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Conseil de l’Europe: les attentes des ONG suisses

La Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. Sa réforme est le gros morceau à l'agenda du Conseil de l'Europe. Reuters

Présidente pour six mois du Conseil de l'Europe, la Suisse pourrait en profiter pour adopter sa charte sociale et la Convention contre la traite des êtres humains. Amnesty International attend aussi une initiative contre les violences faites aux femmes.

«Si elle veut bien se remuer un peu, la Suisse pourrait faire avancer les choses dans plusieurs domaines», lâche tout de go Alain Bovard, juriste à la section suisse d’Amnesty.

L’ONG qui milite pour les droits de l’homme a écrit au Gouvernement pour lui préciser ses attentes. Il s’agit d’abord de ratifier enfin la Charte sociale européenne révisée, ce que la Suisse sera un des derniers Etats du continent à faire, après la Russie et tous les pays entrés au Conseil de l’Europe à la suite de l’éclatement du bloc communiste.

«Ce serait une bonne occasion de montrer notre attachement aux droits humains, une action spectaculaire mais néanmoins utile, et pas seulement pour la frime», commente Alain Bovard.

Réticences politiques

La première mouture de la Charte remonte au temps où le continent était coupé en deux par le Rideau de Fer. A l’époque, la Suisse avait refusé de la ratifier parce qu’elle aurait condamné le fameux statut des travailleurs saisonniers.

Mais celui-ci a désormais disparu et le document révisé tient compte des réalité d’une Europe où règne la libre-circulation. «La Charte ne contient pratiquement rien qui ne soit déjà dans la législation suisse, explique le juriste d’Amnesty. Sa ratification ne ferait que valider les pratiques existantes».

Alors pourquoi ces réticences ? «C’est politique, juge Alain Bovard. Lorsque l’on parle de droits économiques et sociaux, la droite du Parlement voit déjà les questions d’égalité de salaires qui pourraient revenir sur la table et qui lui font peur».

Montrer l’exemple

Autre texte émanant du Conseil de l’Europe que le pays qui va le présider n’a toujours pas ratifié: la Convention contre la traite des êtres humains.

«C’est complètement d’actualité, la Suisse a été très active dans les négociations qui ont abouti à la conclusion de cette convention. Et maintenant, on se renvoie la balle entre cantons et Confédération», note Alain Bovard.

S’agissant de questions qui touchent aux tâches de police, le système fédéral de la Suisse complique effectivement les choses. Il n’empêche: Amnesty souhaiterait au moins voir le Gouvernement central lancer la procédure de ratification durant son semestre de présidence du Conseil.

Personne pour autant ne peut l’y forcer. Tout au plus verra-t-on peut-être l’un ou l’autre député de l’Assemblée parlementaire venir chatouiller les Suisses, en leur faisant remarquer que le pays qui préside le Conseil de l’Europe devrait au moins en avoir ratifié les principaux textes.

«C’est le genre de choses qui peut arriver, juge Alain Bovard. Mais à mon avis, ce ne sera pas un lobbying frénétique».

Protéger les femmes

Outre la ratification de ces deux textes – affaires internes avant tout -, Amnesty attend également de la présidence suisse qu’elle s’engage au niveau continental pour la création d’une Convention européenne contre la violence envers les femmes.

«Le processus est déjà à moitié lancé et la Suisse a soutenu plus ou moins mollement ce qui s’est fait jusqu’ici, note Alain Bovard. On aimerait bien qu’elle se positionne un peu plus clairement. En tant que présidente, elle a les moyens de mettre des sujets à l’ordre du jour, ne serait-ce que cela.»

Si le sujet est aussi important aux yeux d’Amnesty, c’est que la violence envers les femmes ne se limite pas aux violences domestiques.

«Il y a aussi toutes les violences qui ne sont pas physiques, et même des crimes d’honneur ou des mutilations sexuelles qui sont commis ici, détaille le juriste. Sans oublier qu’il y a eu récemment des conflits en Europe et que rien ne garantit qu’ils ne reviennent pas un jour».

La Cour débordée

Reste ce qui devrait être le gros morceau de ces six mois de présidence suisse: la réforme de la Cour européenne des droits de l’homme.

Une Cour victime de son succès. De 5000 par an dans les années 90, les plaintes sont désormais dix fois plus nombreuses. L’an dernier, les juges n’ont pu en traiter que 32’000, alors que 120’000 sont en attente d’examen, certaines depuis des années.

Face à cet engorgement, le Conseil de l’Europe a adopté une réforme qui devrait simplifier les procédures. Problème: la Russie, qui est un des cinq plus gros contributeurs au budget de l’institution n’a toujours pas ratifié le texte. Son parlement s’y refuse.

Faire plier la Russie

Car la Cour de Strasbourg a de quoi agacer Moscou. Un quart des requêtes qui y sont présentées visent l’Etat russe, qui se voit régulièrement condamné, notamment dans des affaires de disparitions en Tchétchénie.

«C’est juste par esprit de vengeance que la Douma ne veut pas ratifier ce texte, juge Alain Bovard.

Le juriste d’Amnesty n’en est pas moins relativement optimiste: si le poids de la Suisse ne suffira pas à faire plier Moscou (malgré les bonnes relations affichées désormais entre les deux pays), Berne peut profiter de sa présidence pour pousser d’autres Etats à faire pression sur la Russie.

Mais quoi qu’il en soit, cette réforme ne suffira pas à désengorger la Cour. C’est pourquoi la Suisse a déjà prévu une conférence ministérielle en février à Interlaken pour discuter de la prochaine.

Unique au monde

«Il s’agit de trouver des mécanismes pour limiter le nombre de dossiers, par exemple en se basant sur des décisions-pilote, qui vaudraient pour tous les cas similaires. Il faut également simplifier les procédures, mais en aucun cas limiter l’accès à la Cour», explique Alain Bovard.

Pas question donc pour Amnesty d’instaurer un tri des demandes. L’ONG tient particulièrement au maintien de cet instrument unique au monde, qui offre à tout citoyen du continent (et même aux sans-papiers) un ultime recours lorsque tous les échelons de la justice nationale ont été épuisés.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch

Le Conseil de l’Europe, dont la Suisse prend le 18 novembre la présidence tournante pour six mois, est la plus ancienne institution du continent. Fondé en 1949, il est donc antérieur à l’Union européenne (UE, anciennement Communauté européenne), qui a elle aussi son Conseil.

47 pays font partie du Conseil de l’Europe, soit tout le continent, de l’Atlantique à l’Oural, et même au-delà, puisque la Russie y est également. Ne manquent à ce jour que le Belarus, le Kosovo et le Vatican.

Les droits de l’homme sont le souci premier du Conseil, dont un des textes fondateurs est la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, entrée en vigueur en 1953.

La Cour de Strasbourg, ou Cour européenne des droits de l’homme, est chargée de l’application de ce texte. Son budget de 60 millions d’euros représente plus du quart des dépenses annuelles du Conseil de l’Europe et son fonctionnement mobilise 600 de ses 2000 fonctionnaires. C’est le plus grand tribunal international du monde, à ne pas confondre avec la Cour pénale internationale de La Haye.

Démocratie. Le Conseil de l’Europe s’occupe aussi de formation à la démocratie (il a été l’antichambre de l’UE pour plusieurs pays de l’Est) et de patrimoine européen. Il est dirigé par un Comité des ministres et géré par un secrétaire général. Son siège à Strasbourg abrite aussi une Assemblée de parlementaires nationaux, qui font des rapports reconnus (comme ceux du Tessinois Dick Marty sur Guantánamo ou les prisons secrètes de la CIA) et un Congrès des pouvoirs locaux.

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