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À l’ONU, l’examen périodique de la Chine met sous pression les pays du Sud

Manifestation à Genève
Des Ouïghours et des Tibétains manifestent devant les Nations unies à Genève lors du dernier Examen périodique universel de la Chine par le Conseil des droits de l'homme, en 2018. © Keystone / Salvatore Di Nolfi

Alors que la communauté internationale examine le bilan en matière de droits humains de la Chine, les ONG espèrent que les États, en particulier du Sud, se réfèrent au controversé rapport de l’ONU sur les violations au Xinjiang.

La Chine se soumet pour la quatrième fois à l’Examen périodique universel (EPU) de l’ONU, un processus par lequel son bilan en matière de droits humains est examiné par le reste des membres des Nations unies au sein du Conseil des droits de l’homme, à Genève. Cet examen, qui a lieu environ tous les cinq ans, est le seul mécanisme garantissant que les pratiques de chaque pays en matière de droits humains sont régulièrement évaluées par la communauté internationale.

Pendant cet examen, jusqu’au 2 février, les 193 États membres de l’ONU ont l’occasion de faire part aux autorités chinoises de leurs recommandations quant aux progrès à réaliser. Toutefois, celles-ci ne sont pas contraignantes et Pékin est libre de les prendre en compte ou non.

Beaucoup de choses ont changé depuis le dernier examen de la Chine en 2018. Durant les cinq dernières années, Pékin a dû faire face aux critiques de l’ONU, d’experts indépendants et des ONG portant sur ses politiques répressives au Tibet, à Hong Kong et dans la région du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine.

«L’EPU va être un test clé et une prise de température des préoccupations mondiales concernant les droits humains en Chine, et en particulier dans la région ouïghoure», déclare Raphaël Viana David, responsable des programmes pour la Chine au Service international pour les droits de l’homme (SIDH), une ONG genevoise.

Il fait référence à la minorité musulmane du Xinjiang, victime de graves violations. Des abus documentés dans un rapport très médiatisé de l’ONU. Celui-ci avait été publié en août 2022, seulement quelques minutes avant que l’ancienne cheffe des droits humains de l’ONU, Michelle Bachelet, ne quitte ses fonctions.

Le rapport avait longtemps été retardé, la Haute-Commissaire ayant dû faire face à la pression de pays – principalement la Chine – qui s’opposaient au rapport et d’autres États qui en demandaient la publication. Le rapport conclut que le traitement réservé par Pékin à la minorité ouïghoure pourrait constituer un «crime contre l’humanité». Ce document, que les diplomates chinois qualifient d’«illégal et d’invalide», n’a jamais fait l’objet d’un débat officiel au sein des organes multilatéraux onusiens.

«Il est important que les États membres de l’ONU fassent écho aux recommandations du rapport dans le cadre de l’EPU, car cela rappelle à la communauté internationale que ce rapport est non seulement important, mais aussi légitime, comme tout document émanant d’un organe de l’ONU», souligne Raphaël Viana David.

Il y a deux ans, un groupe de démocraties, pour la plupart développées, avait tenté d’organiser une discussion sur le rapport au Conseil des droits de l’homme. Mais à l’issue d’un vote serré, l’organe qui compte 47 membres s’y était opposé.

Influence politique

Certains analystes estiment que le contexte mondial a évolué. La Chine apparaît en position de force à l’aube de son quatrième cycle d’EPU. Cela lui permet de faire taire les critiques, notamment de la part des pays du Sud, qui entretiennent des liens économiques étroits avec la Chine – notamment dans le cadre de l’initiative des «Nouvelles routes de la soie» – et qui craignent donc qu’une confrontation à l’ONU ne nuise à leurs relations bilatérales.

«La puissance et l’influence de la Chine se sont considérablement accrues ces dernières années», déclare Marc Limon, directeur de l’Universal Rights Group (URG), un groupe de réflexion basé à Genève. Il estime que Pékin a «gagné les cœurs et les esprits» de certaines démocraties africaines, latino-américaines et même occidentales en s’éloignant d’une «stratégie très défensive» pour se repositionner comme «un acteur très positif et constructif».

Au Conseil des droits de l’homme, cela s’est traduit, par exemple, par l’abandon de la Chine d’une résolution sur le colonialisme, qui visait des pays tels que la France et le Royaume-Uni, afin de faire passer une résolution moins conflictuelle sur l’inégalité.

Entre-temps, la guerre au Moyen-Orient a mis en lumière la politique de deux poids, deux mesures que certains pays occidentaux appliquent en matière de droits humains. «La colère est grande dans les pays du Sud à ce sujet, ainsi que sur d’autres questions telles que les réactions aux incidents de Corans brûlés dans le nord de l’Europe», explique Marc Limon. Selon lui, la Chine semble forte à l’approche de l’EPU, par rapport à ses adversaires géopolitiques qui paraissent «relativement faibles».

Les ONG espèrent néanmoins que les États exprimeront leurs préoccupations quant aux principales conclusions du rapport onusien sur le Xinjiang et formuleront des recommandations pertinentes.

«Le gouvernement chinois veut présenter l’EPU comme un processus dans lequel soit on le soutient, soit on l’affronte. Mais ce n’est pas la bonne façon de voir les choses. L’EPU a précisément été créé pour remédier aux phénomènes de polarisation et de politisation», explique Raphaël Viana David.

L’agence ReutersLien externe rapportait lundi que Pékin avait fait pression sur les pays non occidentaux pour qu’ils fassent l’éloge de son bilan en matière de droits humains, notamment par le biais de mémos envoyés à des diplomates à Genève par la mission chinoise auprès de l’ONU.

L’EPU peut-il conduire au changement?

Les recommandations formulées dans le cadre de l’EPU d’un pays conduisent-elles réellement à des changements politiques? «Si le gouvernement chinois n’est pas disposé à reconnaître qu’il y a un problème, il ne sera pas un acteur constructif et ne mettra pas en œuvre les recommandations qui conduiraient à un changement», estime Raphaël Viana David.

À l’issue de son EPU en 2018, Pékin a accepté 284 des 346 recommandations qui lui ont été adressées. Dans son discours au Conseil des droits de l’homme, Le Yucheng, ministre chinois des Affaires étrangères à l’époque, a qualifié le processus de «fluide et fructueux».

Or personne ne contrôle les recommandations des États membres, ce qui signifie que les pays sont libres de suggérer toutes les mesures qu’ils souhaitent. L’EPU est donc aussi l’occasion pour les pays de briller sur la scène internationale.

Par exemple, en 2018, la Hongrie, un pays proche de Pékin, a recommandé que la Chine «continue de protéger les droits des groupes vulnérables», sans préciser lesquels. L’Iran, un autre allié, a suggéré que la Chine «protège son système politique et la voie de développement choisie par son propre peuple», faisant écho aux déclarations du Parti communiste chinois au pouvoir.

«Les pays devraient fonder leurs recommandations sur le vaste éventail de documents publiés par les organes de l’ONU chargés des droits humains», explique Raphaël Viana David. «Mais ce n’est pas toujours le cas. Certains pays utilisent leur capital politique pour mobiliser d’autres pays et parfois les contraindre à émettre des recommandations favorables.»

Mais si la Chine perçoit qu’elle manque de soutien sur la scène internationale, elle pourrait néanmoins ressentir une pression pour améliorer ses politiques de droits humains. «Cela dépendra de la robustesse des recommandations des gouvernements occidentaux, mais aussi de celles émises par les gouvernements des pays du Sud», ajoute Raphaël Viana David.

Le refus de la Chine de mettre en œuvre les recommandations reçues pourrait également mettre en évidence son manque de coopération avec les mécanismes onusiens. «Cet ensemble de preuves peut à son tour influencer les votes du Conseil des droits de l’homme concernant des enquêtes dans la région ouïghoure et sur la pertinence de la participation de la Chine au conseil», estiment Renee Xia et William Nee du Network of Chinese Human Rights Defenders (CHRD), une ONG basée à Washington DC., dans The DiplomatLien externe.

Marc Limon reconnaît qu’il y a «de vraies questions sur l’efficacité [de l’EPU] aujourd’hui». Lors des examens précédents, les recommandations portaient sur des mesures plus faciles à mettre en œuvre. Aujourd’hui, les suggestions impliquent des changements que les pays ne veulent pas opérer. «L’EPU n’est pas dénué de sens, mais de plus en plus, lorsqu’il s’agit de pays importants comme la Chine ou les États-Unis, il devient un peu un théâtre politique», ajoute-t-il.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin

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