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Les avatars du passage au cinéma numérique

Le passage au cinéma numérique rend les bobines superflues. Keystone

Nouvelle star de Hollywood, la technologie numérique s’implante progressivement dans les cabines de projection suisses. Mais l’investissement est conséquent. Alors que les petites salles ont peur pour leur survie, la Confédération étudie une forme d’aide indirecte.

A-t-on vu le même film quand on a vu Avatar en 2D ou en 3D? La question est de celles qui peuvent enflammer une soirée entre cinéphiles. Si les exploitants de multiplexes ne se la sont pas posée, elle a préoccupé bien des propriétaires de petites ou moyennes salles de cinéma.

Xavier Pattaroni par exemple. Programmateur de Cinémotion, qui exploite une quinzaine d’écrans dans le canton de Fribourg, il explique que son groupe a pour l’instant fait le choix de reporter l’achat d’installations numériques. Dans ses salles, Avatar a donc passé en 2D.

«C’est dommage parce que c’était clairement un film tourné pour la 3D. Mais il y a aussi aujourd’hui à Hollywood un trend commercial qui consiste à gonfler quelques scènes en 3D pour faire payer une surtaxe sur le billet», souligne-t-il.

Une tendance que les exploitants répercutent à la caisse, voire amplifient légèrement pour compenser l’investissement conséquent que représente le digital. A lui seul, un projecteur numérique vaut en effet entre 100’000 et 120’000 francs. A quoi s’ajoutent les frais de sonorisation, d’agrandissement et de climatisation de la cabine de projection. Quant à la 3D, elle exige encore entre 40’000 et 60’000 francs supplémentaires.

Des dépenses que de nombreuses salles ne peuvent pas se permettre. D’autant que ces dernières années en Suisse, le nombre d’entrées a stagné à environ 15 millions par an. Lors des dernières Journées cinématographiques de Soleure, la branche avait donc tiré la sonnette d’alarme. Selon elle, l’arrivée du numérique pourrait entraîner la disparition d’une centaine de salles à court et à moyen terme en Suisse.

Coup de pouce public

De quoi inquiéter les milieux concernés. A ProCinéma, l’association des exploitants et distributeurs de films, René Gerber souhaite que «le numérique ne constitue pas une tombe» pour les salles. Sur le terrain, Xavier Pattaroni se dit pour sa part convaincu de la nécessité de passer au numérique. Mais il doute de sa faisabilité sans l’aide des pouvoirs publics.

Et de citer l’exemple de Montreux, où les deux cinémas Hollywood ont pu être équipés grâce à un coup de pouce de la Fondation de la ville pour l’équipement touristique. Autre cas, celui du Jura bernois, où la numérisation est en cours dans plusieurs salles uniques grâce au soutien de la loterie suisse alémanique.

«A Tramelan, on avait fait des réserves pour cela vu que cela fait dix ans qu’on nous parle de la numérisation. Mais les petites salles qui n’ont pas ces réserves se trouvent devant un choix difficile. Si nous avons pu équipé aussi notre salle de Tavannes, c’est uniquement grâce aux subventions», souligne Daniel Chaignat, administrateur du Cinématographe de Tramelan.

Pour lui, la Confédération devrait également entrer en matière, au nom de la diversité. «Les petites salles assurent une grande diversité au niveau de la distribution des films. Chaque semaine, on passe un film qui normalement nous rapporte de l’argent. Mais en parallèle, on passe toujours un autre film pour sa qualité», relève-t-il.

Soutenir la diversité

Du côté de la Confédération, ce problème figure «au top de l’agenda», selon Laurent Steiert, responsable du dossier à l’Office fédéral de la culture (OFC). D’après lui, «le risque de voir disparaître des petites salles est relativement réel». Un groupe de travail comprenant des représentants de l’OFC, des exploitants de cinéma et des distributeurs a donc été mis sur pied au début de l’année pour discuter d’une forme de soutien aux salles.

La marge de manœuvre de l’Etat est toutefois limitée. Pas question en effet que des subventions soient versées aux exploitants pour financer l’achat de matériel numérique. «La loi sur le cinéma est claire: on peut soutenir la diversité de l’offre et la qualité cinématographique, mais pas l’achat de matériel. C’est la même chose pour la production: on peut soutenir des projets, mais pas l’achat de caméras», détaille Laurent Steiert.

Une logique à laquelle ProCinéma adhère. «L’aide dépendra toujours de l’obligation pour les cinémas de respecter une certaine diversité. Il est clair que l’argent ne sera pas donné pour que les cinémas passent Avatar», avance René Gerber. A ses yeux, l’argument de la diversité culturelle devrait pouvoir mener à une solution d’ici le début de l’an prochain.

Et Xavier Pattaroni de renchérir: «En Suisse, la densité au niveau des salles de cinéma est extrême. C’est incomparable par rapport à ce qu’on trouve en France ou en Allemagne. Il est clair que cette densité a aussi un coût. Et puis, une forme d’aide étatique nous permettrait d’offrir une meilleure représentativité des différentes cinématographies et de brider certaines pressions des grandes compagnies ou des distributeurs américains.»

Fruster la création?

Au niveau fédéral, l’aide au cinéma sous toutes ses formes est d’ailleurs en discussion. Le deuxième paquet des régimes d’encouragement, qui arrive à échéance à fin 2010, sera remplacé par un troisième paquet. Actuellement en cours d’élaboration, celui-ci portera sur les années 2011 à 2015.

L’enveloppe globale ne devrait toutefois pas être augmentée. Dans le domaine du cinéma comme ailleurs, le réflexe au niveau politique est en effet de resserrer les cordons de la bourse. Dans ce contexte, les négociations avec la branche s’annoncent plutôt compliquées.

Comment faire passer un scénario qui verrait les subventions aux cinéastes et aux producteurs baisser un peu pour financer un geste indirect envers les exploitants de salles? «Le gâteau ne sera pas forcément plus grand et la Confédération n’est qu’un acteur parmi d’autres», avertit en tous cas Laurent Steiert. Pour sa part, il souhaite que tout la branche fasse un «effort de solidarité», seule solution selon lui pour voir ce dossier se clore sur le fameux «happy end» final.

Carole Wälti, swissinfo.ch

La Suisse compte 564 salles de cinéma, dont seules une septantaine sont aujourd’hui équipées de projecteurs numériques.

Le nombre de salles équipées pour la numérisation a doublé sur la seule année 2009.

Parmi ces salles, 150 à 180 d’entre elles sont exploitées par des indépendants ou des associations.

Seule une quinzaine de ces salles ont jusqu’ici fait l’investissement nécessaire pour l’équipement numérique.

Dans les 12 multiplexes de Suisse en revanche (8 salles et plus), la numérisation est plus avancée.

L’entrée de l’industrie du cinéma dans l’ère numérique est une (r)évolution technologique de taille.

D’un point de vue technique, cela signifie l’abandon des bobines de pellicule standard (35 mm) et de leurs appareils de projection, en usage dans les salles du monde entier.

Pour les distributeurs, le numérique permet de baisser les frais puisqu’une copie sur disque dur ou l’envoi d’un fichier via satellite coûte environ dix fois moins qu’une copie pellicule.

Pour les producteurs, il signifie également des économies puisque les coûts de trucage ou de montage peuvent être réduits. Si le tournage en numérique reste pour l’heure une exception, les principaux studios d’Hollywood ont déjà défini des standards de distribution.

Pour les exploitants de salles par contre, la numérisation implique le changement du matériel de projection, un investissement encore relativement coûteux et non standardisé aujourd’hui.

A terme, le numérique devrait aussi entraîner la disparition de certains métiers (projectionniste) et des problèmes pour visionner les films 35mm faisant partie du patrimoine cinématographique.

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