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Tintin, sorti du livre, s’appelle parfois Chappatte

Chappatte dans les profondeurs du Gothard... swissinfo.ch

Parmi une multitude d’événements, le Festival BD-Fil, qui se tient à Lausanne ce week-end, propose une exposition consacrée au «BD Journalisme». Parmi les auteurs présentés, Chappatte, qui pratique régulièrement le genre dans le quotidien «Le Temps».

Quoi, des mickeys pour dire le monde? Aux adultes, de surcroît? Et bien oui. Et ce n’est pas tout à fait nouveau d’ailleurs. Mais cela gagne en importance.

Dans le cadre du festival BD-Fil, festival international de bande dessinée qui se tient à Lausanne depuis 2005, le directeur de la manifestation, Philippe Duvanel et le journaliste Pierre-Louis Chantre ont mis sur pied une exposition intitulée «BD journalisme – Quand les dessinateurs se font reporters».

Neuf auteurs sont à découvrir dans l’ancien cinéma Romandie, Place de la Riponne. A travers les médias qui les ont publiés. A travers leurs explications, diffusées dans d’étonnantes cabines en carton. Et à travers de larges panneaux et présentoirs où s’affichent carnets de notes, photos, extraits de leur travail, agrandissements…

De ‘Hara Kiri’ au quotidien ‘Le Temps’

Parmi eux, l’ancêtre Cabu – oui, celui qui est à l’origine du «Beauf» de Renaud et qui fut un des piliers de la presse provoc’ des années 60 et 70. «Dans Hara Kiri puis dans Charlie Hebdo, il a régulièrement fait des reportages, plutôt courts. On en montre plusieurs… un à la fac de Bordeaux, où il interroge des étudiants à propos de leur esprit critique sur les grands problèmes du moment, un autre au Portugal après la Révolution des Œillets, un autre encore sur le lancement d’un sous-marin nucléaire etc. Parmi d’autres dessinateurs-phares, il y a Riss, actuel rédacteur en chef de Charlie Hebdo, qui a par exemple fait un reportage dessiné sur le procès Papon, à la fin des années 90», commente Pierre-Louis Chantre.

Autre monument: le Maltais Joe Sacco. On se souvient de son livre Palestine, «qui fait date dans l’histoire du journalisme en bande dessinée», constate le journaliste.

C’est à L’Hebdo que le Suisse Chappatte a publié ses premières chroniques BD… Marqué par la démarche graphique et journalistique du Français Jean Teulé, il avait envie de dire l’info autrement, en faisant se croiser sa formation journalistique et ses talents de dessinateur. Une idée qu’il va partager avec un autre fan de Teulé, le rédacteur en chef Eric Hoesli, qu’il retrouvera ensuite au quotidien Le Temps.

«Ce qu’a fait Le Temps depuis lors, c’est assez unique dans la presse généraliste: ouvrir régulièrement trois pages – souvent les pages 2, 3, 4 – à un reportage dessiné», constate Chappatte.

Depuis, Chappatte a donc publié moult BD reportages: pêle-mêle, New York post 11 septembre, l’Ossétie, le creusement du tunnel du Gothard, le Palais de l’Elysée, Gaza, le Sud Liban, la Côte d’Ivoire, Nairobi, l’Iran, la Tunisie… Avec le quotidien romand, on est assez loin de l’esprit Hara-Kiri ou Charlie Hebdo.

Reconstruction de la réalité

Un reportage constitué de mots et d’images, finalement, quoi de neuf? Qu’est-ce que le BD journalisme apporte de fondamentalement différent?

«Une plus grande intensité. Le photographe prend ce qu’il a devant lui. Le dessinateur peut composer avec plusieurs éléments. Et puis, avec l’audiovisuel, le rythme est contraint. On regarde un reportage au rythme qu’a imposé le réalisateur. Avec une bande dessinée, vous avez votre rythme à vous. Vous pouvez vous attarder sur un dessin, regarder toutes les informations. Il ne s’agit pas de dire que c’est mieux, mais le reportage BD a une force spécifique», répond Pierre-Louis Chantre.

«Une photo est très riche, parfois trop riche, on est un peu voyeur face à elle, alors que par son trait noir, le dessin simplifie l’image, on peut plus facilement s’y arrêter», ajoute Chappatte.

Et pourtant, la photo, il l’utilise. Jamais de croquis sur place. «D’abord, on ne va pas s’arrêter au milieu d’un champ de mines et commencer à esquisser! Ensuite, c’est une perte de temps, parce que je me suis rendu compte que le matériel dont j’ai vraiment besoin, je ne le vois qu’au moment du montage, quand je fais un story-board. C’est là que je découvre ce dont j’ai besoin aussi bien visuellement que du point de vue du texte», explique Chappatte.

La photo saisit l’instant. Le dessin implique une reconstruction. «Tout ce que je dessine est vrai dans le sens où les éléments que vous allez voir dans un dessin, je les ai photographiés. Mais je ne suis pas tenu comme le photographe de cliquer au bon moment, d’avoir tous les éléments en place dans la bonne image. Je peux reconstituer.»

Logique. Et pourtant traîne l’idée fausse que la photo, reflet exact, est objective, alors que la reconstruction implique une façon de réorganiser la vérité… «La photo est un instantané. Mais moi je fais du reportage, à comparer tout autant avec un reportage écrit. Et là, c’est la même chose: vous reconstituez à partir d’éléments rassemblés un récit qui doit être réaliste. C’est ce que je fais. Je raconte une histoire telle que je l’ai vécue, avec la liberté de reconstituer les choses. Et je suis d’ailleurs assez maniaque sur les détails observés», répond Chappatte.

La représentation de soi-même

Le journaliste ne dit pas «je». Le journaliste ne se met pas en scène. Le journaliste est sensé se rendre transparent face à son sujet. Pourtant dans le BD journalisme, on se met volontiers soi-même en situation.  

C’est le cas de Chappatte. Mais qui n’a pas «osé» tout de suite, ainsi lors de son premier BD reportage, à l’occasion de l’avalanche meurtrière d’Evolène, en Valais, en 1999. «J’étais encore un peu timide par rapport à ça. Parce que je viens de l’école journalistique plutôt que de la BD. Peu après, j’ai vu Zep, et je lui ai raconté quelques anecdotes qui me concernaient, et que je n’avais pas mises dans mon récit. L’impression que le piège d’Evolène se refermait sur moi, que je tombais en panne au moment de repartir, que le ciel devenait menaçant… Et il m’a dit : mais pourquoi tu n’as pas mis ça dans ta BD ? Tu devrais te mettre plus en scène»,  se souvient Chappatte.

Qui poursuit: «Je me suis dit qu’il avait raison, parce que c’est un élément propre à la BD, que le lecteur puisse suivre ainsi le narrateur, s’identifier à lui. Et c’est intéressant, d’un point de vue journalistique aussi, de montrer les dessous d’un reportage, de montrer que le journaliste a des doutes, des idées extrêmement bêtes – j’essaie maintenant de me souvenir des choses les plus triviales que j’ai pensées, parce qu’elles disent beaucoup. Il n’y a peut-être pas d’objectivité, mais il y a une honnêteté».

De manière générale, le journaliste n’est pas étranger à la BD. La preuve? Peter Parker, alias Spiderman, et Clark Kent, alias Superman. Et Ric Hochet. Et Spirou. Et Tintin, bien sûr. Avec le BD reportage, ««Tintin est sorti du livre», constate Pierre-Louis Chantre.

Il est vrai qu’on ne voit jamais Tintin travailler en tant que journaliste: il fait des enquêtes, oui, mais policières. Chappatte et ses confrères? «En fait, c’est la vue que Tintin aurait dû nous montrer si il avait véritablement effectué un travail de journaliste!»

Lausanne. Le 7ème festival BD-Fil se tient à Lausanne, Place de la Riponne, du 9 au 11 septembre.

Expositions. Au programme, plus de 10 expositions évoquant notamment le Français Loustal, invité d’honneur, le journalisme BD, les trésors de la couleur directe dans la bande dessinée, les couvertures d’albums des éditions Delcourt ou les 7 péchés capitaux.

Offre variée. Le Festival accueille plus de 70 auteurs et propose un programme de dédicaces, de courts-métrages d’animation, de conférences, de rencontres avec les auteurs et d’ateliers pour les enfants.

9 artistes. L’exposition s’inscrit autour du travail de neuf BD-reporters (le Maltais Joe Sacco, le Suisse Patrick Chapatte et les Français Cabu, Florent Chavouet, Etienne Davodeau, Catherine Meurisse, Riss, Mathieu Sapin et Riad Sattouf,) et des publications porteuses du genre (Charlie Hebdo, revue XXI, quotidien Le Temps).

Autres dates. Après BD-Fil, l’exposition passera par le Théâtre Forum de Meyrin (29 septembre au 26 novembre) et à la Maison du dessin de Presse, Morges, du 7 mars au 13 mai 2012.

Karachi. Né en 1967 à Karachi de parents suisse et libanais, Patrick Chappatte a grandi à Singapour, à Genève et a vécu quelques années à New-York.

CH-USA. Il publie ses dessins de presse dans Le Temps, dans l’édition dominicale de la Neue Zürcher Zeitung et dans le

International Herald Tribune. Dans le passé, il a été illustrateur du supplément littéraire du New York Times.

 

Publications. Il a publié plusieurs recueils de dessins de presse, et réalise régulièrement des «reportages en BD».

«J’essaie de décliner mes reportages de différentes façons. Depuis dix ans, il y a le web, et le format flash qui permet de lire les mêmes reportages qu’on voir dans Le Temps mais de manière interactive.

 

On vient de republier ainsi un reportage que j’avais fait à New York  quelques jours après le 11 septembre 2001.

 

Et puis en avril est passé sur la TSR un reportage dessiné en mouvement, une tentative d’amener ce genre de dessin dans les news, de voir si ce format peut s’inscrire à la télévision comme dans la presse.

 

Je suis en discussion avec Canal+ pour quelque chose qui devrait se faire l’année prochaine, et il y a d’autres pistes…»

 

Chappatte

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