Trub, le village où l’on ne vote pas
Trub, dans l'Emmental: ses paysages, ses fromages onctueux, son «Trueberbueb», chanson très populaire en Suisse alémanique. Ce village bernois est connu pour un aspect moins glorieux: ses citoyens sont champions suisses de l'abstention aux votations.
Sur la place de Trub, le visiteur trouvera facilement la «trinité terrestre» que tout village de l’Emmental se doit d’offrir: l’église, le bistrot et la fromagerie. Et autour de ce noyau central, près de 140 fermes se répartissent dans les champs, en zones d’habitant dispersé.
Autrefois, l’église abritait la vertu, et servait aussi à annoncer les décisions des puissants, aussitôt discutées au bistrot, voire mises à mal à la fromagerie – qui était aussi le lieu de rencontre de la jeunesse.
Aujourd’hui, le village a une administration moderne, les décisions sont prises par l’assemblée de commune, qui se réunit dans une salle d’école et chacun peut même en prendre connaissance sur Internet.
«Nous vivons dans une région idyllique pour ce qui est de la qualité de vie», dit fièrement le secrétaire municipal Ernst Kohler. Et il ne parle pas de liaison autoroutière, d’aéroport, d’opéra, de théâtres et de bars, mais d’air pur, de calme, de tourisme doux et de sentiers pédestres autour du Napf, le sommet local. Sans oublier les sources, qui font de Trub «un vrai château d’eau».
Christine Reber-Eller, maire de la commune, rappelle pour sa part que les habitants ont la réputation d’être des travailleurs fiables et intègres.
Et le «Trueberbueb» («garçon de Trub»), chant de jodel du 19e siècle, très populaire en Suisse alémanique, fait du villageois le symbole du Suisse authentique, qui se défend et qui lutte pour son indépendance.
Faiblesse structurelle
Mais Trub n’est pas pour autant épargné par les problèmes, au contraire. «Nous sommes un cul de sac à l’intérieur de l’Emmental, explique le secrétaire communal. Officiellement, Trub est une commune à ‘faiblesse structurelle’. Seule la péréquation financière cantonale nous permet d’avoir assez d’argent pour assumer nos tâches communales».
En d’autres termes, ce sont les riches communes du canton qui payent pour Trub. «Et elles ne manquent jamais de nous le rappeler», dit-on, au village.
La commune tente donc de convaincre ses jeunes de rester au pays, de soutenir son agriculture, d’attirer de nouveaux habitants et des entreprises et d’encourager le tourisme. Avec des succès divers. Dernier échec en date: la poste du village vient de fermer…
Caprice de l’histoire
Dans ce contexte, la publication des statistiques sur la participation a encore assombri l’horizon. Trub se trouve être la commune qui vote le moins de Suisse. «Cela nous a bien secoués», admet Madame le maire.
«Nous ne voulions pas rester les bras ballants, ajoute Christine Reber-Eller. Nous avons lancé des appels et ils ont été entendus».
Par un de ces biais que l’histoire affectionne, les Suisses de l’étranger portent une certaine responsabilité dans la faible participation aux votations, ou du moins 149 d’entre eux.
149 descendants d’anabaptistes, un mouvement religieux né dans la région et objet, aux 17e et 18e siècles, de persécutions ayant poussé ses adhérents à émigrer, sont en effet inscrits dans la commune. Or ils ne votent pratiquement pas, ce qui tire les statistiques vers le bas.
Ville-campagne
Mais Ernst Kohler est conscient que la faible participation a aussi d’autres causes. Il cite notamment le fait que les objets de votations fédérales sont souvent des problèmes qui touchent la Suisse urbaine, où vit trois quarts de la population du pays. «Les gens des campagnes ne sentent pas concernés», dit-il.
«Il est vrai que cela ne doit pas être une excuse, ajoute aussitôt le secrétaire municipal. D’ailleurs, nous nous sommes améliorés. Et si la Suisse doit voter, un jour, sur l’adhésion à l’Union européenne, nos citoyens se rendront massivement aux urnes.»
Urs Maurer, Trub, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’allemand Ariane Gigon)
Trub est une commune agricole de la vallée de l’Emme (Emmental). Avec ses 62 km2, elle est la 17e commune, en superficie, du canton de Berne, qui en compte 396.
Population:
2009: 1470
1990: 1613
1910: 2500
L’émigration des enfants du pays fait que 50’000 personnes sont originaires de Trub.
Outre l’agriculture, l’activité économique est le fait de nombreuses menuiseries et de quelques entreprises du tertiaire.
Le domaine pédestre offre 75 km de chemins balisés, voués au tourisme doux. Le point culminant de la commune est le Napf (1408 m), d’où la vue s’étend de la Forêt Noire (Sud de l’Allemagne) aux Alpes. Le massif n’est accessible qu’à pied et se trouve en zone de protection de la nature.
La région est également bien connue pour son or alluvionnaire, dont le gisement serait le plus ancien de Suisse et le plus pur du monde (97,3%). Mais il n’est présent qu’en infimes quantités et seuls des amateurs viennent ici pour jouer les chercheurs d’or.
La chanson «Trueberbueb», air populaire de Suisse alémanique, a été écrite en 1875 par le pasteur de l’époque, Gottfried Strasser, sur une musique du compositeur de jodel J. Rudolf Krenger (1854 – 1925).
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