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Un rappeur suisse soulève une tempête politique

Stress pour la deuxième semaine en tête des ventes d'albums en Suisse. (RDB)

Le premier rappeur suisse à placer un album au sommet des ventes a fait la une des gazettes. Ses textes attaquant le ministre de la droite nationaliste Christoph Blocher ont fait mouche.

Pour Stress, les difficultés rencontrées par la Suisse en matière d’intégration et de jeunesse annoncent des années difficiles. Interview.

Né Andres Andrekson en Estonie, Stress est arrivé en Suisse à 12 ans. Au moment de sa sortie le mois dernier, son troisième album («Renaissance») mêlant hip-hop, rock, soul et pop a suscité la polémique.

En 2003 déjà, avec son titre «F*ck Blocher», le rappeur de 29 ans avait fait sortir de leurs gonds les partisans du ministre de la justice anti-immigration Christoph Blocher et de son parti (Union démocratique du centre / droite nationaliste).

Sa charge n’est pas moins vive en 2007. Cette fois, dans la vidéo de son titre «Mais où?», Stress n’hésite pas à «déflorer» le ministre. Il se lance aussi dans la défense d’une jeunesse qu’il estime calomniée et mal comprise.

swissinfo: Que reprochez-vous à Christoph Blocher et son parti?

Stress: J’ai un problème avec leurs méthodes. Dans leur dernière campagne d’affichage par exemple, on voit un type en noir à la dégaine de rappeur. L’affiche dit que la violence a augmenté de 185% chez les jeunes étrangers. Mais si vous regardez les chiffres, vous verrez que la hausse atteint 265% chez les jeunes Suisses. En fait, ils essaient de faire peur aux gens. Ils ne leur donnent pas une image juste de la réalité. C’est mauvais pour la Suisse.

Des gens comme Blocher font partir ce pays en morceaux. Ils ne favorisent pas l’intégration. Ils sont trop conservateurs et veulent que rien ne bouge. C’est juste la mort d’un pays. Il faut du sang neuf et de nouvelles idées pour continuer à avancer. Je suis un peu étonné qu’ils ne l’aient pas compris.

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swissinfo: Vous affirmez que la Suisse est «morte». Mais beaucoup constatent son dynamisme et ses succès. Que voulez-vous dire, en réalité?

Stress: Ce que je dis, c’est que la bonne vieille Suisse est morte. Une bonne dynamique, c’est exactement mon sujet dans Renaissance. Beaucoup de gens indépendants créent des entreprises, explorent de nouvelles formes de technologies, de mode ou autres – et ça apporte du dynamisme. Mais quand les gens plus âgés observent cette génération plus jeune, ils ne comprennent pas.

swissinfo: Dans vos albums, vous évoquez souvent les vies de jeunes Suisses qui grandissent dans un environnement multiculturel. Vous estimez que leur voix est ignorée?

Stress: Ils sont parfois ignorés. Mais parfois aussi, ils ne se font pas entendre de la bonne manière. Reste qu’il n’existe pas des milliers de façons pour eux d’être entendus. La raison essentielle est qu’ils ne sont pas pris au sérieux. C’est un grave problème.

Les jeunes sont l’avenir, ils doivent réaliser qu’ils peuvent prendre les décisions de demain. Il ne faut pas juste laisser ces décisions aux plus âgés qui n’ont pas une vision claire de leur situation.

swissinfo: Ces derniers temps, des voix – et pas seulement au sein de l’UDC – demandent que les jeunes étrangers coupables de crimes sérieux soient expulsés, et leur famille avec. Qu’en pensez-vous?

Stress: C’est un sujet vraiment difficile. Vous pouvez renvoyer ces étrangers, mais vous aurez toujours les gosses suisses confrontés aux mêmes problèmes. Vous êtes baisé aussi longtemps que vous ne cherchez pas à comprendre d’où viennent ces situations et ce qui les provoque. Pour moi, c’est une manière de penser à court terme.

swissinfo: Vous affirmez ne pas être un politicien. Mais vous avez suscité un débat politique en Suisse. Avez-vous un agenda politique ou est-ce seulement une manière de vendre des disques, comme certains le disent au sein de la scène hip-hop?

Stress: Je ne crois pas qu’on va dépenser trente balles pour un de mes disques juste parce qu’on est d’accord avec moi à propos de Blocher. Un album, c’est de la musique. Je dis ce que je pense, et c’est aussi ma manière de faire de la musique. Je ne vais pas changer simplement parce qu’on me voit plus dans les médias.

swissinfo: Vous avez pris position contre le racisme, le nationalisme et les discriminations. Mais vous avez aussi été accusé d’homophobie. Pouvez-vous expliquer cette contradiction?

Stress: Sur le dernier album, nous avons expliqué clairement que deux mondes coexistent parfois en matière de langue – pour moi, «homo» ou «tante», c’est juste devenu un juron et rien de plus. Il n’y a aucune haine là-dedans – c’est juste un mot que tout le monde utilise, et que j’utilise. Je ne suis pas homophobe. Je le répéterai mille fois.

swissinfo: Il est beaucoup fait de cas en Suisse de la frontière imaginaire entre zones germanophone et francophone – le fameux röstigraben. Vous rappez en français. Or, vos disques se vendent des deux côtés…

Stress: Je ne vois plus vraiment de röstigraben entre les jeunes. Je vois plutôt un fossé entre les générations – et c’est là que se trouve le problème.

Interview swissinfo: Adam Beaumont
(Traduction de l’anglais: Pierre-François Besson)

Naturalisé Suisse, Stress a obtenu un diplôme universitaire en Hautes études commerciales. Il a travaillé un an chez Procter & Gamble. Et parle l’anglais à peu près couramment.

Mais il n’envisage pas d’introduire l’anglais dans son rap. Il estime que «la musique rap exige d’utiliser le langage du quotidien».

Hors de Suisse, la France et la Belgique sont les marchés naturels pour sa musique.

Stress, compagnon de l’ex-Miss Suisse Melanie Winiger, partage son temps entre Lausanne et Zurich.

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