Mika met Winterthour dans sa poche
Bien avant son premier concert en Suisse, le nouveau phénomène de la brit-pop avait déjà conquis le pays. Mardi soir, à Winterthour, la partie était gagnée d'avance.
Face à 5000 spectateurs entièrement acquis à sa cause, Mika a prouvé – si besoin était – qu’il faudra désormais compter avec lui. Une star est née, qui ne devrait pas être qu’une étoile filante.
Mika, chanteur à minettes ? En s’installant au pied de la scène, on note que les jeunes filles en fleur (voire en bouton) sont légion. Mais au fur et à mesure que la patinoire se remplit, on voit que les trentenaires ne manquent pas, ni même les quadras, et parfois plus…
Parce que le talent du bonhomme ne s’arrête pas aux trois titres que les radios FM matraquent depuis l’hiver dernier. «Life in cartoon motion», son album, a déjà séduit au moins deux millions d’acheteurs, sans compter les millions de téléchargeurs sur Internet. En France, le magazine «Les Inrockuptibles» l’a même comparé au «Sgt. Pepper’s» des Beatles.
Comparaison n’est pas raison ? Peut-être, mais le fait est que même écoutée en boucle, cette galette semble inoxydable. Toujours la même richesse, le même plaisir. Et aucune chanson à jeter. A seulement 24 ans, Mika, a su synthétiser ce que la musique populaire a produit de meilleur depuis quatre décennies.
Rien d’étonnant à ce que tout le monde s’y retrouve, tout est là: du rock bubble-gum des années 70 à l’électro d’aujourd’hui, en passant par le funk, la pop et la disco. Le tout servi par une voix que l’on compare déjà à celle de Freddy Mercury – même si l’intéressé rougit de cette référence, qu’il trouve trop flatteuse.
Débauche d’énergie
Face au public, Mika ne joue pas à l’économie. Probablement encore peu habitué aux foules de cette dimension, il veut que chacun en ait pour son argent. Il force donc le geste, bondissant comme un cabri d’un bout à l’autre de la scène, au grand désespoir des photographes qui essayent de capturer sa gueule d’ange et sa silhouette filiforme.
Pareille débauche d’énergie affecte aussi les chansons, dont certaines supportent mal d’être ainsi passées à la moulinette, au mépris des climats et des nuances qui se dégagent des versions enregistrées. Mais bon, allez être nuancé quand 5000 personnes hurlent avec vous… Sans compter que l’acoustique d’une patinoire sert rarement la musique.
Mais ce traitement à la nitroglycérine a aussi ses bons côtés. Il permet au band de se mettre en valeur. Guitare, basse, batterie, assez discrets sur l’album, prennent ici leur pleine dimension. Ce n’est plus le chanteur et ses musiciens, mais un vrai groupe, lié par une complicité et un plaisir de jouer évidents. Et communicatifs.
Mauvais goût…
Face à tant de bonne humeur, on pardonnera aisément quelques lourdeurs scéniques. Aussi baroque soit-il, ce show n’a pas besoin d’être introduit par une choriste en collants, affublée d’une paire d’ailes d’ange parfaitement ridicules. Ni de se terminer en théâtre d’ombres avec des musiciens en costumes d’animaux, qui prennent des pauses obscènes.
Mais bon (encore une fois), le rock a souvent flirté avec ce genre de mauvais goût, des fellations simulées de David Bowie à son guitariste au début des seventies aux outrances actuelles d’un Robbie Williams.
Dans une société qui aura bientôt aboli tous les tabous, qui cela peut-il encore choquer ? En tout cas pas le public de Winterthour, joyeux, sautillant et finalement très sage dans ses délires. Ici, on carbure au soda et à la lollipop. Peu de bières, pratiquement pas de joints – ce qui change de certains concerts.
Le groupe lui aussi a ses moments de délire. Lorsque le guitariste se met à la batterie et laisse sa gratte à un roadie qui mouline inlassablement le même accord, tandis que Mika et sa batteuse tapent sur des fûts et des couvercles de poubelles, l’effet est aussi euphorisant que le pied est authentique.
Alors pourquoi bouder son plaisir ? Comme dans un grand goûter d’anniversaire, où l’animateur est juste trop mignon, trop souriant, trop sympa (et chante trop bien), on se prend facilement au jeu de renvoyer les ballons qui pleuvent sur les premiers rangs au milieu des confetti multicolores.
Et tant pis si toutes les répliques que Mika lance à la foule en Schwytzertütsch sont en fait pré-écrites (en phonétique) sur des feuilles de papier scotchées un peu partout sur la scène. Au moins, il aura fait l’effort.
…et belles promesses
Un regret peut-être: la brièveté de ce moment de bonheur, à peine une heure et demie. Mais c’est qu’une fois joué l’intégralité de «Life in cartoon motion» (et même deux fois «Relax…»), et une reprise très rock du «Missionary Man» d’Eurythmics, le groupe est un peu à court de répertoire.
La bonne surprise, ce sont les deux nouveaux titres: «Holy Johnny», au climat vaguement jazzy, et «How much do you love me ?», harmonies vocales sur tempo mi-lent, un peu dans la veine de «Happy endings». De quoi attendre en confiance un deuxième album, épreuve souvent fatale aux artistes qui montent trop vite, trop haut.
Mika, lui, semble à l’abri de la chute. Loin de tarir, sa verve de compositeur tendrait plutôt à s’enrichir. Au point d’attirer l’attention d’une certaine Madonna, avec qui il travaillerait sur un prochain album, voire un éventuel duo.
Une étoile est née. Et ceux qui aiment la musique populaire ne peuvent que s’en réjouir.
Marc-André Miserez à Winterthour
Michael Holbrook Penniman, dit Mika, est né le 18 août 1983 à Beyrouth, d’une mère libanaise et d’un père américain. Sa famille quitte le Liban en guerre alors qu’il a un an et s’installe d’abord à Paris, puis à Londres, où il arrive à l’âge de neuf ans.
Précocement doué pour la musique, il étudie le piano et le chant, qu’il pratique d’abord à l’opéra. Il compose aussi des musiques d’ambiance pour British Airways et des jingles publicitaires. Il se fait connaître du grand public en 2006 via sa page Internet et son premier single « Relax (Take it easy) ». Début 2007, son second single « Grace Kelly », puis son album le propulsent au sommet des charts en Grande-Bretagne, et un peu partout dans le monde.
Mika aurait dû venir à fin juin à l’Open Air de St-Gall, mais une maladie l’en a empêché. Il a donc inscrit Winterthour au programme de la tournée qu’il effectue en ce moment en Europe, après être passé par les Etats-Unis. Pour son premier concert en Suisse, 5000 personnes venues de tout le pays, mais également d’Allemagne lui ont fait un triomphe.
Pour cette tournée, il a choisi de s’adjoindre en première partie la chanteuse électro française Yelle, elle aussi révélée d’abord par Internet et qui se produit en trio avec un batteur et un DJ.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.