
Entre gratitude, fierté et désillusions, l’immigration en Suisse par celles et ceux qui la vivent

Une qualité de vie jugée par la plupart excellente, des opportunités de carrière, mais aussi des difficultés d’intégration et des déceptions: les témoignages de personnes étrangères sur l’immigration en Suisse reflètent la diversité des expériences et les ambivalences qui jalonnent souvent les parcours migratoires.
Près d’un tiers de la population est immigrée en Suisse. C’est l’une des plus fortes proportions au monde. En 2024, 190’000 personnes étrangères sont venues s’installer dans le pays alpin. Mais elles ont aussi été nombreuses (plus de 95’000) à faire le voyage en sens inverse.
>> La plupart des personnes qui immigrent en Suisse ne s’établissent pas définitivement. L’article ci-dessous décrypte le phénomène de la migration de retour :

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Beaucoup de gens immigrent en Suisse, beaucoup en repartent aussi
Quelle est la réalité des personnes étrangères en Suisse? Quel regard portent-elles sur leur pays d’accueil? Pour le savoir, swissinfo.ch a lancé en avril dernier un appel à contributions à l’attention des personnes ayant immigré dans la Confédération.
Nous avons à ce jour reçu près d’une quarantaine de réponses. Sans prétendre être représentatifs, leurs témoignages permettent de se faire une idée des atouts, mais aussi des défauts de la Suisse aux yeux de personnes venues d’ailleurs. Ils attestent aussi du fait que la migration est rarement un long fleuve tranquille.
>> Tous les commentaires sont à lire ici:
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Un cadre de vie apprécié
Les personnes ayant immigré en Suisse sont en grande majorité satisfaites, voire très satisfaites, de l’avoir fait, selon le «Migration-Mobility SurveyLien externe». Cette enquête est menée à intervalles réguliers par le pôle de recherche sur la migration de l’Université de Neuchâtel nccr – on the move.
Dans l’échantillon reçu par Swissinfo, la moitié des commentaires sont très positifs, l’autre moitié plus critiques. Seule une minorité sont franchement négatifs.
Beaucoup de contributeurs et contributrices, y compris parmi les plus mitigés, s’accordent sur le fait que la Suisse offre un excellent cadre de vie: des services publics efficaces, une sécurité et une organisation jugée souvent meilleures que dans leur pays d’origine.
«Je suis venu de Slovénie pour travailler dans l’informatique, décrit Sloch. Le processus a été très fluide, avec une bureaucratie minimale (…). Les gens sont polis, tout est propre, l’infrastructure est bonne, les services publics rendent vraiment service aux gens, etc.»
«J’aime avant tout les paysages [de la Suisse] et le fait que tout fonctionne ici, témoigne pour sa part la Française Cocopomme, qui y vit depuis 35 ans. La plupart du temps on peut faire confiance aux gens, tout y est de qualité, je m’y sens en sécurité.»
Le «rêve suisse» se mérite
Le travail est le principal motif d’immigration en Suisse, avant le regroupement familial. La plupart des personnes qui témoignent sur Swissinfo sont elles aussi venues pour des raisons professionnelles.
Avec un marché de l’emploi dynamique et des salaires élevés, la Suisse peut donner l’image d’«un pays d’espoir où tout est possible», comme cela fut le cas pour Pignat.P. Originaire du Portugal, elle est arrivée «non qualifiée» en Suisse il y a près de onze ans et est «aujourd’hui qualifiée dans la santé». Elle ajoute: «La Suisse m’a donné un avenir»; «aujourd’hui j’ai un niveau de vie que je n’avais jamais imaginé avoir dans mon pays natal.»
Comme d’autres, elle relève néanmoins que le parcours n’a pas été facile. La langue constitue l’un des principaux obstacles à l’insertion sur le marché du travail. En Suisse, l’anglais suffit rarement. Il faut souvent maîtriser au moins une langue nationale (allemand, français ou italien).
Cela explique en partie que les ressortissants et ressortissantes des pays limitrophes constituent la plus grande partie des personnes qui immigrent en Suisse.
«Bien que (…) je me sois déjà inscrit à des cours intensifs d’allemand, les progrès prennent du temps», déplore ainsi Muhammad Ayub Ayubi, qui dit avoir quitté l’Afghanistan en 2022. Se présentant comme un médecin fort de 18 ans d’expérience, il assure «avoir du mal à trouver un emploi dans [son] domaine».
Selon lui, la Suisse pourrait mieux intégrer la main-d’œuvre étrangère qualifiée. Cela passerait notamment par une reconnaissance facilitée des qualifications internationales. Amaswiss, originaire du Ghana et établie en Suisse depuis 25 ans, dit s’être aussi heurtée à la non reconnaissance de ses diplômes. «J’ai dû tout recommencer de zéro», écrit-elle.
>> Dans cet article de 2021, nous avions abordé la question des restrictions s’appliquant à la main-d’œuvre provenant de pays extra-européens:

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Peu de soutien aux familles
Deux contributrices se montrent par ailleurs très critiques à l’égard de la faiblesse de la politique familiale en Suisse. Elles égratignent un système qui, d’après elles, rend la conciliation entre travail et famille difficile et pénalise surtout les femmes.
«Le système ne soutient pas les parents qui travaillent, en particulier les mères, dont on attend qu’elles travaillent à 100% et gèrent en même temps tout le reste», pointe PineTree, 37 ans, originaire de Lituanie. Cette mère d’une jeune enfant ajoute qu’«il est très difficile de travailler à plein temps quand on n’a pas de famille autour de soi». Elle déclare vouloir quitter cet été la Suisse, où elle vit depuis 2017.
Le commentaire de Diana N va dans le même sens. «Beaucoup de femmes qui ont des enfants (étrangères, du moins) aimeraient travailler ET être mères (…), mais hélas c’est très difficile à faire en Suisse à moins d’être très riche et de pouvoir engager une nounou à plein temps ou de payer une crèche un bras», déplore-t-elle. Et martèle: «Mettez des crèches à disposition et arrêtez de faire culpabiliser les femmes d’y mettre leur enfants.»
>> «La société tend à considérer que le rôle premier des femmes est d’être mères de famille et que leur salaire est un salaire d’appoint»: c’est ce que déclarait le sociologue Jean-Marie Le Goff dans cet article sur le partage encore inégal des tâches en Suisse:

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L’intégration, un processus long et complexe
Les témoignages relatifs à l’intégration dans la société en général sont très contrastés. La difficulté à nouer des relations sociales est régulièrement citée comme un point noir de la Suisse en tant que pays d’expatriation (lien en anglais).
Une partie des contributeurs et contributrices admettent ne pas être parvenus à se sentir chez eux et acceptés. C’est le cas de Paul S, originaire du Royaume-Uni. L’une des principales raisons pour lesquelles sa femme et lui ne prévoient pas de s’établir définitivement est qu’ils trouvent «difficile de faire partie de la communauté».
Le Canadien Rss1 raconte avoir découvert la Suisse en 1971, alors qu’il était diplomate. Il dit avoir été «initialement fasciné par le pays», avant de voir ses «espoirs balayés». «Après 50 ans passés à essayer de comprendre les Suisses, je conclus que le pays a des paysages magnifiques mais que (…) sa culture ne se plie pas au reste du monde.»
Plusieurs contributeurs et contributrices disent en outre avoir été confrontés au racisme. À l’exemple d’Eric Thee Great, qui se décrit comme «un homme noir originaire des États-Unis». Il dénonce un «racisme passif-agressif et une ostracisation» éprouvants, ainsi que le manque d’inclusion des personnes racisées dans certaines professions comme celles de la fonction publique.
Le message de Dave 456 suggère qu’il attribue les refus professionnels essuyés à son nom et sa couleur de peau. «Si vous êtes blanc, chrétien, que vous avez une culture similaire et que vous venez d’Allemagne ou de France, il vous sera plus facile de trouver un emploi en Suisse, écrit-il. Si vous avez un nom qui n’a pas une consonance européenne, si vous avez la peau plus foncée, (…) ce sera très difficile pour vous.»
Il précise toutefois apprécier «que les Suisses soient rigides dans ce domaine» et se dit heureux d’être en Suisse.
La fierté de devenir suisse
Plusieurs contributeurs et contributrices s’estimant à l’inverse bien intégrés mettent en avant leurs efforts pour embrasser la culture et les valeurs helvétiques. Sloch, de Slovénie, écrit par exemple: «Je suis bilingue en allemand, je pense que cela joue un grand rôle dans l’intégration (…). Mais je m’adapte aussi aux coutumes locales – en tant qu’étranger on doit savoir qu’on est un invité et qu’on doit respecter son hôte.»
João Zuzarte de S. Graça, originaire du Portugal, vit en Suisse depuis plus de 40 ans et raconte quant à lui: «Ce n’est pas facile, car la Suisse possède une culture propre, unique à l’échelle mondiale, et elle peut parfois se montrer un peu rigide. Mais seul celui qui ne le souhaite pas ou ne parvient pas à comprendre l’essence même de la société helvétique ne s’y intègre pas.»
«En tant qu’immigrée désireuse de s’intégrer, vous serez toujours seule, c’est-à-dire que que vous serez toujours l’immigrée dans un groupe de Suisses, convient pour sa part Kmar. L’intégration est un effort permanent, mais avec du temps et de la patience, cela vaut absolument la peine.»
Beaucoup voient la naturalisation comme un aboutissement récompensant leur investissement. «J’ai finalement décidé d’adopter la nationalité suisse, ce dont je suis fier», écrit ainsi João Zuzarte de S. Graça. «Je suis très fière de dire que j’ai obtenu ma nationalité suisse après avoir travaillé dur, souligne VMC, originaire du Canada. Je suis très reconnaissante pour ma vie ici et je me considère très chanceuse de pouvoir appeler la Suisse ‘ma maison’.»
Le fait que la naturalisation soit associée au succès de l’intégration explique sûrement pourquoi certaines personnes peuvent vivre la difficulté du processus comme un rejet, à l’image de BDAM, d’origine espagnole et arrivé en Suisse à l’âge de 3 ans, il y a 37 ans.
«J’ai fait toute ma scolarité en Suisse romande. Je ne connais rien d’autre (…). Pourtant, on me dit que pour obtenir la nationalité suisse, je dois suivre une procédure administrative lourde et payer une somme conséquente. Honnêtement, c’est vexant. (…) On n’a pas vraiment l’impression que la Confédération ait envie de nous garder», explique-t-il.
>> La nationalité suisse est connue pour être l’une des plus difficiles à obtenir, comme l’explique cet article:

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Aussi une question de point de vue
Ces témoignages montrent que chaque expérience de migration est unique, souvent ambivalente. Le vécu de réussite ou d’échec est influencé par une multitude de facteurs: la situation personnelle, le lieu d’où l’on vient – et l’image qu’on en a -, celui où l’on s’installe, le temps passé, les affects…
Le récit de l’Américain JoStoUSA, qui a immigré fin 2022 avec sa femme suisse, en est un bon résumé. «On m’avait prévenu que les expériences interculturelles s’accompagnent souvent d’une vision extrêmement positive du nouveau pays, ainsi que d’une critique sévère du pays d’origine, et qu’avec le temps, cela finit souvent par s’inverser», explique-t-il.
Il conclut: «J’ai quitté une patrie formidable, avec ses avantages et ses inconvénients, et j’ai trouvé un nouveau pays qui présente aussi [des avantages et des inconvénients] (…). Je choisis de me focaliser sur le positif, sans nier que le négatif existe.»
>> Les principaux chiffres sur le sujet des étrangers qui quittent la Suisse dans notre vidéo:
Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg.

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