«L’UDC est à la fois un parti de gouvernement et un parti anti-establishment»
Alors que la presse étrangère n’hésite pas à qualifier l’Union démocratique du centre de parti d’extrême droite, les médias suisses préfèrent le terme de droite conservatrice, populiste ou encore nationaliste. Le politologue de l’Université de Lausanne Oscar Mazzoleni explique pourquoi la catégorie d’extrême droite ne permet pas de comprendre la position du parti dans le paysage politique suisse.
La victoire de l’Union démocratique du centre (UDC) aux législatives fédérales a relancé le débat sur l’orientation politique du premier parti du pays. Sur le site d’actualité français MediapartLien externe, l’historien suisse Charles Heimberg a récemment estimé que l’UDC «est devenu un parti d’extrême droite par ses positionnements et campagnes». Le journal allemand FocusLien externe a également affirmé que le grand vainqueur des élections fédérales était «le parti d’extrême droite UDC».
Ces affirmations n’ont pas manqué de faire réagir la presse suisse, qui n’utilise pas le terme d’extrême droite pour qualifier le premier parti du pays. WatsonLien externe a considéré que l’UDC ne devait plus bénéficier d’une exception: «Soit ce parti est classé à l’extrême droite comme le Rassemblement national ou Fratelli d’Italia, soit aucune de ces formations ne doit recevoir cette qualification». D’autres journaux, à l’image du TempsLien externe, ont en revanche rappelé que la formation «fait partie de nombreux exécutifs cantonaux ainsi que du gouvernement fédéral» et que «les élus respectent les institutions» pour affirmer qu’il ne s’agissait pas d’un parti d’extrême droite.
Professeur de sciences politiques à l’Université de Lausanne et auteur de plusieurs livres sur la formation politique de la droite conservatrice, Oscar Mazzoleni estime également que l’UDC se différencie d’autres partis européens que l’on classe à l’extrême droite.
swissinfo.ch: Contrairement aux médias suisses, la presse étrangère n’hésite pas à traiter l’UDC de parti d’extrême droite. N’est-ce pas un raccourci exagéré?
Oscar Mazzoleni: La presse étrangère s’est focalisée sur certains aspects de la campagne électorale, notamment sur le thème de l’immigration. Dans de nombreux pays européens, il existe des partis qui expriment des discours similaires à l’UDC sur cette question et qui sont souvent désignés par le terme d’extrême droite. On peut ainsi comprendre qu’une partie des médias utilisent les mêmes catégories.
Toutefois, l’UDC ne se résume pas à certains arguments de sa campagne et au thème de l’immigration. Elle dispose d’un agenda économique très proche de la droite traditionnelle, tout en participant à différentes échelles à des exécutifs collégiaux et multipartites depuis des décennies. La catégorie d’extrême droite ne permet pas de saisir cette complexité, ainsi que le succès durable de ce parti.
Quels sont les critères qui permettent de déterminer si un parti est situé à l’extrême droite?
L’étiquette d’extrême droite est difficile à manier en raison d’une ambivalence de fond. D’une part, au sens idéologique, elle est utilisée pour qualifier des forces proches ou héritières de la tradition fasciste ou nazie. En allemand, elle désigne des forces antidémocratiques. De l’autre, le terme a une connotation plus neutre, qui sert à classer un parti sur l’échiquier politique et à désigner le parti qui est le plus à droite.
Sur cette base-là, comment définiriez-vous l’orientation du parti?
Je n’ai pas de réponse simple. L’UDC est un parti conservateur de droite, un parti nationaliste, un parti populiste, selon les situations ou les moments. Un label unique ne permet pas de comprendre la place composite que cette formation occupe dans le système politique suisse. Il s’agit à la fois d’un parti de gouvernement, mais aussi d’un parti anti-establishment.
Lorsqu’il s’agit de qualifier l’Afd en Allemagne, le Rassemblement national en France ou encore la Lega en Italie, on parle de l’extrême droite. Qu’est-ce qui distingue ces partis de l’UDC?
Le cas de l’Afd est simple. Il s’agit d’un parti d’opposition qui puise ses racines dans l’héritage nazi. Le Rassemblement national en France est l’héritier du Front national, fondé par Jean-Marie Le Pen, condamné plusieurs fois pour antisémitisme, ainsi qu’un ancien membre de la Waffen SS. Il est également un parti d’opposition, qui n’a jamais été au gouvernement national et qui est minoritaire à différents échelons du système politique français.
En revanche, l’UDC est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du système, notamment à cause du système référendaire qui lui permet de se démarquer régulièrement des autres principaux partis sur l’immigration ou l’Europe.
Reste que plusieurs plaintes pénales ont été déposées par des associations antiracistes en raison des visuels utilisés par l’UDC lors de sa campagne électorale. Ont-elles selon vous des chances d’aboutir?
Cela dépend de la manière dont les juges vont interpréter la norme pénale contre le racisme. Mais ce n’est rien de nouveau. Pour l’UDC, faire scandale est considéré comme une ressource de campagne. Le parti considère qu’il s’agit d’une façon d’attirer l’attention, de spectaculariser et de faire du marketing politique.
L’élu UDC jurassien Thomas Stettler s’est récemment lui-même qualifié de xénophobe en direct à la télévision. L’UDC a-t-elle rendu la xénophobie acceptable dans le débat politique suisse?
Depuis une trentaine d’années, l’UDC essaie de modifier les limites de l’acceptable dans l’opinion et la discussion publiques, lorsqu’on parle d’immigration, lorsqu’on parle d’étrangers. On l’a vu déjà vu en 2007 avec la campagne qui représentait des moutons blancs expulsant un mouton noir du territoire suisse.
Mis à part chez les Vert-e-s, les autres partis ont peu attaqué l’UDC sur sa campagne et sa rhétorique anti-immigration. Comment l’expliquez-vous?
Cette fois, les autres partis n’ont pas voulu donner trop de visibilité à l’UDC, car c’est exactement ce que cherche le parti. Ils ont beaucoup thématisé ce type de campagne par le passé, avant de comprendre que cela attirait encore plus l’attention sur l’UDC.
Christoph Blocher a donné une nouvelle orientation à l’UDC au cours des années 1990. Cette ligne dite «blochérienne» va-t-elle lui survivre?
Christoph Blocher a remodelé profondément le parti dans les années 1990. Sa ligne politique a joué un rôle essentiel dans la création de nouvelles sections cantonales et locales. Il a aussi joué un rôle fondamental dans la formation de la relève. Il a poussé à la tête de l’UDC des personnalités qui font encore aujourd’hui le parti. Comme il continue à enregistrer d’importants succès électoraux sur la base de sa ligne politique, l’héritage de Christoph Blocher va sans doute encore persister.
Avec la victoire de l’UDC aux élections fédérales, 11 agriculteurs de plus ont été élus au Parlement. Assiste-t-on parallèlement à un retour vers une tradition agrarienne et donc plus modérée de la politique de l’UDC?
L’UDC a vécu une refonte, mais elle n’a jamais nié ses traditions paysannes. D’ailleurs, elle n’a jamais changé de nom depuis sa fondation en 1971. Même si le parti a poussé vers le néolibéralisme économique, il n’a jamais remis en question les subventions à l’agriculture. Ce secteur continue à être clé au sein de son programme, comme pilier d’une certaine vision de la Suisse. Il faut aussi souligner que les agriculteurs élus au Parlement ne correspondent pas à une vision bucolique de l’agriculture, mais sont souvent des hommes d’affaires à la tête d’entreprises agricoles.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.