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Des ados suisses trop friands d’«alcopops»

Quand l'alcool essaye de se faire passer pour un "soft drink". swissinfo.ch

Ils sont bon marché, doux et forts. «Ils», ce sont les «alcopops». Une catégorie de boisson qui séduit toujours plus les adolescents.

Réunis cette semaine à Berne, des spécialistes de la prophylaxie de l’alcoolisme tirent la sonnette d’alarme.

Les «alcopops» sont des mélanges d’alcools forts (vodka, gin, etc.) et de boissons sucrées (jus d’orange, d’ananas, etc.). Le problème vient du fait que le caractère sucré de la boisson cache sa forte teneur en alcool.

Or, les professionnels mondiaux de la santé, réunis cette semaine en symposium à Berne à l’occasion des 100 ans de l’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA), s’inquiètent du fait que ces «alcopops» sont particulièrement prisés de la jeunesse.

Les statistiques de la Régie fédérale des alcools montrent que le marché des «alcopops» connaît une croissance soutenue: 28 millions de bouteilles ont été vendues en Suisse l’an dernier contre 2,5 millions l’année précédente.

Et pour cette année, le total des ventes pourrait atteindre 40 millions de bouteilles…

Des impôts trop légers

Les professionnels de la santé demandent au Parlement d’augmenter les taxes, afin de préserver les jeunes consommateurs.

En effet, le prix des «alcopops» dans les supermarchés est peu élevé. Le prix d’une bouteille est inférieur à 3 francs.

De leur côté, les producteurs d’«alcopops» insistent sur le fait que leur boisson est destinée à des adultes responsables.

«C’est une farce, répond Richard Müller, directeur de l’ISPA. Les producteurs de ces boissons font de la publicité lors d’événements dont le public cible est constitué par les jeunes.»

«Tout ce commerce est clairement orienté vers la jeunesse, poursuit Richard Müller. Même si la vente d’alcool est interdite au moins de 18 ans.»

Une réglementation peu observée

Le parlement suisse a fait passer l’âge limite pour acheter des préparations à base d’alcool de 16 à 18 ans. Toutefois, de récentes études ont montré que la législation ne parvient pas à freiner la consommation d’alcool chez les jeunes.

Une expérience menée par le Tages Anzeiger a monté l’étendue du problème. Le quotidien alémanique a envoyé 392 adolescents acheter de l’alcool dans l’agglomération zurichoise.

La moitié des ados âgés de 13 et 14 ans ont réussi à s’en procurer. Parmi ceux âgés de 15 ans, presque les deux tiers n’ont pas eu de difficulté pour en acheter.

Pour Holger Schmid, un expert lausannois de la santé, il est en fait très difficile d’appliquer la loi. «Il est presque impossible de demande à chacun sa carte d’identité, déclare-t-il. Par ailleurs, les ados font acheter l’alcool par des frères ou des camarades plus âgés.»

Oublier le quotidien

En Suisse, la consommation d’alcool n’a cessé de diminuer au cours des cent dernières années. Il y a 100 ans, les Helvètes buvaient 23 litres d’alcool pur par tête et par année.

Aujourd’hui, cette consommation est passée à 9 litres par personne. La baisse est certes conséquente, mais il s’agit encore d’une des consommations les plus importantes au monde.

Toutefois, malgré cette tendance générale à la baisse, il y toujours plus de jeunes qui se tournent vers l’alcool, un phénomène qui a souvent des conséquences dramatiques.

Selon les chiffres de l’ISPA, environ 12 000 jeunes âgée de 11 à 16 ans boivent de l’alcool chaque jour. Et ce chiffre augmente rapidement.

«La cause de cette augmentation est surtout une question de changement de mentalité, explique Holger Schmid. Etre ivre signifie se sentir différent. Or, cela semble très important pour les jeunes.»

Pour Holger Schmid, les autorités devraient donc voir au-delà des lois et des augmentations de taxes. Les gouvernements du monde entier doivent surtout comprendre pourquoi les jeunes éprouvent le besoin de boire.

«Si vous demandez aux jeunes pourquoi ils consomment de l’alcool avec excès, ils vous répondent que c’est juste pour s’amuser, déclare Holger Schmid. Nous vivons dans une société du divertissement et l’alcool est un moyen très efficace pour oublier nos tracas quotidiens. Mais, hélas, ce but à court terme crée des effets à long terme.»

Une société borgne

Pour les experts internationaux réunis à Berne, le grand problème dans la lutte contre l’alcool et l’apathie de la société.

D’un côté, la société est très soucieuse des problèmes de drogues. D’un autre côté, la consommation d’alcool est considérée avec beaucoup plus d’indulgence.

Pourtant, l’alcool reste le problème de santé public qui coûte le plus cher à la Suisse. Les experts estiment que la facture annuelle se monte à plus de 2,5 milliards de francs.

Tim Stockwell, responsable de l’Institut australien de prévention de la toxicomanie, rappelle que la plupart des gens à travers le monde pensent que les problèmes d’alcool ne sont causés que par une poignée de poivrots, alors que la consommation de la majorité de la population reste correcte.

«Mais si vous considérez les chiffres, la réalité est tout à fait opposée, poursuit-il. La plupart des dommages causés par l’alcool touchent de personnes qui n’ont pas de problèmes de boisson. Elles ne sont pas alcooliques et boivent d’une manière généralement considérée comme correcte.»

«La société a en fait un gros blocage face à l’alcool, conclut l’Australien. Elle ne prend pas ce problème au sérieux, alors qu’il s’agit d’une drogue qui tue bien plus de gens que l’héroïne, le cannabis ou les amphétamines.»

swissinfo/Jacob Greber

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