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Le rendez-vous de Davos à l’épreuve de l’exaspération sociale

Personne assise vue à travers une vitre brisée
Le saccage du parlement du Brésil en ce début janvier est une nouvelle démonstration de l'état de fragilité de la société. Keystone / Andre Coelho

Au début d’une année 2023 de tous les dangers, confrontées à la menace de troubles sociaux, les élites économiques et politiques de la planète se retrouvent face à leurs responsabilités au moment où doit s’ouvrir la réunion annuelle du World Economic Forum (WEF), le 16 janvier à Davos.

Combustibles, denrées alimentaires: les prix flambent. L’an dernier, l’inflation a incité les populations à manifester partout dans le monde et les industries à agir. Le mécontentement social a poussé vers la sortie des gouvernements au Sri Lanka et en Grande-Bretagne, au Pérou et au Brésil – un changement contesté dans ce dernier pays début janvier lors de scènes rappelant celles de janvier 2021 aux États-Unis.

«Les gens sont de plus en plus mécontents de la société et se demandent pourquoi ils coopèrent», constate Morris Pearl, président des Patriotic Millionaires, groupe qui réunit de riches Américains estimant, paradoxalement, devoir être taxés davantage pour lutter contre les inégalités.

«Les gens ont raison d’être en colère. Ils estiment le système faussé, et ce, en leur défaveur. Et ils ont raison. Nous craignons que si les riches ne changent pas volontairement, les masses ne marchent, fourche en main, pour changer les choses à notre détriment.» 

Le fait est qu’aux yeux des spécialistes, la situation économique va empirer encore, accentuant la pression sur les ménages de la planète entière.

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Un tiers de l’économie mondiale pourrait être en récession cette année, estime le Fonds monétaire international (FMI). Il voit un ralentissement de l’inflation, qui devrait tout de même atteindre 6,5% à l’échelle du globe (contre une prévision de 8,8% pour 2022). «Pour l’essentiel de l’économie mondiale, l’année sera difficile, plus difficile que celle que nous venons de quitter», a indiqué à CBS la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva en date du 1er janvier.

Le pire reste à venir

Au fil des ans, les 2500 personnalités – cette année plus de trois mille dont une cinquantaine de chefs d’État – présentes dans la station grisonne pour l’événement phare du WEF ont eu de nombreuses crises à se mettre sous la dent.

Mais cette fois-ci, il est difficile de savoir par où commencer pour concrétiser l’objectif déclaré des organisateurs, à savoir «Improving the State of the World», soit améliorer l’état du monde…

Alors que les frontières chinoises rouvrent, l’inquiétude est bien réelle quant à un retour sur l’avant-scène du Covid-19 dans un contexte où la planète paie encore la facture de deux années de confinement.

En Ukraine, le bain de sang engendré par l’invasion russe ne montre aucun signe d’apaisement, avec pour corollaire la hausse du coût de l’énergie et de nombreuses denrées de base.

Cette situation a bouté le feu à une inflation rampante qui frappe les biens de consommation et enfonce toujours plus de monde dans les difficultés financières partout sur la planète.

Oxfam a tiré la sonnette d’alarme durant la dernière réunion annuelle du WEF en mai dernier. La pandémie, l’inflation et la guerre en Ukraine pourraient plonger 263 millions de personnes dans la pauvreté, selon l’ONG.

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Sachant que les bas revenus souffrent davantage de la hausse du coût de la vie, Oxfam craint des explosions sociales résultant d’inégalités croissantes.

«La crise du coût de la vie vient s’ajouter à la crise du Covid-19 en cours, qui a vu les gouvernements et la communauté internationale échouer à prévenir la plus forte hausse de l’extrême pauvreté en plus de vingt ans», constate l’ONG.

Même un pays aussi prospère que la Suisse n’a pas été entièrement épargné. La force du franc a contribué au maintien de l’inflation à 2,8% l’an dernier, mais il s’agit tout de même du taux le plus élevé enregistré depuis trente ans.

Selon les statistiques les plus récentes, 735’000 personnes sur les 8,5 millions d’habitants et d’habitantes que compte la Suisse (8,7%) vivaient dans la pauvreté en 2019. L’organisation d’entreaide Caritas estime que la proportion de personnes n’arrivant pas à joindre les deux bouts est largement plus élevée encore après le coronavirus et une année de hausse des prix.

Pour un nombre croissant de personnes «pour lesquelles l’argent suffisait tout juste auparavant, il n’y a maintenant tout simplement plus assez à la fin de mois pour couvrir les frais courants», relève Livia Leykauf, porte-parole de Caritas.

Selon une étude de la même organisation l’an dernier, avec autant de gens vivant juste au-dessus du seuil de pauvreté officiel, une légère augmentation des coûts peut suffire à faire doubler le taux de pauvreté en Suisse.

«Nous devons partir de l’idée que la situation (en Suisse) va encore se détériorer dans les semaines et mois à venir et que davantage de personnes seront touchées par la pauvreté», souligne Livia Leykauf.

Le WEF à la rescousse?

«Cooperation in a Fragmented World» (la coopération dans un monde fragmenté): telle est la devise devant inspirer la réunion annuelle d’une semaine que le WEF s’apprête à inaugurer le 16 janvier à Davos. Ses têtes pensantes craignent que la planète ne soit confrontée à une «décennie d’incertitude et de fragilité» eu égard à la guerre en Ukraine, aux tensions croissantes entre Chine et Occident, aux pénuries alimentaires dans de nombreux pays et à la problématique non résolue de l’urgence climatique.

Les personnes interrogées dans le cadre du Global Risk Report annuel du WEF placent la «crise du coût de la vie» au premier rang des menaces pour la stabilité à court terme. Elle pourrait conduire à une «augmentation de la pauvreté, à la faim, à des manifestations violentes, à l’instabilité politique et même à l’effondrement de l’État».

«Troubles sociaux et instabilité politique ne seront pas circonscrits aux marchés émergents sachant que les pressions économiques continuent à creuser l’échelon moyen des revenus», ce qui pourrait poser «des défis existentiels aux systèmes politiques partout dans le monde», établit le rapport.

Selon le même document, le risque d’«érosion de la cohésion sociale et de la polarisation sociale» est considéré comme la cinquième cause la plus probable d’instabilité cette année.

En rassemblant les groupes influents de la planète pour s’attaquer aux questions les plus pressantes, le WEF se conçoit comme un élément de la solution. Mais tout le monde n’en est pas aussi sûr. Les Patriotic Millionaires et leur centaine de membres fortunés, essentiellement américains, ont mis les pieds dans le plat l’an dernier.

«La vérité est qu’actuellement, Davos ne mérite pas la confiance du monde. Pour toutes les heures innombrables passées à parler d’améliorer le monde, la conférence n’a pas produit grand-chose de tangible au milieu d’un déluge d’autocongratulations», affirmait le groupe dans une lettre ouverte publiée en janvier 2022.Un an plus tard, Morris Pearl ne voit pas d’évolution. «Le WEF symbolise l’inégalité. Il gagne des masses d’argent en ponctionnant les participants. Je n’ai rien vu de solide qui me fasse penser que les personnes qui organisent la conférence ou celles qui y participent aient l’intention de changer le cap de cette inégalité croissante», a-t-il confié à swissinfo.ch.

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Modéré par: Matthew Allen

Le Forum de Davos peut-il sérieusement améliorer l’état du monde?

Le Forum économique mondial (WEF) qui se tient à Davos, en Suisse, dit «s’engager à améliorer l’état du monde». Qu’en pensez-vous?

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Traduit de l’anglais par Pierre-François Besson

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