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«Lobbys et pays pétroliers ont sapé le traité plastique à Genève»

une statue avec des objets plastiques devant le palais des nations à Genève
Des déchets en plastique exposés aux côtés de l’œuvre « The Thinker’s Burden » de l’artiste canadien Benjamin Von Wong, créée spécialement pour les négociations sur le traité plastique, devant le Palais des Nations à Genève. Keystone / Martial Trezzini

Les négociations pour un traité contraignant sur la pollution plastique ont échoué ce vendredi à Genève. Plusieurs spécialistes pointent du doigt la pression des groupes d’intérêts et des pays producteurs de pétrole et de plastique.

C’est au lever du jour, ce vendredi, que le verdict est tombé: «Nous n’aurons pas de traité sur la pollution plastique ici à Genève», a déclaré le représentant de la Norvège au cours d’une séance plénière.  

Les négociations, qui durent depuis 10 jours et devaient aboutir à minuit le 14 août, se sont prolongées jusqu’à 6 heures du matin. Les chefs des 185 délégations réunis à Genève devaient alors accepter un texte de compromis, encore flou sur plus d’une centaine de points. La quasi-totalité des pays présents en session informelle l’a rejeté.

La production de plastique, nœud du conflit 

La réduction de la production de plastique a constitué l’écueil central des discussions. L’objectif visé était de fixer un plafond mondial à la production, puis de la réduire progressivement, tout en limitant les substances toxiques utilisées dans la fabrication. Un dossier sensible, qui a opposé deux camps dans un bras de fer faisant écho aux négociations pour le climat. 

D’un côté, une coalition ambitieuse menée par la Norvège et le Rwanda – à laquelle la Suisse appartient – qui demandait un objectif contraignant de réduction de la production d’ici 2040, conformément au mandat de l’ONU, couvrant tout le cycle de vie du plastique, de sa fabrication à son élimination. 

Chaque année, plus de 400 millions de tonnes de plastiqueLien externe sont produites, dont la moitié à usage unique. Moins de 10% sont recyclées. Le reste s’accumule dans les décharges, les sols et les mers, ou se décompose en microplastiques qui contaminent les écosystèmes et s’infiltrent jusque dans le sang humain.  

La production mondiale de plastiques a doublé en vingt ans et pourrait tripler d’ici 2060, selon l’OCDE.Lien externe Face à ce fléau, l’ONU a adopté en 2022 une résolution pour un traité international contraignant couvrant tout le cycle de vie du plastique, notamment en freinant sa production et en améliorant la gestion des déchets. 

Face à eux, des Etats producteurs de pétrole et de plastique, comme l’Arabie saoudite, la Russie, l’Iran ou la Chine, auraient cherché à limiter le traité à la gestion des déchets, sans restreindre la production. 

En décembre déjà, lors de ce qui devait être les négociations finales à Busan, en Corée du Sud, ce bloc de pays s’était opposé à toute limitation de la production, provoquant un échec retentissant. 

«Certains pays ne sont pas venus ici pour finaliser un texte, mais pour faire exactement l’inverse: bloquer toute tentative de faire avancer un traité viable», dénonce David Azoulay, directeur du programme de Santé environnementale et chef de délégation du Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL).  

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Il qualifie les négociations à Genève d’«échec total». «Il est impossible de trouver un terrain d’entente entre ceux qui veulent préserver le statu quo et la majorité qui souhaite un traité fonctionnel, susceptible d’être renforcé au fil du temps.» 

Le blocage des pays pétroliers et des lobbys

Mais c’est aussi la pression des lobbys et des pays pétroliers qui est pointée du doigt. D’après une analyse de CIEL, plus de 234 lobbyistes de l’industrie des combustibles fossiles et de la chimie étaient présentsLien externe lors des négociations à Genève, formant ainsi la plus grande délégation présente.  

Dix-neuf d’entre eux ont même intégré des délégations nationales, notamment celles de l’Égypte (6), du Kazakhstan (4), de la Chine (3) et de l’Iran (3). Parmi eux, on compte des géants du secteur comme ExxonMobil, Dow, ou encore l’American Chemistry Council, mais aussi Coca-Cola et Lego.

Graph production mondiale de plastique
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«Ces lobbyistes exercent souvent des pressions sur les Etats membres, recourent à des tactiques d’intimidation et cherchent à réduire l’ambition des processus connexes, faisant obstacle à un traité ambitieux», souligne Ximena Banegas, spécialiste sur les plastiques et la pétrochimie à CIEL.

Vers un nouveau processus?

Une incertitude plane sur l’avenir des négociations. Felix Wertli, chef de la délégation suisse contacté par Swissinfo, estime qu’une «pause» est nécessaire: « C’est une grande déception et nous devons maintenant réfléchir aux raisons de cet échec et déterminer si le processus doit être revu. Comme on l’a constaté, les pays producteurs de pétrole se sont fortement opposés au traité, tout comme les États-Unis, qui ne voulaient pas de règles internationales.»  

De son côté, la directrice du Programme des Nations unies pour l’environnement, Inger Andersen, se dit confiante, en dépit de la fatigue accumulée lors des négociations de la nuit: «Malgré la déception, des avancées significatives ont été réalisées. Tout le monde doit comprendre que ce travail ne s’arrêtera pas, car la pollution plastique ne s’arrêtera pas.»

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Pour David Azoulay, de CIEL, toutes futures négociations seront vouées à l’échec tant que le processus ne changera pas: «Nous avons besoin d’un nouveau départ, pas d’une redite. Les pays favorables à un traité doivent se retirer de ce processus défaillant pour créer un accord porté par les Etats prêts à agir, avec des règles de vote mettant fin à la tyrannie du consensus observée ici.» 

La présidence a choisi de suspendre les négociations plutôt que de les clore, laissant la porte ouverte à une nouvelle session. Reste que le chemin à parcourir vers un traité est long et semé d’embûches, face à un fléau qui ne cesse de croître. 

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Texte relu et vérifié par Pauline Turuban

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