
Cinq leçons à retenir du petit «oui» à l’e-ID

Le 28 septembre, la Suisse s'est prononcée de justesse (50,4%) en faveur de l'introduction d'une identité électronique (e-ID). Ce vote permet de tirer certaines conclusions et d’esquisser des perspectives pour l'avenir. Analyse.
1. L’électorat conservateur a failli faire couler le projet d’e-ID
Le tout petit oui à l’e-ID est le fruit d’un effet collatéral. Ce sont les votants mobilisés par l’objet le plus marquant de ce dimanche – la suppression de la valeur locative – qui ont influencé le résultat.
La promesse d’une baisse d’impôts a poussé l’électorat des cantons ruraux conservateurs vers les urnes. Ces régions abritent de nombreux propriétaires de logements qui bénéficieraient directement du changement de système.
Mais cet électorat fonctionne différemment de la Suisse urbaine, progressiste et technophile. Il est plus âgé et a exprimé une méfiance plus marquée: envers les autorités d’une part, mais aussi envers un nouvel outil numérique proposé par l’État, à installer sur son téléphone. Ainsi, les électrices et électeurs motivés par l’abolition de la valeur locative ont, en parallèle, massivement rejeté l’e-ID.
À l’inverse, la mobilisation en faveur de l’identité électronique a fait défaut. La population urbaine, potentiellement plus favorable au projet, avait peu de raisons de se déplacer pour voter.
L’utilité concrète de l’e-ID restait difficile à cerner, même pour ce segment de la population, et encore plus difficile à promouvoir. L’argument principal est resté jusqu’au bout l’idée d’un raccordement de la Suisse à un avenir numérique aussi prometteur qu’insaisissable.
2. Une proposition prudente et tout helvétique, qui a convaincu de justesse
En 2021, le peuple suisse avait refusé l’e-ID avec un score sans appel (64% de non). À l’époque, la responsabilité confiée à des prestataires privés et les inquiétudes liées à la protection des données personnelles avaient conduit au rejet du projet.
Le gouvernement est revenu avec une proposition entièrement gérée par l’État, intégrant le principe de minimisation des données: les utilisatrices et utilisateurs ne partageront que les informations strictement nécessaires. Concrètement, une personne pourra prouver qu’elle est majeure pour acheter du vin, sans divulguer sa date de naissance.
Mais la Confédération a également opté pour une approche prudente: l’e-ID sera gratuite et servira uniquement à prouver son identité, à l’image d’une carte d’identité physique. Ce choix contraste avec les systèmes en vigueur dans la plupart des autres pays, où l’identité électronique offre souvent des fonctionnalités supplémentaires.
Si cette retenue typiquement helvétique a sans doute rassuré une partie de l’électorat, le scepticisme demeure important dans une large frange de la population. Le Conseil fédéral, dont les arguments n’ont visiblement pas porté suffisamment durant la campagne, devra désormais mettre les bouchées doubles pour convaincre de l’utilité de l’e-ID.
>> Notre article détaillé sur le oui de justesse à l’e-ID:

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L’e-ID passe de justesse l’épreuve des urnes
3. Les opposants ont fait mouche malgré un front désuni
La campagne contre l’e-ID n’a pas bénéficié d’un front uni. Il est rare qu’un comité référendaire se montre aussi discret, hétérogène et divisé.
Parmi les opposants à l’e-ID figurait notamment le Parti pirate, une formation politique qui a fait de l’«intégrité numérique» son principal cheval de bataille. À l’approche de la votation, un conflit interne l’a scindé en deux camps. Ces divisions internes ont suscité plus d’attention médiatique que le débat de fond.
Au départ, la droite conservatrice n’a pas non plus réussi à parler d’une seule voix. Les Jeunes UDC ont lancé le référendum mais n’ont pas réussi à rallier leurs élus au Parlement à la cause, à l’exception de quelques dissidents au Conseil national. Ils ont tout de même réussi à récolter, de justesse, 55’638 signatures pour la tenue du vote.
Reste que les Jeunes UDC se sont montrés plus en phase avec les électeurs du parti que les élus du parti à Berne. Il a fallu attendre l’assemblée des délégués au mois d’août pour que l’UDC se lance unie dans la bataille contre l’identité électronique.
Seul grand parti en faveur du non, l’UDC a finalement réussi à mobiliser des soutiens bien au-delà de sa base. Malgré la défaite, la proportion élevée de non (49,6%) et la carte du pays qui affiche une nette majorité de cantons en défaveur du projet sonnent comme un succès pour la droite conservatrice.
4. Justifier son identité à tout bout de champ, un risque à éviter
Dans la vie courante, il est assez rare que l’on doive présenter sa carte d’identité en Suisse. L’exemple du contrôle d’âge à l’achat d’alcool a été martelé au cours de la campagne pour justifier l’introduction de l’e-ID. Dans les faits, cette situation se produit rarement – une fois la vingtaine passée du moins.
La carte d’identité est surtout utile lorsqu’on entreprend des démarches administratives ou que l’on voyage à l’étranger, des occasions qui se présentent tout au plus quelques fois par année.
Or il est fort probable qu’avec l’introduction de l’e-ID, la tentation d’exiger le sésame numérique à d’autres fins sera désormais grande. Les banques, comme d’autres acteurs économiques, auront tout intérêt à intégrer cette identité numérique à leurs services pour limiter les risques de fraude ou de blanchiment.
La généralisation de l’e-ID semble inévitable. On peut s’en réjouir si l’on se place du côté des autorités, qui prévoient de dépenser 182 millions de francs pour le développement de l’infrastructure nécessaire à son implémentation.
Mais gare à l’excès d’euphorie: devoir constamment présenter une preuve d’identité pourrait fragiliser le lien de confiance – déjà mis à mal ce dimanche – qui existe entre la population suisse et ses autorités. Ces dernières devront veiller à une utilisation proportionnée de l’e-ID, au risque de redonner un nouvel élan aux mouvements protestataires et anti-Etat qui ont vu le jour lors de la pandémie de Covid-19.
>> Les réactions à chaud des partisans et des opposants à ce projet:
5. Les autorités devront tendre la main aux «illettrés» numériques
L’e-ID restera facultative. C’est une promesse forte de ses partisans, qui ont insisté sur ce point au cours de la campagne, même si le terme «facultatif» ne figure pas dans la loi. Les exemples d’introduction de l’e-ID dans d’autres pays montrent toutefois qu’il est difficile de s’en passer sans devoir entreprendre des démarches fastidieuses.
L’e-ID pourrait bien devenir le standard minimum, posant un problème à toutes celles et ceux qui refusent son usage ou rencontrent des difficultés majeures pour accomplir des tâches numériques simples – en Suisse, ces personnes représentent près d’un tiers de la populationLien externe.
Corollaire, la dépendance à nos smartphones, déjà aujourd’hui incontournables dans notre vie privée et professionnelle, ne fera que s’accroître. Une évolution certainement inévitable mais qu’il s’agira d’accompagner de mesures de formation afin d’éviter de creuser encore un peu plus la fracture numérique.
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Texte relu et vérifié par Marc Leutenegger/pt

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