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La crise financière: et après?

Jean-Pierre Béguelin et Beat Kappeler reconnaissent leur surprise devant l'ampleur de la crise. TSR/RDB

Début août 2007, les principales banques centrales de la planète injectent des dizaines de milliards de dollars pour aider les banques en mal de liquidités. La crise financière partie des Etats-Unis s'impose aux yeux de tous. Un an plus tard, où en est-on? L'avis de deux économistes suisses.

Le premier, Jean-Pierre Béguelin, est Chef économiste de la banque privée Pictet et Cie basée à Genève. Beat Kappeler est pour sa part un éditorialiste qui fait référence sur les questions économiques en Suisse romande comme à Zurich.

swissinfo: Un an après l’intervention des banques centrales, êtes-vous surpris de la tournure des événements?

Jean-Pierre Béguelin: Oui. On ne pensait pas le déséquilibre si durable. Le problème, qu’on comprend mal mais qui fait que le taux interbancaire reste très élevé, demeure. Normalement, cette situation cesse beaucoup plus rapidement après une crise.

Je tends à penser – sans en être sûr – que les banques centrales n’ont pas vraiment ouvert les vannes. Elles n’ont pas ouvert des lignes de crédit infinies pour les banques. Par conséquent, les banques doutent toujours d’obtenir suffisamment de fonds en fin de mois pour régler leurs échéances. Si bien qu’elles tendent à ne pas prêter à plus long terme.

Beat Kappeler: Oui, je dois admettre que je ne voyais pas la crise prendre une telle ampleur. Je pensais les banques plus prudentes, ce qui s’est avéré faux. Je ne pensais pas que les paquets d’hypothèques dont la valeur était douteuse avaient atteint de telles proportions. Et je ne m’attendais pas à une dégringolade si rapide de leurs cours.

Ce qui a aussi surpris bon nombre d’observateurs, c’est la chute de la confiance entre les banques. Les prêts interbancaires se sont avérés impossibles. Peu d’observateurs ont soupçonné cette menace d’ordre systémique.

swissinfo: Un an après son envol, est-il déjà temps de tirer les leçons de cette crise?

J.-P.B.: De fausses leçons, oui, de vraies leçons, pas encore. Les fausses leçons, ce sont les critiques superficielles à l’encontre de l’intermédiation financière. Et celles, purement américaines, qui tiennent à la technique d’allocation des crédits à des débiteurs douteux.

Sur les conséquences à plus long terme pour la réglementation des marchés financiers, en tirer déjà les conclusions, c’est se montrer un peu pressé.

B.K.: Première leçon: la solidité d’un prêt bancaire doit toujours être murement réfléchie. Ce à quoi les banques suisses n’ont pas prêté attention à l’extérieur du pays.

La crise immobilière suisse d’il y a quinze ans a été deux à trois fois plus importante par rapport au Revenu national que celle des Etats-Unis actuellement. Cela prouve que les banques suisses ont bien digéré cette expérience sur leur marché intérieur, mais qu’elles ont cru les choses différentes à l’extérieur. Une erreur.

La leçon est donc: persévérer dans le contrôle des débiteurs et se montrer très parcimonieux. Et peut-être aussi, ne pas trop se fier aux mécanismes automatisés et mathématisés des nouveaux produits financiers.

swissinfo: A partir de la situation actuelle, êtes-vous inquiet?

J.-P.B.: Mes motifs d’inquiétude ne sont pas négligeables, en grande partie parce que je ne les identifie pas…

Dans les difficultés visibles, la principale, en train de se résoudre, touche aux crédits aux municipalités américaines. L’autre crainte, indéterminée, est liée au fait que, brutalement, un grand institut pourrait perdre la confiance du public et devoir fermer ou faire appel à une aide généralisée. (…) Mais ce n’est pas mon scénario principal.

B.K.: On s’est trompé pendant une année… Mais l’action des banques centrales semble avoir calmé le jeu entre les banques. Les amortissements et moins-values sur les hypothèques américaines ont été telles que plus grand chose ne peut se passer. L’effet principal a été digéré, et le système bancaire devrait pouvoir tourner.

Mais tout dépendra bien sûr de la conjoncture. Si le consommateur américain se met à épargner, la conjoncture américaine en souffrira. Les emplois peuvent venir à manquer et les dettes liées aux cartes de crédit obliger à un deuxième round d’amortissements. C’est la petite épée de Damoclès qui demeure encore.

swissinfo: La crise financière a des effets sur l’économie réelle. L’Allemagne, par exemple, commence à souffrir. Faut-il craindre une récession en Suisse, dont ce pays est le principal partenaire économique?

J.-P.B.: Oui. On peut craindre que la Banque centrale européenne soit beaucoup trop restrictive, que l’Europe ralentisse très violemment, et que dans ces conditions, l’économie suisse souffre.

Aurait-on affaire à une récession? Difficile à dire, car son canal de transmission n’est pas habituel. Elle viendrait de la chute de la demande en Europe, mais aussi des difficultés financières, vu la part de la finance dans l’économie suisse. Ceci dit, ma crainte porte moins sur une récession que sur une longue période de plusieurs années de stagnation.

B.K.: Il ne faut pas craindre une vraie récession, mais un certain tassement des activités çà et là. Si l’économie des Etats-Unis ne plonge pas complètement, les nouveaux pays industrialisés peuvent sauver la conjoncture mondiale. Il faut aussi relever que le cours du franc suisse est extrêmement favorable à la Suisse et ses exportations.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

Février 2007: les défauts de paiements sur les crédits hypothécaires se multiplient aux Etats-Unis. Ils provoquent les premières faillites d’établissements bancaires spécialisés.

Juin: la banque d’investissement américaine Bear Stearns est la première grande banque à subir les dommages des «subprimes».

Août: la Banque centrale européenne (BCE) injecte 94,8 milliards d’euros de liquidités et la Réserve fédérale américaine (Fed) 24 milliards de dollars. La Banque du Japon et la Banque nationale suisse (BNS) notamment interviennent aussi.

Septembre: la Banque d’Angleterre accorde un prêt d’urgence à Northern Rock pour lui éviter la faillite. Elle sera plus tard nationalisée.

Octobre: UBS annonce une dépréciation d’actifs de 4 milliards de francs.

Janvier 2008: la Fed baisse son taux directeur de trois quarts de point à 3,50%, une mesure d’une ampleur exceptionnelle.

Mars: la Fed se dit prête à fournir jusqu’à 200 milliards de dollars à un groupe restreint de grandes banques.

Mars: le géant bancaire américain JP Morgan Chase annonce le rachat de la banque en difficultés Bear Stearns, une opération soutenue financièrement par la Fed.

Juillet: la pression monte sur Freddie Mac et Fannie Mae, les deux institutions américaines du refinancement hypothécaire. Le Trésor américain annonce un plan de sauvetage du secteur immobilier.

Pour le Secrétariat d’Etat à l’économie, le refroidissement de la conjoncture suisse observé depuis le début de l’année 2008 va se poursuivre.

La détérioration de la conjoncture internationale et l’instabilité sur les marchés financiers pourraient avoir des effets jusqu’en 2009.

Selon les prévisions du Groupe d’experts de la Confédération, la croissance du PIB, qui a atteint 3,1% en 2007, tombera à 1,9% cette année et à 1,3% en 2009.

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