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La Belgique ne doit pas rester frileuse

Alors que la crise balaie la planète, swissinfo recueille en cette fin d'année les témoignages - constats, analyses et espoirs - de Suisses expatriés sur les cinq continents. Aujourd'hui, Raphaël Thiémard, créateur de sites internet et écologiste pratiquant à Neufchâteau en Belgique.

swissinfo: Votre cadre de vie en quelques mots…

Raphaël Thiémard: Neufchâteau est une petite ville de la province de Luxembourg, une région de collines et de forêts, relativement peu peuplée, puisqu’elle représente 20% du territoire de la Belgique et n’abrite que 3% de sa population. Ça n’a donc pas grand-chose à voir avec le «plat pays» que chante Brel.

Nous vivons dans la première maison passive construite en Wallonie, en 2006. C’est une maison conçue de manière à pouvoir se passer d’un système de chauffage, sans renoncer au confort.

swissinfo: La crise fait la une des journaux depuis des mois. Pouvez-vous en observer les effets concrets dans la région où vous habitez?

R.T.: Ici, les gens sont un peu inquiets, parce qu’il y a beaucoup d’emplois qui sont fournis par la place financière du Grand Duché du Luxembourg, tout proche. Mais pour le moment, il n’y a pas d’effets directs, pas de licenciements, ça a l’air de tenir le coup.

Mais il y a d’autres régions qui sont plus directement touchées. La sidérurgie vient d’annoncer 800 suppressions d’emplois et ce n’est pas fini. Il y a aussi l’automobile, parce qu’en Belgique, on assemble beaucoup de voitures pour des grandes marques, et il y a actuellement plusieurs usines qui sont complètement à l’arrêt pour plusieurs semaines.

swissinfo: Et dans l’Internet, qui est votre secteur d’activité?

R.T.: On dit que les grosses entreprises ont tendance à différer leurs commandes. Moi, je ne suis pas directement exposé parce que je travaille beaucoup plus avec des PME et c’est un secteur où on était déjà très habitués à devoir serrer nos budgets et à être très efficaces.

swissinfo: «Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça» disait Coluche. Votre réaction?

R.T.: La citation a gardé toute son actualité, et les choses auraient même tendance à empirer. Il y a des indicateurs qui montrent que l’écart s’est creusé entre les salaires des plus riches et ceux des plus pauvres ici en Europe. Et il se creuse aussi entre pays riches et pays pauvres.

Donc, ce fossé s’agrandit. Alors, on peut toujours se pencher dessus et en mesurer la profondeur, mais il y a un moment où quelque chose va craquer, et je pense qu’il serait grand temps d’essayer de le combler, à tous les niveaux.

swissinfo: Etes-vous plutôt du genre à penser que le monde s’enfonce dans le gouffre ou qu’une crise n’est qu’un mauvais moment à passer?

R.T.: Je pense que c’est un mauvais moment à passer. Mais que ce n’est pas pour ensuite revenir à «la normale». Je ne pense pas que le monde va tomber dans un gouffre – pas encore cette fois-ci -, mais il n’y aura pas un moment donné où tout va redémarrer comme avant.

Il faudra de nouveaux équilibres, un peu à tous les niveaux. Et il n’y a qu’au moment où ces nouveaux équilibres pourront se mettre en place qu’on va en sortir.

swissinfo: Donc, selon vous, de cette crise pourrait émerger un monde plus sain?

R.T.: Effectivement. Et je commence à le voir concrètement. Il y a un retour à l’économie réelle, à l’économie de l’utile par exemple. Je le vois dans ma région, on parle de consommer à nouveau plus local, de refaire tourner les entreprises locales, de relocaliser l’économie en quelque sorte…

Il y a des gens qui faisaient des placements financiers et qui se disent maintenant que le meilleur placement serait de soutenir les entreprises de la région. Et cela me fait espérer. Parce que finalement, c’est un système pourri qui s’effondre, mais ça peut permettre de rediriger des moyens vers une économie qui soit plus saine.

swissinfo: Et pour cela, on devra compter sur la «main invisible du marché», ou est-ce que l’Etat devra donner impulsions et coups de pouce?

R.T.: Pour le moment, on ne peut pas dire que la main invisible du marché inspire confiance. Donc il est clair que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Mais les citoyens ont aussi un rôle à jouer.

La semaine passée, des étudiants de l’Université catholique de Louvain ont questionné des gens pour savoir si ça les intéresserait de faire des placements financiers non éthiques – soit de l’armement ou des choses comme ça -, mais qui rapportent beaucoup. Et pratiquement la moitié des gens ont dit «oui»…

Cela montre qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour conscientiser les gens sur le fait que consommer, épargner ou investir, ce sont des gestes qui ont une influence directe sur le monde qui nous entoure.

swissinfo: Le monde politico-économique vit depuis longtemps dans la théorie et le culte de la «croissance». Quand on annonce de la croissance, c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour vous?

R.T.: Ça dépend, mais pour le moment, la croissance, c’est quand même aussi la croissance des problèmes. Il y a un certain aveuglement par rapport à la croissance. On s’est mis dans l’idée ces dernières décennies que le système économique avait un moteur qui s’appelait la croissance et que c’était normal.

C’est un peu comme si on volait dans un avion à 300 km/h. On dit au pilote qu’il serait bon de voler à 150 et il nous répond que c’est impossible, parce qu’à moins de 300, l’avion s’écrase. C’est quand même un gros problème dans un monde dont les ressources sont limitées, et où la croissance n’est donc pas soutenable à terme.

swissinfo: De quoi le pays où vous vivez a-t-il le plus besoin, selon vous, pour sortir de ses difficultés actuelles?

R.T.: Evidemment, je n’ai pas toutes les réponses ni toutes les solutions, sinon, je serais en train de faire autre chose que ce que je fais…

Mais je pense qu’en Belgique, il y a encore des secteurs qui doivent se reconvertir. La sidérurgie par exemple est de toute façon sûrement vouée à disparaître à cause de la concurrence de la Chine ou de l’Inde. Donc là, il y a encore du travail, qui doit être impulsé notamment par les pouvoirs publics, pour que ces secteurs se reconvertissent en des secteurs à plus de valeur ajoutée ou plus d’avenir.

Et j’ai envie de citer une autre piste importante, c’est l’énorme chantier de l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments. En Belgique, l’isolation des bâtiments est au niveau qui est mesuré en Grèce ou en Espagne, alors que nous sommes au nord de l’Europe.

On a donc accumulé dans ce domaine un retard énorme. Et c’est justement un secteur où on peut créer de l’emploi avec relativement peu de technologie, puisque les solutions techniques sont connues. Et ce n’est pas forcément de l’emploi très qualifié, ce qui est intéressant pas rapport au réservoir de chômage que nous avons.

Se lancer dans ce chantier aurait aussi l’avantage de donner un coup de pouce au pouvoir d’achat des ménages, parce que qui dit isoler dit dépenser moins d’énergie, et évidemment de diminuer la contribution de la Belgique au dérèglement climatique.

Interview swissinfo, Marc-André Miserez

Né en 1968, il émigre en Belgique après ses études en agronomie, pour y suivre l’élue de son cœur. Il est aujourd’hui marié et père de deux enfants.

Ecologiste convaincu, il habite depuis 2006 avec sa famille dans la première maison passive de la Belgique francophone. En 2007, il s’est porté candidat pour les élections fédérales sur la liste des Verts de Fribourg, son canton d’origine. Il y a récolté 2251 voix, le meilleur score de tous les candidats de la 5e Suisse.

Au civil, Raphaël Thiémard travaille dans la communication sur Internet. Il a créé sa petite entreprise, qui réalise des sites pour les PME et le secteur associatif.

Au coeur de la province de Luxembourg (à ne pas confondre avec le Grand Duché voisin), au sud est de la Belgique, Neufchâteau est le bourg principal d’une commune qui regroupe 29 villages et près de 7000 habitants sur plus de 11’000 hectares.

Le paysage de cette région, incluse dans le massif des Ardennes, à cheval sur la France et la Belgique, est fait de collines et de vastes forêts, qui lui donnent un caractère très différent du reste du «plat pays».

La province fait partie de la Wallonie (Belgique francophone). C’est la plus grande du pays, mais aussi celle où la densité de population est la plus faible. Elle n’a pas de grande ville et nombre de ses habitants sont des frontaliers qui travaillent au Luxembourg.

En 2007, 7019 citoyens suisses étaient recensés en Belgique, parmi lesquels 4856 possèdent la double nationalité.

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