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Pourquoi le silence des musulmans de Suisse

Genève, vont voici la mosquée, compte de nombreux musulmans. Keystone Archive

D'origine multiple,400 000 musulmans de Suisse n'éprouvent pas le besoin de se choisir des représentants.

Cela permet à certains extrémistes d’occuper le terrain et de se poser en porte-parole. Non sans provoquer l’ire dans la communauté.

Le dernier exemple en date de cette tendance figure dans une tribune libre publiée récemment par le prestigieux quotidien français Le Monde. Un point de vue intitulé «La charia incomprise» et signé Hani Ramadan, citoyen genevois et petit-fils de Hassan El-Banna, le fondateur égyptien des Frères musulmans.

Délibérément provocateur, le propos a secoué nombre d’esprits en Suisse romande. A Genève, certains politiciens s’en sont même emparés pour justifier leur opposition à l’ouverture de carrés confessionnels dans le canton.

De leur coté, les médias locaux ont consacré plusieurs pages au sujet. Ils ont donné la parole à des personnalités scandalisées par l’argumentation extrémiste de Hani Ramadan.

La peine de mort par lapidation

Hani Ramadan justifie la peine de mort par lapidation en la comparant aux souffrances éprouvées par les sidéens. Dans les deux cas, il y voit une manifestation de la volonté divine contre des personnes coupables de péché.

Hani Ramadan explique à swissinfo qu’il n’a rien d’un extrémiste puisque ses propos sur la lapidation sont tout droit sortis des textes sacrés de l’Islam.

«C’est sûr qu’il répète ce qu’il y a dans les textes. Mais le contexte a changé», souligne le pasteur Jean-Claude Basset, animateur d’une plate-forme interreligieuse.

«Répéter ces préceptes dans le contexte actuel constitue déjà une forme d’interprétation», poursuit Jean-Claude Basset.

Pour autant, aucune personnalité de confession musulmane ou provenant du monde musulman n’a jugé utile de réagir publiquement. Et ce, alors que Hani Ramadan prétend – dans cette tribune libre – exprimer le point de vue de l’ensemble des musulmans.

Un silence légitime

Ce silence est parfaitement légitime, affirme Hasni Labidi du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen.

«Les Musulmans n’ont pas à réagir à ces propos. Car Hani Ramadan ne représente que lui-même et ces propos n’engagent que lui», affirme Hasni Labidi.

Pour sa part, Hafid Ouardiri, porte-parole de la mosquée de Genève, se refuse à entrer dans la polémique. «Personne ne peut parler au nom des musulmans, à part le prophète Mahomet», tient-il tout juste à rappeler.

De fait, le milliard de musulmans que compte la planète n’a rien d’une communauté homogène et structurée. Et l’Islam n’a pas de clergé à la manière du catholicisme.

En effet, de multiples courants traversent la religion musulmane. Lesquels sont démultipliés par la provenance géographique de ses adeptes.

Cette mosaïque de sensibilités et de croyances se retrouve également en Suisse qui compte plus de 300 00 musulmans. «Seuls 10 % d’entre eux proviennent des pays arabes», précise le politologue Ahmed Benani.

Le principe de la laïcité intégré

«L’écrasante majorité des musulmans établis en Suisse, poursuit Ahmed Benani, vivent leur croyance de manière privée. Ils ont donc parfaitement intégrés le principe de la laïcité».

Jean-Claude Basset ajoute que le débat religieux chez les musulmans de Suisse a bel et bien lieu.

«Mais, face à un Occident perçu comme hostile, ce débat ne s’affiche pas sur la place publique par crainte de montrer un Islam divisé», souligne Jean-Claude Basset.

Ce professeur en science des religions souligne également que ce débat inter musulmans n’a pas encore débouché sur des réponses très solides, en Suisse comme ailleurs.

De son côté. Ahmed Benani met en évidence le défi de l’intégration posé aux musulmans.

«Contrairement à d’autres communautés, les musulmans de Suisse n’ont pas fait l’effort de réfléchir aux nécessités d’une pratique citoyenne dans un pays d’accueil», juge Ahmed Benani.

«Préférant se retrouver dans des associations à but culturel, social ou sportif, conclut le politologue, ils laissent le champ libre à la démagogie manichéenne de personnes tels que Hani Ramadan».

Une démagogie dont semblent se délecter les tenants du choc des civilisations.

swissinfo/Frédéric Burnand à Genève

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