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La Suisse passive face aux licenciements de syndicalistes

Une trentaine de militants de l'Union syndicale suisse ont manifesté mardi à Genève contre les licenciements antisyndicaux en Suisse. Keystone

A l'occasion de la conférence annuelle de l'Organisation Internationale du Travail, l'Union syndicale suisse dénonce les licenciements de délégués syndicaux qui se multiplieraient en Suisse à l'occasion de la crise. Faux, rétorque le représentant des patrons.

Avec l’augmentation des plans de restructuration ces derniers mois, les licenciements de délégués syndicaux se multiplient en Suisse. Et cela dans tous les secteurs. C’est l’Union syndicale suisse (USS) qui l’affirme. L’organisation faîtière menace de porter une nouvelle fois plainte auprès de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui tient actuellement sa conférence annuelle à Genève.

Profitant du passage de Doris Leuthard, ministre suisse de l’économie, à la conférence ce mardi, l’USS a décidé d’interpeller directement la ministre suisse de l’économie. L’USS va aussi exposer le problème devant l’assemblée plénière de la conférence de l’OIT. Et ce pour faire monter cette revendication dans les priorités de l’OIT, une organisation internationale qui a la particularité de réunir non seulement les gouvernements, mais aussi les partenaires sociaux.

«Nous demandons à Doris Leuthard que le gouvernement applique la Convention sur la liberté syndicale que la Suisse a ratifiée en 1999. Pour ce faire, il faut modifier le droit du travail en vigueur. Cela pour protéger plus efficacement les représentants des travailleurs face aux licenciements antisyndicaux. C’est la mesure la plus urgente que la Suisse doit prendre si elle veut se conformer aux normes et aux recommandations préconisées par l’OIT», explique Vasco Pedrina, chef pour la Suisse de la délégation des travailleurs à la conférence de l’OIT.

L’OIT saisie une première fois

«En 2003, l’Union syndicale suisse avait – pour la première fois de son histoire – déjà porté plainte devant l’OIT contre le gouvernement suisse pour non-respect de cette convention, rappelle le syndicaliste. Le Conseil d’administration de l’OIT et le comité de la liberté syndicale ont donné suite à cette plainte en appelant la Suisse à adapter sa législation dans ce domaine. Mais le gouvernement continue de refuser une telle modification, invoquant le refus des employeurs, comme s’ils avaient un droit de veto.»

La législation suisse actuelle prévoit que dans ces cas de licenciement abusifs, les tribunaux peuvent obliger l’employeur à verser jusqu’à 6 mois de salaire, sans le contraindre à réintégrer le syndicaliste licencié. De plus, selon l’USS, les tribunaux ne prononcent en général qu’une pénalité de trois ou quatre mois de salaire. «Une telle peine n’est pas dissuasive», juge Vasco Pedrina, secrétaire national du syndicat Unia.

«Les délégués syndicaux doivent pouvoir s’engager et s’exposer pour défendre les droits sociaux. D’ailleurs pas mal de travailleurs ont peur de s’engager dans l’action syndicale faute de protection suffisante», plaide le syndicaliste tout en rappelant que l’OCDE recommande aussi dans ses principes directeurs que les syndicalistes soient protégés.

Des cas très rares

Représentant des employeurs au sein de la délégation suisse, Michel Barde récuse: «En réalité, il y a très peu de cas avérés de licenciement pour motif syndical. La plupart des cas présentés jusqu’à maintenant par l’USS ont fait l’objet d’examen par les tribunaux, ou ont bénéficié d’accords à l’amiable. A ma connaissance, il n’y a pas de recrudescence de licenciement de ce type du fait de la crise.»

L’ancien responsable de la Fédération des entreprises romande assure aussi que la convention invoquée par l’USS ne contient pas d’obligation de réintégration. «Le comité de la liberté syndicale de l’OIT fait des recommandations pour inviter les partenaires sociaux au dialogue. Ce qui a été fait en Suisse sur cette question. Mais jusqu’à maintenant, aucun accord n’a pu être trouvé», ajoute Michel Barde.

Un constat que formule aussi le gouvernement. «Sans accord entre les partenaires sociaux, il est difficile de proposer une modification de la législation. Elle ne passerait pas la rampe du parlement», précise Jean-Jacques Elmiger, chef des Affaires internationales du travail au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO).

«Dans les années 80, rappelle ce représentant du gouvernement au sein de la délégation suisse à la conférence de l’OIT, le Conseil fédéral avait proposé une législation beaucoup plus ambitieuse avec douze mois de salaire comme indemnité et la réintégration de la personne abusivement licenciée. Mais le Parlement en a décidé autrement.»

L’exemple des mesures d’accompagnement

Un argument qui ne convainc pas Jean-Claude Prince, conseiller de la délégation syndicale suisse. «La Suisse est un des pays qui a conçu les meilleures mesures protectrices pour éviter le dumping salarial suite aux accords de libre-circulation avec l’Union européenne. Le gouvernement est donc parfaitement capable d’agir dans ce domaine.»

L’ancien secrétaire central de l’USS en profite pour rappeler le contexte syndical de ce débat: «En matière de présence syndicale dans les entreprises, la Suisse est en dessous de la moyenne des pays développés. Seuls la moitié environ des emplois sont couverts par une convention collective. C’est un taux insuffisant pour engager de nouvelles négociations collectives. La Suisse se vante d’être le berceau de la paix sociale. Mais c’est un leurre. Tous les pays voisins ont un taux de couverture des conventions collectives de plus de 90%», dit Jean-Claude Prince, conseiller technique de la délégation des travailleurs suisses et ancien secrétaire central de l’USS.

Une suisse pionnière au XIXe siècle

Une évaluation que conteste Michel Barde: «Dans les pays du nord de l’Europe, la plupart des employés sont syndiqués, une proportion qui baisse au fur et à mesure que l’on descend au sud du continent. La Suisse est donc dans la moyenne avec un taux de 30% de syndiqués. De plus, environ 50% des travailleurs sont couverts par une convention collective.»

Jean-Claude Prince invoque, lui, l’Histoire pour pousser la Suisse à plus d’ambition. «La Suisse a été pionnière dans le droit du travail. En 1848, la Suisse est un des premiers pays à accorder la liberté d’association. La première convention collective adoptée dans le monde remonte à 1850. Elle couvrait le secteur de l’imprimerie à Genève. Dans les années 1840, le canton de Glaris a été le premier Etat à légiférer sur la durée du travail des adultes.»

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

La 98e session de la Conférence internationale du Travail (CIT) se tient à Genève du 3 au 19 juin 2009.

La Suisse est représentée par une délégation gouvernementale dirigée par Serge Gaillard, Chef de la Direction du travail du Secrétariat d’État à l’économie SECO.

La délégation des employeurs est dirigée par Michel Barde, membre du Comité de l’Union patronale suisse (UPS), et celle des travailleurs par Vasco Pedrina,Secrétaire national du syndicat Unia.

A l’occasion du 90e anniversaire de l’OIT, Doris Leuthard a signé avec l’organisation tripartite une déclaration d’intention destinée à renforcer la collaboration en matière de mise en œuvre et de respect des droits des travailleurs dans les pays en développement.

Les activités prévues dans ce cadre par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) sur la période 2009-2012 portent sur un montant de 7,2 millions de dollars dans les pays prioritaires suivants: Indonésie, Vietnam, Afrique du Sud, Ghana, Colombie, Inde et Chine.

Un programme vise à améliorer la coopération entre exportateurs et acheteurs du secteur textile, un autre est axé sur les petites et moyennes entreprises et les entreprises de sous-traitance.

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