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«Nous ne voulons pas protéger les fraudeurs»

Keystone

Urs P. Roth, directeur de l'Association suisse des banquiers (ASB), impute une bonne partie de la pression des Etats-Unis sur les paradis fiscaux à des questions de politique intérieure.

Urs P. Roth a confié à swissinfo.ch ses espoirs de voir les Etats-Unis et la Suisse se mettre d’accord sur un accord de double imposition aux conditions de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).

Selon les banquiers suisses, le secret bancaire n’est pas leur seul argument de vente. Mais, alors que la Confédération renégocie ses accords de double imposition avec des dizaines de pays, son secteur bancaire est sur le point de subir des changements radicaux.

Aux Etats-Unis, les banques helvétiques ont fait l’objet de sévères critiques et d’une mauvaise presse. Mais Urs P. Roth estime que, en général, elles jouissent d’une image positive à la fois auprès des décideurs politiques et du public. Il défend avec vigueur l’intégrité de cette industrie.

Lors d’un litige remontant à 2007, UBS, numéro un bancaire suisse, s’est vu ordonner par un tribunal de Floride de transmettre l’identité de milliers de détenteurs de comptes. (Cette procédure civile contre X du fisc américain, appelée «John Doe Summons», vise les contribuables soupçonnés de fraude fiscale.) Selon le patron de l’ASB, le cas devrait pouvoir être réglé par voie diplomatique, mais «il est clair que les autorités doivent se concentrer davantage sur la fiscalité».

swissinfo.ch: Certains pensent que les Etats-Unis ont raison de poursuivre UBS jusqu’en Suisse. Y compris la direction de la rédaction du New York Times est du même avis. Vous-même, qu’en pensez-vous?

Urs P. Roth: En cas de litige, UBS se trouverait face à deux options difficiles: violer le droit américain ou violer le droit suisse. C’est une position intenable. Il est évident que les gens qui ont contrevenu aux règles des Etats-Unis doivent en être tenus pour responsables, mais cette situation ne peut se régler devant un tribunal.

Ce genre d’affaire est souvent réglé par voie diplomatique et c’est aussi le cas des Etats-Unis.

swissinfo.ch: Quand vous parlez de personnes responsables, vous référez-vous aux banques suisses ou aux fraudeurs américains?

U.R.: Aux deux. Pour être tout à fait clair, je ne suis pas d’accord avec l’évasion fiscale. Nous ne voulons pas protéger les criminels, quels qu’ils soient. Mais ces cas internationaux doivent être résolus via la diplomatie et non pas en appliquant des pressions extraterritoriales.

swissinfo.ch: Certains «libertarians» américains soutiennent le secret bancaire. Comment obtenir plus de soutien de leur côté?

U.R.: De deux manières: nous suivons aux Etats-Unis les développements qui vont dans l’intérêt des banques suisses et de la finance internationale. Nous faisons aussi un travail d’information sur la Suisse, sur sa place bancaire et sur sa manière de travailler.

Nous parlons avec des membres du parlement et leurs équipes, avec l’administration, les usines à idées, les médias et les autres banques. Nous n’essayons pas vraiment d’exercer une influence pour rechercher des alliés. C’est plutôt une campagne d’information que nous menons depuis une vingtaine d’années.

swissinfo.ch: Dans l’affaire de la Floride, les Suisses font valoir leur souveraineté juridique. Ce genre d’argument n’aura pas beaucoup d’écho auprès des citoyens américains. Comment pouvez-vous argumenter que le secret bancaire est bon pour les Etats-Unis?

U.R.: Nous ne plaidons pas tant la souveraineté. C’est là plutôt l’argument du gouvernement suisse. Nous, nous disons que ce n’est pas la bonne manière de régler un litige international. Les Etats-Unis n’apprécieraient pas qu’un pays étranger dépose une plainte contre X de manière unilatérale et extraterritoriale contre une institution étasunienne.

D’autre part, nous essayons de dire que la Suisse a toujours été un partenaire économique et politique important des Etats-Unis. Les entreprises suisses y emploient dans les 300’000 personnes, dont 45’000 dans le secteur financier. Nous sommes le septième investisseur aux Etats-Unis avec environ 160 milliards de dollars (174 milliards de francs) en avoirs et en investissements.

swissinfo.ch: Dans l’affaire UBS, s’il s’agissait d’un pays plus grand et plus puissant que la Suisse, comme par exemple la Chine, le gouvernement américain aurait adopté une stratégie bien différente, selon certains experts.

U.R.: J’ose espérer que le gouvernement américain traiterait la Suisse comme il traiterait la Chine. Je suis convaincu que Washington apprécie le fait que la Suisse est une alliée de longue date, que nos deux pays partagent la même démocratie, les mêmes droits à la liberté. La Suisse représente les intérêts des Etats-Unis en Iran, à Cuba et ailleurs.

Jusqu’ici, l’affaire n’a pas été traitée au niveau politique aux Etats-Unis. Elle ne devrait pas être considérée du seul point de vue intérieur mais au niveau international, de sorte que les intérêts des deux pays soient pris en compte et que les conflits soient résolus par la voie diplomatique en fonction des accords bilatéraux, plutôt qu’en recourant à des pressions extraterritoriales.

swissinfo.ch: Certains affirment que les Etats-Unis ne tiennent pas compte de la cause profonde de l’évasion fiscale, soit le taux élevé d’impôt. Vous-même, vous avez déclaré que ce problème est le reflet d’une relation faussée entre les citoyens et l’Etat.

U.R.: Cela ne me surprend pas. L’évasion fiscale est un fait. L’un des symptômes d’une relation faussée entre l’Etat et les contribuables relève certainement des règlements fiscaux. Mais pas forcément: cela signifie peut-être que les gens ne veulent tout simplement pas payer leur dû.

swissinfo.ch: Selon le Réseau pour la justice fiscale (TJN), il n’y a pas de sphère privée absolue. Dans quelle mesure cette sphère privée est-elle liée à l’avenir du secteur bancaire suisse?

U.R: Le respect de la sphère privée restera un aspect important dans notre travail, C’est un concept très universel, pas uniquement suisse. Mais, à l’évidence, la sphère privée ne peut être illimitée et ne doit jamais protéger des activités criminelles, y compris l’évasion fiscale. Cela, la Suisse l’a accepté.

La Suisse a toujours été la première à établir des règles permettant d’empêcher que des criminels puissent abuser des places financières. Nous avons des règles qui nous permettent de lutter contre des dictateurs qui pillent les richesses de leur pays et nous avons établi une longue tradition d’échange d’informations dans des affaires criminelles, évasion fiscale comprise.

Quant à savoir si l’échange d’informations doit être automatique, comme certains le réclament, ce n’est pas la direction que souhaitent prendre les Etats-Unis. Je crois que l’ensemble de la communauté ne l’accepterait-pas.

Justin Häne, swissinfo.ch, à Zurich,
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

Reproches. Le secret bancaire suisse est depuis quelques années dans le collimateur des législateurs américains. Certains lui reprochent de couvrir des dépôts illégaux et d’encourager l’évasion fiscale.

Accusation. Le 14 mai 2008, les choses se sont gâtées lorsqu’un collaborateur d’UBS et un homme d’affaires du Liechtenstein ont été accusés d’avoir aidé un milliardaire américain à se soustraire au fisc.

Tribunal. En juillet 2008, un tribunal de Miami a conclu que l’IRS pouvait déposer une plainte contre X (John Doe Summons) pour exiger les noms de quelque 52’000 clients d’UBS même s’il n’est pas avéré que tous sont des fraudeurs fiscaux.

Souveraineté. La loi suisse interdit aux banques de révéler les noms des dépositaires qui ont soustrait leurs avoirs aux autorités fiscales américaines. Le gouvernement suisse estime que la décision américaine est en violation de la souveraineté nationale ainsi que de l’accord fiscal conclu avec les Etats-Unis.

Traité. Citant un traité de 1951 pour éviter la double imposition, la Suisse affirme qu’elle coopère dans des cas de «fraude fiscale et autres».

Contexte. Les autorités fiscales américaines (IRS) estiment que le traité doit être adapté au contexte, ce qui déçoit la Suisse.

Banque privée. Entretemps, UBS s’est retirée de la banque privée aux Etats-Unis et s’est engagée à transmettre quelques centaines de noms de ses clients.

Renégociation. En mars 2009, la Suisse a décidé d’assouplir le secret bancaire. Elle est en train de renégocier une convention de double imposition avec plusieurs pays, y compris les Etats-Unis, mais elle a annoncé qu’elle renonçait à faire la distinction entre fraude et évasion fiscales.

Rencontres. La délégation suisse a rencontré des représentants américains le 16 juin pour la deuxième fois.

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