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Le Cabaret Voltaire de Zurich joue sa survie

Keystone

Vote «de vie ou de mort» dimanche pour le Cabaret Voltaire, lieu de naissance du dadaïsme en 1916, à Zurich. La droite nationaliste de l'UDC s'oppose à une subvention de 315'000 francs par an et les citoyens doivent trancher.

L’histoire du Cabaret Voltaire, au 1, Spiegelgasse de Zurich, est à la fois ancienne et récente, car c’est sur un patrimoine longtemps oublié que les citoyens de Zurich doivent lever ou baisser le pouce ce week-end: ils voteront, car l’Union démocratique du centre (UDC) renâcle à payer 315’000 francs par an jusqu’en 2011 pour le loyer. Le référendum a abouti.

Après son ouverture le 5 février 1916 par Tristan Tzara et d’autres artistes ayant fui la guerre, la célèbre maison a vécu quelques mois au rythme des provocations de Hugo Ball, Hans Arp et leurs amis. Ensuite, les dadaïstes ont essaimé, pendant quelques années, en plusieurs autres points de la ville, avant de quitter la Suisse pour la France.

Jusqu’à la fin des années 90, les Zurichois s’intéresseront peu à ce patrimoine, pourtant dûment noté dans les guides. Brandi comme slogan durant les manifestations de jeunes des années 80, le lieu de naissance du dadaïsme restait un but de promenade pour initiés. Des visites étaient organisées à la Spiegelgasse , mais il n’était pas encore question de récupérer les lieux.

Grande exposition en 1994

Il a fallu la curiosité d’un journaliste allemand, lors de l’exposition «Dada global» en 1994 au Kunsthaus, et sa surprise de découvrir une discothèque dans l’auguste maison pour lancer un processus de redécouverte. Récolte de signatures et interventions au législatif municipal se sont ensuite succédées.

Au début de 2002, des jeunes décidés à faire renaître le dadaïsme occupent les lieux pour lutter contre le projet du nouveau locataire de Swiss Life, propriétaire des lieux (c’est toujours le cas) de créer des lofts luxueux dans l’immeuble.

Hayek à la rescousse

La résistance porte ses fruits: le maire Elmar Ledergerber soutient le projet, comme le conseiller fédéral Moritz Leuenberger. Et c’est finalement Nick Hayek junior, patron de Swatch Group, qui a donné le coup de pouce décisif: il offre 300’000 francs par an aux activités d’une «maison Dada», pendant cinq ans.

La ville endossait de son côté les frais de location, soit 1,19 million de francs pour la phase d’essai de cinq ans. C’est cette phase qui arrive à son terme. Comme prévu, Swatch s’est retiré du projet.

Le loyer n’est plus payé depuis mai. «Si la subvention est refusée, nous devons plier bagage immédiatement», indique Philipp Meier, co-directeur du Cabaret Voltaire.

Meilleur autofinancement

L’UDC reproche au Cabaret Voltaire de coûter trop cher aux citoyens La mairie a pourtant précisé que le lieu obtenait le meilleur niveau d’autofinancement des institutions culturelles.

«Quelque 60% du budget de 750’000 francs viennent de sponsors, la ville ne subventionne que le loyer», a expliqué le maire Elmar Ledergerber lors d’une discussion publique. Le socialiste n’a pas nié avoir eu parfois «de la peine» avec certaines actions, mais les débats et confrontations d’idées doivent avoir leur place, selon lui.

La campagne électorale est néanmoins restée relativement discrète. «Nous sommes reconnaissants à l’UDC d’avoir remis Dada à l’agenda, souligne Philipp Meier. Mais les débats portaient souvent plus sur la forme que sur le contenu. On ne s’est pas trop demandé ce qu’était l’héritage de Dada ni ce qui se passerait si nous devions fermer.»

Pas d’ingérence étrangère

De nombreux journaux étrangers se sont, en revanche, étonnés de la votation et de la menace planant sur le Cabaret Voltaire. «C’est un peu le destin du lieu, d’être plus connu à l’étranger», explique le co-responsable.

Une reconnaissance à double-tranchant à Zurich. «Lorsque nous propageons les messages de soutien que nous recevons, par exemple de Jeff Koons, les Zurichois réagissent plutôt négativement car ils ne veulent pas se faire dicter leur conduite par l’extérieur.»

A sa grande surprise, la plupart des manifestations prévues ces prochains mois ont pu être organisés, malgré la votation et son issue incertaine. «Seule une performance coûteuse avec de la robotique a été annulée ou, si tout va bien, remise à plus tard», indique Philipp Meier.

Acheter des morceaux de ville

A l’instar de nombreuses actions ludiques du Cabaret Voltaire, la dernière en date a suscité quelques colères à droite de l’échiquier politique: une mise aux enchères en ligne permettait d’«acheter» des morceaux de la ville – les recettes allant à la conservation du mouvement dada. Les endroits «achetés» étaient – réellement – recouverts d’une étiquette rouge, comme dans les expositions.

Malgré les craintes de l’UDC et des radicaux (droite), la police a indiqué n’avoir reçu aucune plainte pour dégâts du patrimoine.

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

Situé dans le Niederdorf, sur la rive droite de la Limmat entre lac et gare, le Cabaret Voltaire a rouvert en mai 2004.

Les lieux comprennent un musée, un bar-café, une bibliothèque, un magasin et un espace d’exposition.

L’équipe se réclame de dada pour remettre en question, de façon ludique et provocatrice, des aspects de la société et de la scène artistique.

Un concours récompensait de 10’000 francs un couple ayant baptisé son bébé, né en février 2005, «Dada».

Les actions qui défrayent la chronique sont souvent organisées par des tiers qui louent les locaux. Un «sex casting» a dû être annulé. Un atelier pour apprentis sprayers a fait couler de l’encre, comme l’impression de t-shirts à l’effigie de la terroriste de la RAF Brigitte Mohnhaupt.

D’autres actions sont plus discrètes mais confortent la réputation du Cabaret Voltaire à l’étranger, telle la tournée européenne d’une exposition ayant récemment fait halte à Varsovie.

Le Cabaret Voltaire a accueilli 18’000 visiteurs en 2007.

Les citoyens de Zurich doivent se prononcer sur le référendum déposé par l’Union démocratique du centre (UDC, droite dure) contre une subvention pour le loyer du Cabaret Voltaire, 315’000 francs par an jusqu’au 30 avril 2011.

Pour l’UDC, quatre années d’«expérience» suffisent. «Chaque place assise coûte 200 francs au contribuable: pas de spectateurs, pas d’intérêt, pas d’argent!», résume le parti.

Il estime qu’une collection Dada au Kunsthaus suffit et que l’Etat devrait se contenter de subventionner l’art «établi». Aux artistes expérimentaux de se financer.

Les radicaux et les Démocrates suisses sont aussi opposés à la subvention. La NZZ également.

En revanche, la gauche, les démocrates-chrétiens et les Evangéliques veulent maintenir le centre culturel. Pour eux, «Dada et Zurich sont indissociables», il faut «rendre hommage au seul mouvement international d’envergure né à Zurich et à l’esprit de ces réfugiés pacifistes qui avaient fui la 1e guerre mondiale.»

Beaucoup de partisans sont d’avis que la ville devrait continuer à payer le loyer après 2011.

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