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«La démocratie brésilienne a gagné»

Le nouveau président brésilien fête sa victoire
Elu pour la troisième fois à la présidence, Lula a célébré sa victoire électorale à São Paulo, avec son épouse Rosangela Silva (à gauche) et ses fidèles. Keystone/AP Photo/Andre Penner

Malgré la division de la société et le grand fossé entre le nouveau président de gauche et la forte majorité de droite au Parlement, le vainqueur des élections, Luiz Inácio Lula da Silva, a les idées ainsi que la force de conviction pour aider le pays et la population à faire face aux grands problèmes. C’est ce qu’affirme la chercheuse brésilienne Letícia Vargas Bento de l’Université de Saint-Gall.

swissinfo.ch: Comment réagissez-vous à la très courte victoire de Lula à l’élection présidentielle?

Letícia Vargas Bento: Je suis heureuse pour le Brésil, car la victoire de Lula montre que notre démocratie résiste à de graves attaques. Ces derniers mois, Jair Bolsonaro a menacé le processus électoral, la Cour suprême, les ministres et le système démocratique dans son ensemble. Nous avons gagné – mais c’est surtout la démocratie brésilienne qui a gagné.

Il est tout de même surprenant de voir à quel point l’avance de Lula a fondu: alors qu’il avait encore six millions de voix d’avance au premier tour du 2 octobre, son avance n’était plus que de deux millions de voix lors du résultat final. Ces quatre dernières semaines, Bolsonaro a donc réussi à fortement mobiliser et attirer l’électorat.

Tête d une jeune femme bouclée et souriante
Letícia Vargas Bento zvg

Quelle était la priorité lors de ce changement de pouvoir: mettre fin au «bolsonarisme» et à ses excès? Ou renforcer la démocratie?

C’est un peu plus compliqué, car il ne s’agissait pas d’un vote sur des propositions politiques ou des programmes électoraux. Il s’agissait plutôt de savoir à quel camp les gens se sentaient appartenir. Ce qui était important, c’étaient donc les idées, les idéologies, les sentiments, les désirs et les instincts sur ce qui était bien ou mal pour le pays.

Après sa victoire, Lula a déclaré: «il n’y a pas deux Brésils, mais un seul pays, un seul peuple et une seule grande nation». Comment peut-il ou doit-il s’y prendre pour réconcilier une société divisée en deux?

Le challenger de gauche Lula da Silva a remporté de justesse le second tour de l’élection présidentielle brésilienne avec 50,9% des voix. Le titulaire sortant de l’ultra-droite, Jair Bolsonaro, a été battu par 49,1%.

Deux millions de voix ont fait la différence. L’élection au Brésil est historique à plus d’un titre.

Lula est le premier président à être élu pour un troisième mandat. Il est aussi le premier président à avoir été condamné lors d’un procès et à avoir fait de la prison, pour corruption.

De son côté, Bolsonaro est le premier président du Brésil à ne pas être réélu après un mandat de quatre ans.

La Suisse compte quelque 24’000 personnes détenant un passeport brésilien, qui ont dû se rendre à Genève ou Zurich pour participer à l’élection. Les résultats montrent que Lula est arrivé en tête par 53,5% des voix à Zurich et 50,5% à Genève.

Ce qui est sûr, c’est que cela va être très difficile pour lui. Mais beaucoup de gens qui ont voté pour Bolsonaro ne partagent pas son avis selon lequel Lula est la pire chose qui puisse arriver au pays. Si Lula suit les recettes de ses mandats précédents, l’avenir s’annonce bien. En effet, ses programmes ont toujours été très centrés sur les personnes et ont eu un impact positif sur leur vie: il a lutté contre la faim, la pauvreté et la destruction de l’environnement – les grands problèmes du Brésil – avec des idées nouvelles et originales. Il a également renforcé les relations internationales. En revanche, le gouvernement de Bolsonaro n’avait pas d’idées propres, mais reprenait beaucoup de choses des programmes de Lula.

Letícia Vargas Bento travaille au Centro Latinoamericano-Suizo de l’Université de St-Gall. Doctorante, elle s’intéresse plus particulièrement à l’impact des investissements au Brésil.

Auparavant, elle avait travaillé pour le gouvernement de l’Etat fédéral du Minas Gerais.  

Au Brésil, elle n’est membre d’aucun parti politique.

La division traverse même les plus hautes institutions: le nouveau président de gauche a face à lui un parlement où le parti de Bolsonaro est devenu la première force après le glissement à droite survenu lors des législatives le 2 octobre. Comment Lula peut-il s’y prendre pour gouverner?

C’est en effet là que réside la principale difficulté. Le nouveau Parlement compte davantage de partisans acharnés de Bolsonaro. Ils risquent de rendre plus difficile la mise en œuvre d’une partie du programme de Lula.

Mais malgré ces divisions, Lula, en tant que président, a les compétences pour faire passer les choses. Et nous ne devons pas l’oublier: c’est un excellent négociateur et diplomate, capable de forger habilement des alliances. Il est connu pour son talent à rallier à lui des personnes issues des camps les plus divers. Dans sa campagne actuelle, il a réuni des banquiers, des écologistes et des indigènes, ainsi que des personnes très fortunées appartenant à l’élite du pays.

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Comment interprétez-vous le silence de Bolsonaro, qui ne n’est toujours pas prononcé après l’annonce des résultats officiels?

De nombreuses théories circulent sur ce qui se passe actuellement ou non. Certains pensent qu’il prévoit quelque chose de similaire à ce que Donald Trump a fait le 6 janvier 2021 avec le Capitole. D’autres disent qu’il a l’intention de quitter le pays.

C’est une situation folle, car de très nombreuses personnes ont voté pour lui et mériteraient le respect pour cela. Maintenant, elles attendent simplement une déclaration ou un commentaire, simplement n’importe quoi de sa part.

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Le Brésil est la plus grande démocratie d’Amérique latine. La victoire de Lula pourrait-elle également être un appel au réveil pour les autres démocraties du continent, afin qu’elles s’engagent davantage en faveur des valeurs et des principes de la démocratie?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un signal de renforcement des démocraties. Toute la région était et est déjà très consciente du danger que représentent des hommes politiques comme Jair Bolsonaro pour la démocratie. Et bien sûr à cause de Donald Trump, car les États-Unis exercent encore une grande influence en Amérique du Sud. Des dangers similaires sont aussi apparus récemment en Colombie ou au Chili.

Mais je remarque que la plupart des pays d’Amérique du Sud sont actuellement dirigés par des présidents plutôt marqués à gauche. À l’exception peut-être de l’Uruguay, du Paraguay et de l’Équateur. Tous les autres pays présentent des perspectives similaires, plutôt à gauche. Cela pourrait avoir un effet très positif sur la coopération entre ces pays. Si nous regardons à nouveau les premiers mandats de Lula, il y a espoir que la région soit à nouveau plus unie, car les chefs d’État partagent davantage la compréhension des problèmes. Je suis optimiste, la victoire de Lula est bonne non seulement pour le Brésil, mais aussi pour toute l’Amérique latine.

Traduit de l’allemand par Olivier Pauchard

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