianne, et Michel son amoureux, plus un paysan, un électricien, le garagiste, le vieux Willy et Adrien… ». On s’y croirait.

Parallèlement à ses souvenirs, il se lance avec humour dans une histoire de la chanson en forme de clin d’œil rupestre. Du premier borborygme vaguement musical poussé dans une caverne jusqu’à son éclatement en une multitude de déclinaisons: la chanson qui charme, celle qui émeut, celle qui fait penser, celle qui pousse les guerriers à marcher au pas, celle qui aide les bonnes âmes à croire au «Grand Lapin Bleu», celle qui fait marcher le tiroir-caisse…

Bref, la chanson, un outil unique et simple (une voix, des paroles, une mélodie) pour une multiplicité d’emplois, d’où le titre jovial de l’ouvrage, «La chanson est une clé à molette», paru chez Bernard Campiche Editeur.

Identités

Le livre de Michel Bühler est aussi le souvenir d’une époque où triompha sous nos latitudes cette «chanson romande» dont il était – c’est nous qui le disons – le fer de lance. Joli passage que le récit ému de cette fameuse «Fête à la chanson romande» qui, le 1er septembre 1979, réunit toute l’équipe d’alors – Bühler, Auberson, Huser, Dès, Buzzi, Schaeffer, Yvette Théraulaz et les autres – sous le parrainage de Jean Villard-Gilles.

Un peu plus tôt, au début des années 70, régnait, selon le chanteur cette fois, la multiculturalité. «Chaque pays, chaque région, avec sa langue et son génie propre, apportait sa pierre à l’édifice. Pas de mouvement centralisé, non, pas d’hégémonie d’une culture sur les autres, toutes étaient les bienvenues, toutes étaient invitées à participer à un foisonnement créatif extraordinaire», écrit-il.

Avant d’ajouter: «On entendait Dylan et Joan Baez, Vigneault, Leclerc, les Chiliens, les Cubains, les Portugais, les Catalans, les Wallons. En France (…), on chantait en occitan, en breton, en alsacien… Dans ce contexte, il était tout naturel qu’on revendique son appartenance à la Suisse romande pour écrire ses chansons, parler d’ici. C’est ce qu’a fait une génération d’auteurs-compositeurs qui affichaient tranquillement leur origine valaisanne, jurassienne, fribourgeoise, vaudoise. J’étais de ceux-là.»

Des propos qui sont pour Michel Bühler l’occasion de s’élever contre les médias de service public actuels, la radio spécialement, qui selon lui ne défend pas assez les artistes francophones de qualité en général, ceux d’ici en particulier (voir encadré), ni aucune diversité.

Combat légitime. Mais mémoire un peu sélective: si le bouillonnement multiculturel des années 70 évoqué plus haut existait bel et bien dans certains lieux de culture de l’époque, on ne peut pas dire que les médias d’alors s’en faisait systématiquement le reflet…

La mise en accusation des médias se poursuit logiquement par un réquisitoire contre l’invasion anglo-saxonne. Enfin, non. Pas anglo-saxonne. Américaine. Car pour Michel Bühler, le mal est américain. C’est exclusivement d’Outre-Atlantique que les miliciens musicaux au service du Grand Capital déferlent sur l’Europe offerte et soumise. «L’américanisation de nos ondes», écrit-il.

«The Times They Are A-Changin’»

Pourtant, il y a maintenant plus de 40 ans que la Grande-Bretagne, pays insulaire sans doute mais néanmoins européen, nous arrose de son génie musical: Beatles, Stones, U2, Simple Minds, Eurythmics, aujourd’hui Muse, Coldplay et bien d’autres, ont successivement squatté nos ondes, autant que les productions américaines.

Détail? Non. Car ce glissement artistico-politique n’est pas vraiment innocent, tout comme l’idéalisation de la diversité des années 70, déjà marquées par la toute puissance de la variété française et de la déferlante anglo-saxonne. Mais Michel Bühler a une thèse à défendre…

La RTS n’est pas assez diverse et ne diffuse pas assez d’artistes d’ici? On peut le penser. Mais constater aussi que le vrai gouffre en matière de diffusion des productions locales, ce fut plutôt les années 80 et 90, et qu’un changement d’attitude a été amorcé. Il est vrai par contre que «musique suisse» n’est pas synonyme de «chanson à texte en français», et c’est notamment là que Michel Bühler se cogne douloureusement au présent.

En 2011, les jeunes artistes romands existent, nombreux. Bien sûr, leurs modèles ne s’appellent plus Leclerc ou Vigneault. Ils pratiquent chanson, rock, rap, électro, reggae, en français ou en anglais. A l’heure du «global village», pardon, «village planétaire», conceptualisé par Marshall McLuhan dans les années 60 et concrétisé aujourd’hui par Internet, souvent, la musique les intéresse plus que l’ancrage dans une région.

«The Times They Are A-Changin’», chantait Dylan en… 1964.

Le pourcentage de «chanson romande» diffusée sur les trois chaînes de la Radio suisse romande dans la semaine du 25 au 31 octobre 2010 (chiffres de Michel Bühler):

La Première: 4,8%

Option musique: 5,16%

Couleur 3: 0,53%

Le pourcentage de «musiquesuisse» diffusée en 2009 sur les trois chaînes de la Radio suisse romande (chiffres de la RSR cités par Michel Bühler):

La Première: 20.22%

Option musique: 10%

Couleur 3: 21,63%

«Nous n’avons pas les mêmes critères de choix: le sien (celui de la RSR, ndlr) est ‘indépendant de la langue’, le mien se base précisément sur elle», écrit Michel Bühler.

Berne. Michel Bühler est né à Berne en 1945.

 

Instituteur. Après des études secondaires à Sainte-Croix (canton de Vaud), il suit l´école Normale de Lausanne et obtient son brevet d’instituteur en 1965. Il se consacre à l´enseignement jusqu´en 1969.

 

Paris. Devenu chansonnier, il part s’installer à Paris en 1969. Cette année-là, il sort son premier album, «Helvétiquement vôtre». Il rentrera au bercail au début des années 80 et s’installe à L’Auberson, non loin de Sainte-Croix.

 

Disques et scène. Depuis 1969, Michel Bühler a publié une vingtaine d’albums, effectué moult tournées et participé à de nombreux spectacles (Le retour du Major Davel, 1988, Hommage à Gilles, 1993, Les canons de la Lance, 1996).

 

Ecriture. Au-delà de ses chansons, dont il signe musique et paroles (publiées en 2008 en un large recueil sous le titre On fait des chansons), Michel Bühler a signé des romans (La parole volée, La Plaine à l’eau belle), des récits (Cabarete, Lettre à Ménetrey), des pièces de théâtre et un scénario (Charmants voisins). Tous ces ouvrages sont publiés chez Bernard Campiche Editeur.

 

Voyage. Voyageur passionné, il a notamment arpenté l’Afrique (Sahara, Sénégal, Ethiopie, Buruindi, Zaïre), les USA, l’Amérique latine (Nicaragua, Guatemala, Mexique) et, régulièrement, Haïti.

«La chanson est une clé à molette», essai, de Michel Bühler, Bernard Campiche Editeur, collection camPoche. 240 pages.

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