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Les Helvètes valaient mieux que leur réputation

Helvètes
À la découverte du mode de vie helvétique: un événement placé sous le signe des Celtes à Vully en 2017. Keystone / Jean-Christophe Bott

Les questions de migration, d’identité et de frontières préoccupaient déjà l’Europe il y a plus de 2000 ans. Dépeints par les Romains comme des nomades fauteurs de troubles, les Helvètes apparaissent aujourd'hui sous un jour nouveau: ils disposaient d'un réseau solide et étaient sédentaires.

Pour Jules César, les Helvètes étaient les grands fauteurs de trouble de l’Europe. Dans son récit sur la Guerre des Gaules, le général romain les décrit comme un peuple belliqueux et instable qui, faute de place, a quitté sa patrie et s’est mis en mouvement à travers la moitié de l’Europe.

Ils ont voulu quitter leur territoire, sis entre le Rhin, le Jura et le Rhône, car il serait devenu trop étroit et parce qu’ils «aspiraient à conquérir», écrit Jules César.

Les Helvètes étaient une tribu celtique qui vivait principalement sur le Plateau suisse. Aujourd’hui encore, leur nom est étroitement lié à la Suisse, dont le nom latin, Confoederatio Helvetica, rappelle le passé celtique. 

Nous sommes à la fin de l’âge du Fer, cinquante ans environ avant la naissance de Jésus Christ. L’Europe centrale se compose d’une mosaïque de forêts, de colonies et de routes commerciales. La frontière sépare le monde avancé de la Méditerranée et les terres sauvages du nord. Les Helvètes vivent entre les Germains au nord et la Rome en expansion au sud.

Du mythe à la réalité

Mais nous en savons beaucoup moins sur eux que ne le laissent supposer les mythes. À l’instar des autres Celtes, ils n’ont rien écrit, du moins rien qui ait survécu; toutes les sources historiques dont nous disposons proviennent des Romains, ce qui imprègne, encore aujourd’hui, notre perception des «Celtes nomades».

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Une tombe celtique. Pour les chercheurs, de telles découvertes constituent le point de départ de nouvelles découvertes. Celtudalps

Faute de mots, ce sont les traces dans les sols – tombes, pièces de monnaie, outils, armes, lieux de culte…  – qui parlent. En Suisse, les découvertes celtiques sont nombreuses: le cimetière de Münsingen et ses plus de 250 tombes dans le canton de Berne, le site du Mormont avec des centaines d’animaux sacrifiés dans le canton de Vaud, celui de Bâle-Gasfabrik qui révèle des relations commerciales au-delà du Rhin, ou encore les découvertes de La Tène, au bord du lac de Neuchâtel, qui ont donné leur nom à toute une culture.

Un nouveau regard sur des ossements anciens

Grâce à de nouvelles méthodes, la recherche se rapproche de plus en plus des Celtes suisses. Pour les anthropologues Marco Milella et Zita Laffranchi, c’est un moment clé: leur projet CeltudalpsLien externe, coopération entre l’Université de Berne et Eurac Research à Bolzano en Italie, examine la mobilité des groupes celtiques en Suisse et dans le nord de l’Italie à la fin de l’âge du Fer.

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Une tombe datant de la fin de l’âge du Fer : Zita Laffranchi et Marco Milella au travail.

Les deux scientifiques, anciennement de l’université de Berne et aujourd’hui aux universités de Pise (Marco Milella) et de Cordoue (Zita Laffranchi), combinent analyses archéologiques, anthropologiques, isotopiques et génétiques afin de mettre en évidence les migrations, les liens de parenté et les échanges à travers les Alpes. 

Les données obtenues proviennent des décennies qui ont précédé la célèbre campagne de César contre les Helvètes, c’est-à-dire d’une époque antérieure à la conquête des Alpes par Rome.

«À l’époque, les Alpes n’étaient pas une frontière, mais un pont, et ce bien avant l’arrivée des Romains, selon Zita Laffranchi. La vie était dure, mais nos données montrent qu’elles constituaient un corridor pour les marchandises, les personnes et les idées.»

Un tableau complexe

Les analyses isotopiques des dents et des os révèlent où une personne a vécu et est décédée. Les signatures chimiques du strontium, de l’oxygène et du soufre constituent une sorte d’empreinte géologique. Elles indiquent la composition des sols ainsi que les influences climatiques de la région concernée.

Le résultat dresse un tableau complexe, qui montre que la plupart des individus sont restés toute leur vie dans la même région. Ils étaient enracinés dans leurs communautés et intégrés dans les réseaux locaux. Seuls quelques-uns présentent des écarts significatifs dans leurs valeurs isotopiques, ce qui indique des voyages plus longs, ou leur provenance de régions plus éloignées.

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Chaque détail fournit des informations: le croquis d’une découverte funéraire à Bümpliz, près de Berne. Celtudalps

«À l’heure actuelle, nous ne voyons aucun signe de grandes migrations, explique Marco Milella. Il s’agit plutôt de mouvements individuels, d’arrivées ponctuelles dans une population stable. Des étrangers apparaissent, mais pas en masse.» 

Cela suggère que les Helvètes menaient une vie plutôt sédentaire que nomade. La mobilité faisait néanmoins partie du quotidien: les vallées et les colonies étaient reliées entre elles par un dense réseau de commerçants, d’artisans et d’alliances matrimoniales. Les Helvètes n’étaient donc pas des nomades errants, mais des colons interconnectés au cœur de l’Europe.

Les écrits de César sujets à caution

Une grande partie de ce que César et d’autres auteurs romains ont décrit – des grandes migrations aux campagnes militaires des Helvètes – n’a pas encore été scientifiquement prouvée.

Certains aspects concrets transmis par le conquérant romain restent sujets à caution. Les Helvètes, rapporte-t-il, auraient incendié douze villes et plus de quatre cents villages avant de partir vers l’ouest avec 368’000 personnes. Ils auraient été rattrapés et vaincus par les Romains à Bibracte, dans l’actuelle Bourgogne.

César évoque 258’000 morts. 110’000 survivants auraient été renvoyés en Helvétie, où ils devaient faire rempart contre les Germains. Néanmoins, aucune trace de villes celtes incendiées, ni du champ de bataille de Bibracte, n’a été retrouvée à ce jour.

À long terme, selon les chercheurs, il serait intéressant de comparer les données suisses avec celles d’autres régions d’Europe centrale comme la France.

Des échantillons plus récents, datant de l’époque romaine et du début du Moyen Âge, pourraient également servir de points de comparaison précieux et montrer comment de supposés processus historiques, tels que ceux de César, se reflètent dans les données biologiques – et comment se sont réellement déroulés la conquête romaine et le métissage avec les Celtes.

Le projet Celtudalps est actuellement en phase d’évaluation. «Le financement du projet a pris fin en mai 2024, mais nous avons collecté de nombreuses données isotopiques et génomiques», indique Marco Milella. De nouveaux résultats devraient être publiés en 2026.

Relu et vérifié par Balz Rigendinger, traduit de l’allemand par Albertine Bourget / ptur

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