La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935

Comment des systèmes de recrutement basés sur l’IA tracent des parcours professionnels

agence de placement
L'IA joue un rôle grandissant dans la détermination des carrières professionnelles. Keystone

L’intelligence artificielle (IA) ne modifie pas seulement la nature du travail, mais aussi la composition du personnel, avec des outils qui influencent les embauches, les licenciements et les promotions. L'impact de l'apprentissage automatique sur la détermination des trajectoires professionnelles suscite des craintes.

Les entreprises, les recruteurs ou les personnes en recherche d’emploi s’appuient déjà sur la technologie pour essayer de sortir du lot. Les algorithmes peuvent rédiger des descriptions de postes et filtrer les candidatures afin de trouver le meilleur profil. Ils permettent aussi d’élaborer des programmes de formation en identifiant les compétences lacunaires parmi le personnel.

L’IA peut également aider les personnes qui postulent à rédiger leur CV et leurs lettres de motivation, et certaines applications peuvent leur souffler les bonnes réponses lors d’entretiens et de tests à distance.

Toutefois, il est de plus en plus admis qu’il existe un point de bascule à partir duquel l’IA pénalise davantage qu’elle n’aide. Au centre de toute relation de travail se trouvent en effet des personnes, qui ont besoin de contacts et d’utiliser leur propre intuition pour prendre des décisions.

Vous souhaitez recevoir tous les lundis une sélection de nos meilleurs articles de la semaine par e-mail? Notre newsletter est faite pour vous. 

Selon le Financial Times, le géant de l’IA de la Silicon Valley Anthropic a même demandé aux candidats et candidates de limiter l’utilisation de cette technologie lors de leurs postulations.

«La bataille de la machine contre la machine n’aide pas à résoudre les problèmes de pénurie de main-d’œuvre et de compétences», relève Liana Melchenko, membre du conseil d’administration de la Fondation ISACA, créée en 2020 pour promouvoir la diversité au sein de la main-d’oeuvre technologique.

«Les employeurs commencent à le reconnaître et accordent davantage d’attention à la pensée créative, à la résolution de problèmes complexes, à la capacité d’apprentissage et à l’intelligence émotionnelle. Les qualités les plus précieuses d’une personne qui postule à un emploi sont celles qui font d’elle un être humain».

>> Lire cet article pour comprendre l’impact de l’IA sur les métiers créatifs:

Plus

Une transformation fondamentale du travail

L’IA a déjà donné lieu à des questions embarrassantes relatives à la confidentialité des données et la capacité des machines à traiter le personnel avec dignité et empathie.

On a par exemple vu plusieurs systèmes d’IA mal programmés discriminer certaines catégories de la population. Un outil de recrutement a notamment été suspendu par Amazon en 2018 après avoir fait preuve de biais négatifs à l’égard des femmes.

L’utilisation de l’IA pour juger des émotions à partir de séquences vidéo a également suscité des craintes quant à l’intrusion des machines dans des domaines personnels sensibles.

Les décideurs et décideuses politiques du monde entier, y compris en Suisse, débattent de la manière de contrôler l’impact de l’IA sur le recrutement et le suivi du personnel.

«L’IA est en train de changer fondamentalement le monde du travail, souligne Daniel Hügli, membre du conseil d’administration et responsable des TIC au syndicat suisse Syndicom. Une réglementation plus stricte est essentielle pour protéger les droits des travailleurs et leur garantir un droit de consultation lors de l’introduction de systèmes d’IA.»

En février, Syndicom a exigé que la Suisse adopte les réglementations de l’Union européenne concernant l’usage de l’IA sur le lieu de travail. Ces directives incluent des mesures de protection des données, la divulgation complète des circonstances dans lesquelles l’IA peut être utilisée ainsi qu’une interdiction des systèmes qui analysent les émotions des individus.

Adoption progressive de l’IA dans les entreprises

La Suisse suit son propre chemin, lent et mesuré, vers une réglementation de cette technologie. L’État alpin a signé la convention du Conseil de l’Europe sur le sujet, qui protège les droits humains. Mais il faudra au moins deux ans avant que la législation helvétique soit adaptée en conséquence.

Un rapport de l’Office fédéral de la communication (OFCOM), publié en février, souligne que toute entreprise ou agence suisse travaillant dans l’espace de l’UE sera automatiquement soumise aux réglementations strictes de sa loi sur l’IA, entrée en vigueur en août 2024.

Les outils d’IA commencent tout juste à faire sentir leur présence sur le lieu de travail en Suisse. Une enquête menée par swissinfo.ch auprès d’entreprises helvétiques, dont la chaîne de supermarchés Migros, l’entreprise pharmaceutique Novartis, l’entreprise publique de télécommunications Swisscom et le géant agroalimentaire Nestlé montre qu’elles adoptent une approche graduelle et prudente vis-à-vis de cette technologie.

Migros, le plus grand détaillant du pays, a par exemple développé un agent conversationnel sur WhatsApp pour que les jeunes en fin de scolarité puissent poser des questions concernant les postes à pourvoir en apprentissage. Cet outil permet d’en savoir plus sur les offres de formation, mais ne joue aucun rôle dans la sélection des candidats et candidates, précise Migros.

>> Lire cet article pour en savoir plus sur la manière dont le système d’apprentissage dual helvétique s’adapte à l’essor de l’IA:

Plus

Tirer parti des avantages de l’IA

«Notre philosophie de recrutement reste de donner la priorité à l’élément humain du processus d’embauche, affirme un porte-parole de Nestlé. Lorsque des solutions d’IA sont identifiées, nous suivons un processus rigoureux pour nous assurer qu’elles sont adaptées à l’objectif visé.»

Mais bien que les entreprises jouent généralement la carte de la sécurité, elles sont également conscientes des gains d’efficacité que peut apporter l’IA lorsqu’elle est utilisée de manière responsable.

La société de recrutement suisse Adecco a ainsi récemment doublé son usage du logiciel de recrutement basé sur l’IA de la société technologique américaine Bullhorn.

De tels logiciels sont capables de repérer rapidement, parmi de grands volumes de données, des schémas qui échappent à l’œil humain. Les systèmes peuvent ensuite relier les points pour suggérer des améliorations dans le cadre d’une «conversation» bidirectionnelle avec leurs gestionnaires humains.

Ghislaine Couvreur, qui a été PDG de feue la plateforme suisse d’IA Vima Link jusqu’en mai 2022, estime elle aussi que les entreprises ainsi que les travailleurs et travailleuses pourraient tirer parti des avantages offerts par des algorithmes s’ils sont bien conçus.

Des machines au service des individus

Vima Link était spécialisée dans l’identification de traits de personnalité apparents et de compétences non techniques, principalement dans le cadre de recrutements. L’entreprise n’a pas réussi à décoller en raison de problèmes de gouvernance et a été mise en faillite en 2023.

Ghislaine Couvreur reconnaît que devoir se conformer pleinement aux restrictions de l’UE, y compris à sa nouvelle loi sur l’IA, aurait pu poser un défi supplémentaire à la plateforme.

Mais elle reste convaincue que cette technologie pourrait apporter des bénéfices si elle est construite avec soin et contient suffisamment de contrôles et d’équilibres, tels que ceux du comité d’éthique établi par Vima Link pour atténuer les risques et fournir des conseils appropriés.

«Cela peut assurément aider les employés et les managers à mieux comprendre leurs performances et la manière dont ils sont perçus par les autres, tout en éliminant autant que possible les biais.» Et de résumer: «Les systèmes d’IA ne fonctionnent que lorsqu’ils sont au service des gens et améliorent leurs expériences.»

Reste à convaincre les travailleurs et travailleuses que de tels systèmes peuvent être objectifs.

Contenu externe

Texte relu et vérifié par Gabe Bullard/sb, traduit de l’anglais par Lucie Donzé/ptur

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision