La voix de la Suisse dans le monde depuis 1935

Genève teste le curriculum vitae anonyme

Ne tenir compte que de la formation et de l'expérience... Keystone

Pour lutter contre la discrimination à l'embauche, le canton de Genève teste durant trois mois les CV anonymes, avec trois employeurs privés et publics.

Inspirée par la France, cette expérience cherche à sensibiliser le monde du travail confronté à des problèmes de racisme. Mais sa pertinence est contestée.

Pour mener ce projet pilote – une première en Suisse – le Bureau de l’intégration des étrangers du canton de Genève a signé une charte avec le distributeur Migros, plus gros employeur privé du canton, les Services industriels de Genève (SIG), fournisseur cantonal d’eau, de gaz et d’électricité et Vernier, deuxième commune du canton en nombre d’habitants.

Depuis lundi et pour une période test de trois mois, ces trois employeurs s’engagent à expérimenter le curriculum vitae anonyme.

Ainsi, le nom, l’adresse, l’âge, le sexe et la photo de l’aspirant n’apparaissent plus sur son dossier. Seules l’expérience et les compétences font la différence entre les candidats à l’embauche.

Il s’agit avant tout de lutter contre la ségrégation à l’égard des migrants, selon le bureau de l’intégration. Mais cette méthode cherche également à combattre les discriminations fondées sur l’âge, le sexe et la différence physique.

L’expérience française

Les responsables du projet ne s’en cachent pas: ils s’inspirent de l’expérience française. Le Sénat a en effet adopté le 4 mars dernier un amendement à la loi sur l’égalité des chances. Il stipule que « dans les entreprises de 50 salariés et plus, les informations communiquées par écrit par le candidat à l’emploi doivent être examinées dans des conditions préservant son anonymat.»

Confirmée à l’Assemblée nationale, la mesure doit encore faire l’objet d’un décret d’application par le Conseil d’Etat, l’instance qui examine la validité juridique d’un texte pour le gouvernement. En l’occurrence, celui-ci était contre cette manière de procédé.

Mais le parlement français a passé outre l’avis du gouvernement, estimant qu’une telle mesure contribuait à répondre à la crise des banlieues de décembre dernier.

Un problème émergent

«En Suisse, nous n’en sommes pas là. Mais le danger couve», estime Karl Grünberg. Le responsable d’ACOR (la section suisse de SOS racisme) pense en particulier aux milliers de jeunes originaires de l’ex-Yougoslavie qui arrivent actuellement sur le marché du travail et dont l’intégration s’avère parfois difficile, comme en témoigne diverses rixes quelquefois meurtrières apparues ces dernières années.

Karl Grünberg qui a participé au lancement du projet genevois espère également que l’initiative permettra de sensibiliser les partenaires sociaux, que se soit les entreprises et leur ressources humaines ou les syndicats, aux problèmes de discrimination et aux conflits entre employés d’origine différente identifiés par son association.

Un phénomène difficile à quantifier

De son coté, Antonio da Cunha salue la volonté d’ouvrir le débat sur ces questions sensibles. «Même si ces pratiques discriminatoires sont difficiles à quantifier, le phénomène est avéré en Suisse», confirme le président du Forum pour l’intégration des migrants (FIM).

«Ainsi, de nombreux jeunes venus d’Afrique du Nord ou du reste du continent ont toutes les peines du monde à trouver une place de stage», précise ce géographe.

Antonio da Cunha cite également la seule recherche effectuée en Suisse sur la question. Cette étude récente menée par l’Université de Neuchâtel montre que face à un Suisse, 30% des Turcs et 24% des albanophones sont discriminés dans les cantons romands. Un taux qui monte pour ces derniers à 59% en Suisse alémanique.

Les limites d’une mesure

Mais, à titre personnel, Antonio da Cunha doute de l’efficacité du CV anonyme. «Elle n’empêchera pas l’employeur xénophobe de rejeter un candidat à cause de son origine. Et ce lors de l’entretien d’embauche. Et il sera toujours difficile de démontrer que son choix est motivé par des considérations racistes.»

Une limite que ne contestent pas les responsables du projet genevois. Antonio da Cunha rappelle, de son coté, que les réflexions menées au sein du FIM ont débouché sur une vaste palette de mesures et de pistes. Mais le CV anonyme n’y figure pas.

Une chose est sûre. La discrimination à l’embauche est un problème émergent en Suisse, un pays dont la prospérité doit beaucoup à sa main d’œuvre étrangère.

Tous les milieux concernés reconnaissent également l’importance primordiale de l’emploi comme facteur d’intégration. Et une seule mesure, si louable soit-elle, ne suffira pas à résoudre le problème. De cela, tout le monde en convient.

swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

– L’opération CV anonyme a débuté lundi 27 mars pour une période test de 3 mois.

– Elle fait partie d’une série d’actions lancée dans le cadre d’une semaine d’action contre le racisme et les discriminations.

– Pour ce faire, Genève s’est associée aux villes de Bruxelles, Montréal et Québec.

– ACOR SOS racisme organise trois soirées de débats et de lecture au théâtre Saint-Gervais consacrées au racisme.

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision