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Les musulmans de Suisse résistent aux appels de Ben Laden

Les personnes de confession musulmane en Europe et aux Etats-Unis subissent des pressions, à la fois fortes et contradictoires. Keystone

La crise internationale née des attentats du 11 septembre et qui se poursuit avec la réplique orchestrée par les Etats-Unis en Afghanistan soumet le monde musulman à de fortes pressions. Pris dans la tourmente, les musulmans de Suisse restent - pour l'heure - lucides et critiques.

Comme le disait Winston Churchill, la première victime de la guerre, c’est la vérité. On pourrait ajouter que la guerre s’attaque également au sens de la nuance et donne donc des ailes aux idées manichéennes.

Oussama Ben Laden l’a bien compris. Lui qui tente de rallier l’ensemble des musulmans derrière son entreprise de mort en invoquant les plaies purulentes du monde arabe.

Dans un tout autre registre, le président des Etat-Unis George W. Bush et la plupart des dirigeants occidentaux ont affirmé que les attaques terroristes contre New York et Washington visaient l’ensemble des démocraties occidentales et leur esprit d’ouverture.

Des pressions fortes et contradictoires

L’argument est parfaitement justifié, vu le caractère totalitaire et sectaire des terroristes qui se réclament de l’Islam. Mais une chose est sûre: à la faveur de la crise actuelle, chacun est sommé de choisir son camp et nul ne peut rester en retrait.

Un impératif qui soumet, en Europe et en Amérique, les personnes de confession musulmane à des pressions, à la fois, fortes et contradictoires. Et les 350 000 musulmans de Suisse – dont 38 000 d’origine arabe – n’échappent, bien sûr, pas à ce défi.

Difficile, en effet, de rester insensible au sort de la population irakienne et é celui des Palestiniens, deux tragédies que tente d’instrumentaliser Oussama Ben Laden. Difficile également de ne pas se solidariser avec un peuple afghan qui pourrait faire les frais de la riposte militaire conjointement menée par Londres et Washington.

Pour autant, aujourd’hui, l’écrasante majorité des musulmans de Suisse n’est pas prête à épouser l’idéologie prônée par l’ennemi public numéro un du monde occidental, le milliardaire saoudien Oussama Ben Laden.

Une lecture littéraliste du Coran

Selon Tarik Ramadan, professeur d’islamologie à l’université de Fribourg, les critiques lancées contre les Etats-Unis, comme les frustrations liées à la situation au Proche-Orient, ne jettent pas ceux qui les professent dans les filets tissés par le réseau Al-Qaida. Du moins pas automatiquement.

Certes, Tarik Ramadan admet qu’un courant fondé sur une lecture littéraliste du Coran a permis l’émergence d’islamistes radicaux qui utilisent l’Islam à des fins politiques. Mais il estime qu’en Suisse ce courant est très minoritaire.

Le professeur d’islamologie tient par contre à souligner les multiples manières de vivre l’Islam en Suisse comme ailleurs. Et Tarik Ramadande de distinguer six approches différentes du Coran. Autant d’approches démultipliées par l’origine culturelle et géographique de ses lecteurs.

Un crime contre l’humanité

De son côté, le politologue lausannois Ahmed Benani souligne également cette immense diversité. Mais il remarque que la crise actuelle met en lumière deux tendances principales.

D’abord, celle des musulmans qui se reconnaissent dans l’appel occidental. Des musulmans qui considèrent que les attentats perpétrés le 11 septembre à New et à Washington constituent un crime contre l’humanité.

Ensuite, celle des musulmans qui restent dans la dimension communautariste. Et qui se solidarisent, d’abord, avec les peuples considérés comme des victimes de l’agression occidentale, passée et présente».

Raison pour laquelle Tarik Ramadan plaide en faveur d’une autocritique qui puisse faciliter les rapports du monde musulman avec l’Occident.

Le professeur d’islamologie de Fribourg constate d’ailleurs avec plaisir que les clichés et les stigmatisations réciproques à l’œuvre durant la guerre du Golfe ont nettement diminué.

Reste à savoir si les musulmans de Suisse – et d’ailleurs – resisteront aux tentations et aux dérapages que pourrait provoquer le nouveau conflit né des attentats du 11 septembre 2001.

Frédéric Burnand

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