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Jean Ziegler: «La Suisse, nouvel Honduras»

Jean Ziegler: «Le 10 septembre ne changera pas grand-chose...» swissinfo.ch

Que peut apporter la Suisse aux Nations Unies? Le socialiste Jean Ziegler développe un point de vue critique sur cette question.

Pourfendeur du capitalisme, l’ancien député suisse craint que la Suisse ne soit très docile aux diktats des Etats-Unis.

Le sociologue est actuellement rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation. Pour lui, la date du 10 septembre ne sera pas à marquer d’une pierre blanche dans les livres d’histoire.

swissinfo: Est-ce une journée particulière pour vous? Où serez-vous ce jour-là?

Jean Ziegler: Je serai au Bangladesh, parmi les paysans sur les rives du Gange. Avec mes collaborateurs, je fais une mission afin de connaître les causes d’un effroyable malheur: des milliers de personnes sont empoisonnées par l’arsenic qui monte des nappes phréatiques.

Pensez-vous qu’il s’agit pour la Suisse du début d’une nouvelle ère?

J.Z.: Le 10 septembre ne changera pas grand-chose: ce sont les banquiers qui en mars 2002 ont financé à coup de millions de francs et avec leurs «spécialistes» du marketing la campagne pour l’adhésion de la Suisse à l’ONU. Leur but: adhérer à l’ONU afin que le gouvernement renonce à demander l’adhésion à l’Union européenne.

La Suisse est le pays le plus riche de la terre (revenu par tête d’habitant). Essentiellement grâce à l’argent de l’évasion fiscale européenne, le capital en fuite du Tiers-Monde, l’argent des mafias du monde entier. Le secret bancaire est primordial pour les banquiers. L’adhésion à l’UE signifierait la fin brutale de ce secret. Avec l’ONU, aucun risque.

Quels seront les changements concrets à partir de cette date pour la Suisse?

J.Z.: Aucun. J’ai bien peur que la Suisse ne soit – à l’ONU – un nouvel Honduras. Sans initiative propre. Docile aux diktats des Etats-Unis.

Vous êtes rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation: l’adhésion de la Suisse va-t-elle changer quelque chose dans votre travail?

J.Z.: Non. J’exerce mon mandat dans l’indépendance la plus totale. J’ai été élu grâce à une majorité des Etats du Tiers-Monde, contre la volonté expresse des Américains.

Mais il y a une autre chose qui me préoccupe: les Nations Unies vivent une sorte de schizophrénie. Avec leurs stratégies de libéralisation et de privatisation à tout prix, la Banque mondiale, l’OMC et le FMI annulent quotidiennement les faibles progrès accomplis grâce au travail magnifique de l’OMS, de l’UNESCO, la FAO et de toutes les autres organisations de développement et de lutte contre la misère des Nations unies.

Je publie d’ailleurs un livre en octobre sur cette schizophrénie («Les nouveaux maîtres du monde», chez Fayard).

Propos recueillis par Ariane Gigon Bormann

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