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La Bande à Baader, vivante à l’écran et sur scène

Quand l'idéal révolutionnaire à la forme d'un pistolet... Christian Lutz

Un film et une pièce de théâtre, à l'affiche de salles romandes, reviennent sur ce groupe anarchiste de gauche qui a mis à feu et à sang l'Allemagne des années 1970. Interview de Michel Deutsch, auteur et metteur en scène de «La décennie rouge», jouée au Théâtre Saint-Gervais, à Genève.

Ils étaient jeunes, instruits, cultivés et… déjantés. Ils ne supportaient ni l’injustice sociale ni les trahisons politiques. Ils se sont révoltés et ont embrasé l’Allemagne fédérale des années 1970. La police les a arrêtés, ils ont été jugés, emprisonnés. Ils se nommaient Andreas Baader, Ulrike Meinhof, Gudrun Ensslin… On les rassemblait sous un sigle: RAF (Rote Armee Faktion, Fraction armée rouge).

La RAF, mouvement radical de gauche dit «terroriste», est morte depuis longtemps. Mais elle n’est pas véritablement enterrée puisqu’elle suscite aujourd’hui des sentiments controversés: la haine de certaines familles allemandes qui en ont été victimes, et l’intérêt passionné de certains intellectuels qui portent à la scène ou à l’écran l’histoire sanglante d’une balafre allemande.

Outre donc «La Bande à Baader», le film du réalisateur allemand Uli Edel, à l’affiche des salles romandes, se joue au Théâtre Saint-Gervais (Genève) «La Décennie rouge», une pièce écrite et mise en scène par l’Alsacien Michel Deutsch qui mêle dans son spectacle documents d’archives, presse, minutes de procès, témoignages… Nous l’avons rencontré à cette occasion. Entretien.

swissinfo: Ce spectacle, vous l’avez écrit et monté pour votre propre compte ou pour instaurer un débat?

Michel Deutsch: Pour les deux. D’un côté j’essaie de comprendre ce qu’a été ma génération, celle qui, en mai 1968, avait vingt ans. A l’époque, les étudiants de mon âge se reconnaissaient dans le mouvement contestataire, né en France il est vrai, mais qui avait fait beaucoup d’émules en Europe. C’est dans la foulée de ce mouvement qu’est apparue d’ailleurs la Bande à Baader en Allemagne. D’un autre côté, je souhaitais mener une réflexion sur la lutte armée, à l’œuvre dans les métropoles occidentales. Fallait-il la juger comme terroriste ou tenter de comprendre ses motivations? Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que cette lutte est folle, erronée. Mais en même temps je ne peux pas la condamner.

swissinfo: Pourquoi?

M.D.: Parce que l’action de la Bande à Baader part d’une conviction défendable: on ne discute pas avec ceux qui ont fait Auschwitz. Je m’explique. Les jeunes qui ont suivi Andreas Baader étaient nés dans l’immédiat après-guerre. Entre les années 1945 et 1970, ils ont donc assisté à la reconstruction de l’Allemagne, au miracle économique allemand et à la naissance d’un capitalisme libéral dans lequel étaient engagés les «pères», c’est-à-dire ceux qui ont fait la guerre. Or, aux yeux de la RAF, ces «pères», emballés par l’essor économique, avaient commis l’erreur d’oublier leur passé de terreur. Ceci d’une part.

D’autre part, la droite allemande (qui avait pactisé avec Hitler) et la gauche (qui lui avait résisté) s’étaient réconciliées sur les décombres du nazisme : au Bundestag (le Parlement), il n’y avait plus d’opposition. Pour Andreas Baader et ses complices, c’était la démocratie qui était en danger. Il leur fallait donc faire entendre la voix du peuple que le Bundestag ne parvenait pas à répercuter. Ils s’en sont chargés. Leur action était à double tranchant: rappeler que le passé ne s’efface pas et que la démocratie ne se brade pas.

swissinfo: Votre spectacle recoupe l’actualité. On assiste aujourd’hui à une résurgence des mouvements radicaux de gauche. Pour preuve, le récent sabotage des lignes TGV en France par un groupe de jeunes intellectuels. Comment expliquez-vous leur acte?

M.D.: A mon avis, c’est une révolte juvénile sans lendemain qui n’a pas la dimension d’une lutte armée parce qu’elle n’est sous-tendue par aucune idéologie, comme c’était le cas avec la RAF soutenue par le bloc de l’Est. Or, les idéologies sont mortes en Europe depuis la chute du mur de Berlin. Tout au plus, on peut donc assimiler ce sabotage à une expression de colère face au capitalisme sauvage d’aujourd’hui contre lequel se serait élevée la voix de la gauche en France, si cette gauche existait encore. L’équilibre des voix politiques assure la paix civile. C’est lorsque cet équilibre est bousculé que les problèmes commencent.

swissinfo: «La décennie rouge» est présentée à Genève en même temps que «La Bande à Baader» du réalisateur allemand Uli Edel, à l’affiche des salles romandes. Le film est tourné à des fins que l’on devine pédagogiques. Votre spectacle aussi. On a l’impression que l’enseignement prime sur l’enjeu politique…

M.D.: Je ne suis pas du tout d’accord, les faits eux-mêmes sont politiques. Ceci dit, mon camp est choisi dans la pièce : je ne donne pas la parole au gouvernement de Bonn de l’époque, qui était en l’occurrence socialiste. C’est à lui que s’en était pris la RAF, estimant que le socialisme avait trahi ses principes. Je ne suis pas un homme de droite pour autant. Je suis tout simplement un démocrate qui pense qu’un Etat de droit a l’obligation d’être à l’écoute des riches comme des pauvres. Faute de quoi, la révolte naît. C’est dans ce sens que je comprends celle de la RAF ; et cela, je le dis très clairement dans mon spectacle.

swissinfo, interview: Ghania Adamo à Genève

«La décennie rouge». Texte et mise en scène Michel Deutsch. A voir au Théâtre Saint-Gervais, Genève, du 25 au 29 novembre. Le 27 novembre, rencontre avec Michel Deutsch et son équipe à l’issue de la représentation.

Auteur dramatique, poète et essayiste français, né à Strasbourg en 1948.

Il est venu à l’écriture théâtrale pour prolonger dans une pratique artistique des études de sociologie.

A ses débuts, dans les années 70, il est engagé comme dramaturge au Théâtre national de Strasbourg. Il poursuit en même temps son travail de metteur en scène.


Ses textes poétiques et critiques proposent une approche sensible autant qu’intellectuelle du monde. Ils sont traduits et joués dans de nombreux pays.

Pour la chaîne de télévision Arte, il a écrit une série «Les Alsaciens ou les deux Mathilde», qui a obtenu un «7 d’Or».

Il est très souvent invité à travailler en Suisse, à Genève notamment, où il dispense des cours d’art dramatique et met en scène ses propres pièces.

Aujourd’hui, il vit à Paris.

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