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Comment la société civile a contribué à façonner l’e-ID suisse

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Keystone / Anthony Anex

Après le rejet d’une identité électronique en 2021, les autorités politiques ont intégré les critiques dans leur nouveau projet de loi. Pour Erik Schönenberger, de la Société numérique suisse, le processus a été «exemplaire» et doit servir de modèle pour le futur.

Dimanche 28 septembre, une courte majorité (50,4%) des Suisses a accepté l’introduction d’une carte d’identité électronique (e-ID).

Il y a quatre ans, le 7 mars 2021, près de deux tiers des votantes et des votants s’étaient prononcés contre un tel projet. Mais dès le 10 mars de cette même année, des parlementaires de tous bords déposaient déjà des interventions pour relancer le dossier.

La politique voulait-elle ignorer un verdict de la démocratie directe? Ces interventions répondaient aux principales critiques formulées à l’encontre du projet rejeté: elles réclamaient une e-ID étatique, axée sur la sobriété des données et le stockage décentralisé. L’ancienne proposition prévoyait une délivrance par des entreprises privées. Les nouvelles motions déposées répondaient donc explicitement au résultat de la votation, intégrant les contre-arguments exprimés.

Les référendums, plus qu’un simple oui ou non

Cela montre que les instruments de démocratie directe ne se limitent pas, avec le temps, à un vote binaire. Le politologue Marc Bühlmann, codirecteur d’Année politique suisse et professeur à l’Université de Berne, explique: «La plupart des référendums rejetés débouchent sur un nouveau départ, où l’on tente d’intégrer le résultat de la votation».

Mais la manière dont un «non» est interprété reste en soi «une décision politique». Exemple: la loi sur le CO₂, rejetée de justesse en été 2021. «Du point de vue des Vert-e-s, la nouvelle loi sur le CO₂, qui n’a pas été soumise au vote, n’est sans doute pas vraiment ‘meilleure’ que la première», observe Marc Bühlmann.

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Dans le cas du référendum sur l’e-ID, la situation est quelque peu différente: le projet a été refusé en 2021 sur la base d’arguments précis – lesquels ont conduit à une nouvelle loi, qui a finalement convaincu une majorité du peuple. L’exemple illustre comment, sous la pression de convaincre les électeurs et les électrices, les autorités intègrent les critiques et les opinions de la société civile.

«Dimanche, nous nous affrontions – lundi, nous nous asseyions ensemble»

Erik Schönenberger, codirecteur de la Société numérique suisse, lors de la conférence de presse des partisans de l’e-ID, en août 2025.
Erik Schönenberger, codirecteur de la Société numérique suisse, lors de la conférence de presse des partisans de l’e-ID, en août 2025. Keystone / Anthony Anex

En 2021, Erik Schönenberger s’opposait à une e-ID délivrée par des acteurs privés. En 2025, le codirecteur de la Société numérique suisse figurait parmi les partisans de la nouvelle mouture. «L’ambiance était différente par rapport à la campagne actuelle», se souvient-il, interrogé par Swissinfo. Avant même la votation, il s’était préparé à réfléchir à la suite, en cas de rejet – scénario attendu.

«Pour la Société numérique suisse, il était clair que nous n’étions pas opposés par principe à une e-ID», souligne-t-il. D’où la volonté d’aller vers l’autre camp. «Le dimanche, nous nous affrontions encore – et dès le lundi d’après, nous étions assis à la même table».

Les nouvelles propositions ont convaincu une majorité au Parlement. «Jusqu’à l’adoption finale de la loi, elles ont servi de base pour sa conception», raconte Erik Schönenberger, qui a participé au processus comme représentant de la société civile.

À l’automne 2021, le gouvernement suisse a invité les critiques et les parties prenantes à une consultation. «Les autorités voulaient savoir ce que la Suisse attendait d’une identité électronique: s’agissait-il uniquement de s’identifier face à l’administration, ou bien de créer une infrastructure de confiance servant aussi à d’autres usages, comme une carte de bibliothèque numérique?»

Consultations associant société civile et monde académique

La première consultation a recueilli des dizaines de prises de position. Certaines organisations participantes – comme le Parti pirate – ont continué à combattre l’e-ID en 2025. Une conférence et d’autres consultations ont permis de poursuivre le débat. «L’Office fédéral de la justice a sollicité la perspective de la société civile et celle du monde académique», relève Erik Schönenberger.

En juin 2022, le projet de loi a été soumis à la procédure de consultation. Comme le veut l’usage, le gouvernement a publié un texte et invité les différentes parties prenantes à donner leur avis. La Société numérique suisse y a participé. «Nous avons encore formulé des critiques: la direction était juste, mais la question du risque de suridentification n’était pas réglée».

Dans la version actuelle, la future e-ID ne révélera que les informations strictement nécessaires. Par exemple, pour acheter de l’alcool en ligne, elle prouvera simplement la majorité de l’utilisateur – sans indiquer son âge exact ni d’autres données personnelles.

>> Notre analyse du résultat de la votation du 28 septembre:

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Plus qu’un exercice de marketing politique

Après la consultation, le texte a été affiné au Parlement. Erik Schönenberger indique que des responsables politiques et des autorités ont été sollicités, parfois pour des questions techniques très concrètes: «Comment garantir, par exemple, que l’e-ID soit liée à un smartphone en particulier?» Ce fut la phase des «auditions, consultations et derniers allers-retours».

Les gouvernements peuvent utiliser ces processus de participation comme des outils de «marketing». Après l’échec de 2021, les autorités ont d’ailleurs mis en avant les consultations, allant jusqu’à produire un dessin animéLien externe montrant une Helvetia expliquant à un citoyen critique: «Avant que le Parlement ne discute de la nouvelle proposition, chacun, y compris vous, peut exprimer son opinion.»

Mais pour Erik Schönenberger, ce processus allait bien au-delà du marketing. Il le qualifie d’«exemplaire» – et espère que d’autres projets numériques suivront le même modèle.

La place particulière de la société civile en Suisse

Ce rôle central de la société civile est sans doute une spécificité helvétique. Selon le rapport 2025 de l’organisation IDEALien externe sur la démocratie mondiale, la Suisse se classe au 3e rang pour la «participation» – malgré une faible moyenne de participation électorale. La note élevée s’explique notamment par le rôle actif de la société civile.

Pour Erik Schönenberger, le système politique suisse – grâce à la concordance et au principe de milice – accorde une place particulière à la société civile. Des organisations similaires, comme la Société numérique de l’Union européenne (UE), ont eu plus de mal à faire entendre leurs préoccupations sur la question de l’identité électronique.

Mais la Suisse reste lente. L’UE a déjà adopté un cadre juridique pour réguler l’intelligence artificielle. «Le Conseil fédéral n’annonce qu’un avant-projet dans un an et demi», regrette Erik Schönenberger. Une lenteur «frustrante», dit-il, car la société sera alors confrontée à d’autres enjeux.

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Des inquiétudes au-delà de l’e-ID

Un autre sujet préoccupe Erik Schönenberger. Il s’agit de l’État de surveillance, «que l’on observe également en Suisse avec la conservation des données et la surveillance des câbles». Les «mesures de durcissement» à venir risquent de faire basculer une surveillance ciblée vers une «surveillance de masse». «Nous voulons stopper cela», insiste-t-il.

Le résultat du vote de dimanche le conforte partiellement: certes, une majorité a dit oui, mais 49,6% ont voté non. «Beaucoup de gens se sentent impuissants face à la numérisation. C’est pourquoi ce résultat devrait nous faire réfléchir», indique-t-il. Selon lui, on peut interpréter ce résultat ainsi: le gouvernement ne parvient à convaincre qu’à condition d’intégrer les voix critiques de la société civile.

Son éloge du processus «exemplaire» de l’e-ID est donc aussi un avertissement au gouvernement: «Sans participation ni prise en compte des critiques, les futures lois sur la politique numérique risquent de ne pas obtenir de majorité.»

Concernant la réglementation de l’IA et des grandes plateformes technologiques, Erik Schönenberger ne constate actuellement «aucun signe d’une implication aussi importante de la société civile».

La mise en œuvre de l’e-ID ne dépendra pas seulement de celles et ceux qui l’ont soutenue: les opposants ont déjà annoncé qu’ils veilleraient de près à ce que son usage reste volontaire et que la protection des données soit garantie.

>> Les réactions au «oui» à l’e-ID:

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg, traduit de l’allemand à l’aide d’un traducteur automatique/dbu/rem

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