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Barry, le Saint-Bernard: le chien devenu héros

Barry
Barry au musée à Berne. La fourrure est d'origine. Lisa Schäublin/NMBE

Un chien empaillé à Berne il y a 200 ans est devenu une icône de la Suisse. swissinfo.ch s'est servi de son flair pour explorer les mythes qui entourent la vie de ce Saint-Bernard héroïque, à l’occasion d’une nouvelle exposition au Musée d'histoire naturelle de Berne.


En entendant “Barry”, la plupart des Anglo-saxons songent instantanément au compositeur Barry Manilow, au prince de la soul Barry White ou au joueur de base ball Barry Bonds. En Suisse, le prénom évoque plutôt un St-Bernard orné d’un baril. Le Barry en question est un chien de secours en montagne qui a sauvé 40 personnes au début du 18e siècle, dont un garçonnet à moitié gelé qu’il a placé en équilibre sur son dos pour l’amener en lieu sûr. Il a par la suite été tué à coups de baïonnette par un soldat de Napoléon qui l’avait pris pour un loup.

L’exposition Barry

“Barry – le légendaire Saint-Bernard” est une nouvelle exposition permanente du Musée d’histoire naturelle de Berne. Elle a ouvert en juin 2014, 200 ans après sa mort. Sa carcasse empaillée avait auparavant été reléguée à l’entrée du musée, coincée entre les toilettes des hommes et des femmes.

Cette exposition interactive et multimédia raconte non seulement l’histoire de Barry, mais s’intéresse aussi à l’Hospice du Grand-Saint-Bernard et aux moines qui y vivaient. Elle compare le secours en montagne d’aujourd’hui et d’il y a deux siècles.

C’est du moins ce que dit la légende. La réalité est un peu moins dramatique, comme le montre une nouvelle exposition permanenteLien externe au Musée d’histoire naturelle de Berne. «Lorsque vous êtes très célèbre ou que l’on vous considère comme un saint, votre décès doit lui aussi être exceptionnel – vous ne pouvez pas simplement mourir dans votre lit», s’exclame Marc Nussbaumer, un archéozoologue et conseiller scientifique pour le musée, interrogé par swissinfo.ch.

Et pourtant, c’est bien la destinée qu’a vécu Barry une nuit de 1814. On l’avait ramené en plaine – vieux et fatigué – deux ans plus tôt depuis l’Hospice du Grand-Saint-BernardLien externe, à la frontière entre la Suisse et l’Italie.

Éduquer les foules

Les raisons qui ont poussé un domestique du monastère à amener le chien âgé de 12 ans, dans la capitale suisse, restent en revanche un mystère. On espérait sans doute qu’il éduquerait les foules, “comme dans les fables”, sur le travail  accompli par les chanoines augustins de l’hospice, pense Marc Nussbaumer, qui est l’auteur du livre Barry du Grand Saint Bernard.

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A sa mort, Barry était effectivement devenu célèbre, semble-t-il. «J’aime l’idée et je trouve rassurant de savoir que ce chien fidèle, qui a sauvé tant de vies, ne sera pas oublié de sitôt après sa mort », se réjouissait en 1816 déjà Friedrich Meisner, un professeur bernois d’histoire naturelle.

L’Hospice du Grand-Saint-Bernard se trouve sur le col éponyme, un passage traîtreux situé à près de 2500 mètres d’altitude qui relie Martigny, dans le canton du Valais, à Aoste, en Italie. Les voyageurs y trouvent gite et couverts depuis près de 1000 ans. L’hospice et ses chiens auraient sauvé plus de 2000 vies durant cette période.

Les chanoines passaient leurs journées et leurs nuits à prier et à s’occuper des visiteurs, pendant que des guides locaux écumaient les chemins alentours pour aider les voyageurs en difficulté, qui s’étaient fait surprendre par la violence des éléments. A partir de la seconde moitié du 17e siècle, ils ont commencé à s’équiper de chiens robustes – des bâtards de toutes les races.

La naissance d’un mythe

«On dit souvent que l’habit fait le moine; eh bien chez les Saint-Bernard, c’est le baril qui fait le chien, sourit Marc Nussbaumer, un archéozoologue et conseiller scientifique pour le Musée d’histoire naturelle de Berne. Lorsqu’on voit un grand chien brun et blanc avec un tonneau accroché autour du cou, on pense instinctivement à un Saint-Bernard. C’est comme un logo, une marque. »

Or dans les faits, les chiens de secours de l’hospice n’ont jamais porté de tonneau rempli de rhum autour du cou. Et qu’en est-il de la légende du garçonnet à moitié gelé que le Saint-Bernard Barry aurait hissé sur son dos? «Cette histoire circulait déjà avant la naissance de ce chien, relève Marc Nussbaumer. Un Saint-Bernard n’est pas capable – ni physiquement, ni mentalement – d’accomplir un tel exploit. »

Et sa mort sous les coups de baïonnette d’un soldat napoléonien – la 41e victime qu’il cherchait à sauver – l’ayant pris pour un loup? Cette partie de l’histoire est réaliste, admet le scientifique: la région comptait des loups à l’époque et les militaires qui avaient servi sous Napoléon empruntaient bien le col pour rentrer à la maison – mais on sait avec certitude que Barry est décédé d’une mort paisible à Berne en 1914.

Les origines du prénom qu’on lui a attribué – Barry – ne sont pas connues, mais il pourrait s’agir d’une version anglicisée du mot “barrique”. Elle serait née sous la plume des nombreux touristes et alpinistes britanniques qui ont visité la Suisse au 19e siècle et ont publié par la suite des romans et des récits de voyage, y compris sur l’Hospice du Grand-Saint-Bernard.

Bon flair

«Cela leur facilitait la tâche: lorsque vous êtes devancé par trois ou quatre gros chiens, ce sont eux qui vous guident, car ils savent où ils vont, note Marc Nussbaumer. Et ils tassent la neige, ce qui rend la marche plus aisée. Sans oublier qu’ils ont du flair – tous les chiens ont du flair – ce qui leur permet de repérer les personnes en besoin d’aide et d’alerter leurs maîtres. »

Le scientifique fait toutefois remarquer que Barry n’était pas un chien d’avalanche, dressé pour repérer les personnes ensevelies et les déterrer. «Ce n’était qu’un chien parmi beaucoup d’autres, vivant à l’Hospice du Grand-Saint-Bernard », dit-il.

Aujourd’hui, les Saint-Bernards ne sont plus utilisés comme chiens de secours, explique Rudolf Thomann, le directeur de la Fondation BarryLien externe, l’organisation chargée de l’élevage des chiens du col du Grand-Saint-Bernard. «Ils sont trop lourds pour qu’on puisse les abaisser et les remonter, en compagnie d’un guide, avec l’hélicoptère », détaille-t-il.

Chiens sociables

Confrontés à un marché du travail en pleine évolution, les Saint-Bernard, qui peuvent peser plus de 100 kilos, ont dû apprendre à mettre en avant d’autres qualités, comme leur patience sans bornes lorsqu’on les caresse.

«Ce sont des chiens très sociables, indique à swissinfo.ch Rudolf Thomann. Nous les amenons dans les établissements pour personnes âgées ou handicapées. Il y a deux ans, nous avons commencé à organiser des camps pour les jeunes frappés de troubles du comportement ou d’un handicap. Il y en a eu deux en 2012, six en 2013 et déjà 12 rien que cette année – c’est un vrai succès. »

Et de rappeler: «On sait désormais qu’avoir un chat ou un chien fait baisser la pression artérielle.» La Fondation Barry a 34 Saint-Bernard actuellement, dont environ six mâles (l’un d’entre eux est toujours prénommé Barry en hommage à son illustre prédécesseur). Une vingtaine de chiots naissent chaque année et la plupart sont vendus pour un prix de 2400 francs suisses.

Ambassadeur pour la Suisse

Si Barry, qui est né en 1800, l’année où Napoléon a passé le col pour se rendre en Italie, n’est pas le premier chien de secours, il est assurément le plus connu. Des livres ont été écrits à son sujet et des films ont raconté son histoire, qui contient tous les ingrédients d’un bon récit: du danger, un sauvetage, de l’héroïsme et de la tragédie – sans oublier la fameuse fiabilité helvétique.

«Son histoire reste incroyable, celle d’un chien parcourant les montagnes pour sauver des gens, a dit à swissinfo.ch Michael Keller, le vice-directeur de Berne Tourisme. Elle redonne de l’espoir et je pense que cela explique pourquoi Barry est, même aujourd’hui, un excellent ambassadeur pour la Suisse. Il est apprécié à la fois par les adultes et les enfants, au même titre que le chocolat ou le fromage. Je dirais qu’il arrive à peu près en troisième position.»

Barry est très connu à l’étranger, notamment en Asie, ajoute le responsable. “Lorsque les visiteurs japonais viennent à Berne, ils ne savent en général pas grand chose sur la ville, mais ils sont au courant des ours et de Barry, relève-t-il. Ils nous demandent systématiquement où ils peuvent aller pour le voir.”

Marc Nussbaumer estime que la popularité de Barry est une sorte d’accidente l’histoire: il la doit au fait qu’il a été le seul chien assez chanceux pour se faire empailler à Berne. «Lorsqu’on a commencé à l’exposer, tous les récits de sauvetage et autres bonnes œuvres impliquant des chiens se sont focalisés sur lui, souligne-t-il. On a affaire ici à un cas de primus inter pares [premier parmi ses pairs]. Barry symbolise tout ce que ces chiens ont accompli durant les 300 dernières années. »

Traduction de l’anglais par Julie Zaugg

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