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Analyse: ce fut plus qu’une élection au Conseil fédéral

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Le Bâlois Beat Jans remplacera Alain Berset au Conseil fédéral. © Keystone / Anthony Anex

Le parlement suisse a remplacé un membre du gouvernement fédéral et élu un nouveau chancelier de la Confédération. Les résultats indiquent la voie dans quatre domaines décisifs.

Le dossier Suisse-UE

Situation initiale: En 2021, le Conseil fédéral a rompu brutalement et unilatéralement les négociations en cours avec l’Europe sur un accord-cadre, ce qui a fortement perturbé les relations entre Bruxelles et Berne. Au cours des derniers mois toutefois, la Suisse est parvenue à normaliser les relations dans le cadre de nombreux entretiens techniques. Sur le fond également, des progrès ont été accomplis.

Ces discussions exploratoires sont désormais terminées. Le Conseil fédéral veut élaborer et adopter un mandat de négociation. Mais au sein du gouvernement, c’est le scepticisme vis-à-vis de l’UE qui a dominé ces dernières années.

Le conseiller fédéral socialiste sortant Alain Berset, qui avait d’abord été un europhile, s’est rangé ces dernières années du côté de ceux qui freinent. C’est du moins ce qu’affirment plusieurs sources proches du dossier. La raison: Alain Berset est étroitement lié aux syndicats suisses qui luttent contre le dumping salarial et exigent davantage de concessions de la part de Bruxelles.

Le nouveau conseiller fédéral Beat Jans a gouverné jusqu’à présent dans la ville de Bâle, au carrefour de la Suisse, de l’Allemagne et de la France. Il vient donc de la ville la plus européenne du pays et, de par ses intérêts, il connaît déjà en détail le dossier complexe «Suisse-UE».

>> Le nouveau conseiller fédéral Beat Jans est acclamé après son élection:

Beat Jans a déclaré cette semaine dans une interview: «Dans le dossier européen, le Conseil fédéral aurait dû veiller davantage à ce que les partenaires sociaux trouvent une solution». Il peut désormais s’en faire un devoir: son parcours lui confère suffisamment de crédibilité des deux côtés – économie et syndicats.

Conclusion: Jusqu’ici, les syndicats ont réussi à influencer la politique européenne du Conseil fédéral en leur faveur. Cela peut maintenant changer. Le Conseil fédéral pourrait à l’avenir influencer les syndicats de telle sorte qu’un accord avec Bruxelles devienne possible.

La collaboration au sein du Conseil fédéral

Situation initiale: Ces dernières années, le gouvernement suisse a montré des signes de dysfonctionnement. Ce ne sont pas les querelles politiques qui ont rendu difficile la collaboration à l’intérieur du collège, mais les animosités stratégiques, voire personnelles, qui ont parfois prévalu.

On a vu notamment de nombreuses fuites durant la période de la pandémie, qui ont fortement entamé la confiance au sein du gouvernement. Un rapport d’enquête parlementaire décrit un «climat de travail dégradé». Les fuites permanentes auraient eu quelque chose de «corrosif». Les luttes pour la répartition des départements avaient déjà provoqué la méfiance et une mauvaise ambiance au niveau des relations humaines.

Au Palais fédéral, les politiciens décrivent un gouvernement déstabilisé, peu agile et pratiquement en état de guerre des tranchées, dans lequel le chancelier de la Confédération doit souvent jouer un rôle de médiateur. Pas vraiment la direction que l’on souhaiterait voir en temps de crise.

Le ministre de l’Intérieur Alain Berset (au premier plan) s’en va, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis et la ministre des Finances Karin Keller-Sutter restent. Course d’écoledu Conseil fédéral en juin 2023. © Keystone / Alessandro Della Valle

Effet: Avec Alain Berset, c’est le ministre au centre de ce qu’on a nommé les «Corona-Leaks» qui s’en va. Des informations gouvernementales confidentielles provenant de son département ont régulièrement été diffusées dans les médias. Une enquête a été diligentée, qui n’a pas pu prouver que le ministre de l’Intérieur était lui-même responsable de ces fuites. Mais de nombreux commentateurs ont écrit qu’en démissionnant, Alain Berset avait pris la sortie de secours.

Désormais, le collège se voit fondamentalement rafraîchi, avec en plus l’arrivée d’un nouveau chancelier. Ces deux nouvelles têtes offrent la chance d’un nouveau départ. Mais il n’en subsiste pas moins des constellations problématiques. La position du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis reste notamment affaiblie, alors que celle de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter est dominante.

Jusqu’à présent, Ignazio Cassis a rarement trouvé une majorité au sein du Conseil fédéral pour ses projets, notamment en ce qui concerne l’Europe, l’Ukraine ou la neutralité. Karin Keller-Sutter quant à elle marque régulièrement des points grâce à son habileté stratégique.

Conclusion: Les asymétries subsistent, mais elles ont toujours existé. Les chances de voir un nouveau mode de fonctionnement plus coopératif n’en sont pas moins élevées.

Le système politique de la Suisse

Situation initiale: Le système politique suisse fonctionne de manière très stable, et donc avec une certaine inertie. Il ne se prête pas aux révolutions. La prévisibilité au Palais fédéral est assurée par trois «lois» non écrites.

La première est la fameuse «formule magique», de vieille tradition. Dès 1959, les quatre partis les plus forts se sont mis d’accord pour que les postes gouvernementaux soient répartis dans une proportion correspondant à leur force au Parlement. La formule actuelle n’a pas varié depuis les législatives de 2003. Le deuxième principe est que les candidats proposés par les partis sont élus, les autres non. On fait son choix sur le «ticket» du parti. Et la troisième règle veut que le Parlement réélise (presque) toujours les conseillers fédéraux en place.

Ces trois règles de bienséance garantissent la paix civile entre les grands partis. On ne se poignarde pas dans le dos, personne ne joue au plus malin et tout le monde peut compter sur ce pacte de non-agression.

Effet: Les élections parlementaires d’octobre ont déjà légèrement modifié les rapports de majorité en Suisse. Il ne s’agissait certes que de fractions de pourcentage, mais cela a suffi pour que la formule magique existante soit à nouveau discutée.

En conséquence, des jeux de stratégie sur des possibilités de destitution et de candidatures de rupture ont rapidement fait le tour du Palais fédéral. Ce n’est pas nouveau. En 2003 et en 2007 déjà, des conseillers fédéraux ont été destitués et de nouvelles constellations de partis ont été créées. Mais cette année, ces «plans secrets», ont été présentés et débattus de manière étonnamment ouverte. Au final, l’élection s’est déroulée selon le scénario, même si elle a été émaillée de quelques manœuvres de perturbation. Mais cette fois encore, les trois lois non écrites ont résisté aux velléités de bouleversement naissantes.

Conclusion: Un besoin de changement s’est fait sentir, la discussion à ce sujet est lancée. Le système stable de la Suisse absorbe étonnamment vite les rêves de révolution et peut les intégrer durablement ou, en d’autres termes, les «helvétiser»: évolution plutôt que révolution.

Le vote électronique

Situation initiale: En Suisse existe en principe une volonté politique de se doter d’un système de vote électronique. Mais en 2019, ce projet a connu un coup d’arrêt brutal en raison de problèmes de sécurité. Pour les cantons, responsables de l’organisation des élections et des votations en Suisse, l’entreprise était également trop ambitieuse.

Il y a deux ans, la Confédération a repris la coordination du projet. Ce fut un moment clé dans ce dossier, très important pour les Suisses de l’étranger. Le chancelier sortant Walter Thurnherr en était responsable. Sous son mandat, les problèmes de sécurité ont été intégrés et un nouvel essai a été lancé en 2023. Quatre cantons y participent actuellement. L’objectif est d’étendre l’essai au fur et à mesure de l’expérience acquise.

Effet: En Suisse, le chancelier de la Confédération n’a pas de pouvoir exécutif. Mais il n’en est pas moins responsable, au niveau fédéral, du fonctionnement de la démocratie directe. Jusqu’ici, Walter Thurnherr a donné le rythme au vote électronique. Physicien de formation, il était très sensible aux questions de numérisation. Sa succession représente donc aussi une décision sur l’avenir du vote électronique en Suisse.

Viktor Rossi
Viktor Rossi, 55 ans, membre des Vert’libéraux, est le nouveau chancelier de la Confédération. © Keystone / Alessandro Della Valle

Viktor Rossi, le nouveau chancelier, travaille à la Chancellerie fédérale depuis 2010, où il a occupé depuis 2019 le poste de vice-chancelier. Cuisinier de formation, c’est un cadre apparemment très apprécié au sein de l’état-major du Conseil fédéral. Il veut garantir la continuité au sein de la Chancellerie et a dit souhaiter «faire avancer de manière conséquente» la numérisation de l’administration.

Conclusion: Avec Viktor Rossi le projet suisse de vote électronique a trouvé le meilleur parrain possible. C’est une bonne nouvelle pour les Suisses de l’étranger.

>> Le portrait du nouveau conseiller fédéral Beat Jans:

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