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De plus en plus d’actifs ont plusieurs emplois

Un emploi accessoire non soumis aux impôts? Les statistiques contredisent les préjugés. Marc Renaud

Sept actifs sur cent ont plus d’un emploi en Suisse. Cette moyenne est presque deux fois plus élevée que dans l’Union européenne. Une des raisons pourrait en être que le bénévolat est comptabilisé dans la statistique.

En 2009, 315’000 personnes, soit 7,4% de la population active de Suisse, et près de 10% des femmes qui travaillent, occupaient plus d’un emploi. C’est ce que révèle une enquête de l’Office fédéral de la statistique (OFS). La proportion des femmes «multi-employées» a ainsi doublée depuis 1991.

Autre élément frappant: la statistique suisse dans ce domaine est quasiment deux fois plus élevée que celle valant dans l’Union européenne (3,8%). En Italie, par exemple, le taux d’emplois multiples est officiellement de 1,5%. Seuls les pays nordiques comme la Norvège (8,7%) ou la Suède (8,1%) ont des taux plus élevés pour les hommes que la Suisse.

En outre, dans les pays scandinaves, les différences entre hommes et femmes sont faibles. Comparée aux pays de l’UE et de l’AELE, la Suisse enregistre en revanche le plus grand écart entre hommes et femmes, indique l’OFS.

Et le travail au noir?

La «multiactivité», selon le jargon officiel, évoque souvent des clichés tels que volonté de contourner les impôts et travail au noir. Il semblerait presque normal de ne pas déclarer des revenus accessoires, ou de moins de les déclarer moins qu’une activité principale, parce qu’ils sont peut-être limités dans le temps, qu’ils ont lieu dans un autre canton ou qu’ils génèrent de petites sommes.

Thomas Geiser, professeur de droit privé et de droit commercial à l’Université de St-Gall, rejette cette explication. Selon lui, la statistique officielle ne comprend pas le travail au noir. «Les données sont récoltées par l’Office fédéral de la statistique par téléphone. Les gens qui ont plusieurs emplois n’ont aucune raison de le cacher aussi longtemps qu’ils ne doivent pas craindre que ce type d’analyses ait des conséquences.»

Différences nord-sud

Est-ce que c’est aussi le cas dans d’autres pays? Le taux très faible de 1,5% en Italie par exemple ne cesse de surprendre. L’OFS utilise les normes du bureau des statistiques européennes pour rendre les résultats comparables. Mais Thomas Geiser ne peut pas dire si les Italiens répondent ouvertement.

A l’OFS, Thierry Murier, de la section travail et vie active, indique que, «si le deuxième emploi est un travail au noir, soit non soumis à impôts et à déductions sociales, il n’est pas étonnant que la personne concernée ne le cite pas. Le travail au noir n’est pas mesurable. Mais on doit l’intégrer dans l’interprétation.» En outre, étant donné les prix élevés de la vie et le bas niveau des salaires, les Européens du sud sont plus motivés à travailler chez plusieurs employeurs en parallèle ou même en même temps que leurs collègues du nord…

Niveau de formation déterminant

Selon Thomas Geiser, le système de milice suisse est également en cause. Lorsque quelqu’un exerce une fonction dans une association ou un conseil municipal, son travail apparaîtra aussi dans la statistique.

De plus, un tiers de toutes les personnes ayant plusieurs occupations professionnelles sont employées à plein temps. Chez les hommes, ce taux est même de deux tiers. Pour Thierry Murier, cette proportion est à mettre sur le compte du taux de qualification élevé de ces actifs. Les personnes dotées d’une grande flexibilité dans la répartition de leur travail auront souvent la volonté d’assumer d’autres charges.

C’est le cas dans certaines branches comme la médecine. «Un médecin aura encore, à côté de son travail en cabinet, un mandat d’enseignant, par exemple», explique le spécialiste de l’OFS. Ce taux de «multiactivité» chez les personnes très qualifiées est particulièrement fort chez les hommes. Chez les femmes en revanche, le taux s’élève entre 9 et 10%, quel que soit leur niveau de qualification.

Temps partiel ou plein temps

Seuls 7% des «multiactifs» disent avoir plus d’un emploi parce qu’ils n’ont pas pu trouver un poste à plein temps, précise l’OFS. En d’autres termes, près de 30% des personnes interrogées disent préférer un temps partiel pour pouvoir exercer une activité accessoire. Chez les femmes, les charges familiales sont souvent citées.

L’enquête de l’OFS montre aussi que la multiactivité n’est pas un phénomène passager. Près de la moitié des personnes ayant dit avoir plus d’un emploi en 2009 avaient le même deuxième poste cinq ans plus tôt. Les hommes sont davantage concernés que les femmes par cet aspect.

Enfin, dernier élément intéressant de l’étude, les emplois multiples sont, dans trois quarts des cas, exercés dans des domaines différents. Lorsque le travail principal a lieu dans des branches telles que l’industrie, la production d’eau et d’électricité, les activités financières ou les assurances, les transports et les communications, l’activité secondaire a le plus souvent lieu dans un autre domaine.

En revanche, conclut l’OFS, la branche la plus «fermée» est celle des services domestiques (la part des multiactifs y exerçant à la fois leur activité principale et secondaire dépasse 50%) suivie des branches de l’enseignement, de la santé et des activités sociales, de même que l’immobilier, l’informatique, la recherche et le développement.

Selon les syndicats, l’augmentation du nombre de personnes ayant plusieurs emplois est un signe négatif de l’évolution du marché du travail. En 2010, Travail.Suisse avait dénoncé le travail sur appel, les conditions de travail des «working poors» et «toujours plus d’activités professionnelles multiples».

Le syndicat se demandait si «la flexibilisation croissante des rapports de travail, l’ouverture du marché du travail et le taux de chômage élevé conduisent à une dégradation rampante des conditions de travail?» La proportion d’emplois menés dans des conditions précaires a augmenté de 3,3% entre 2003 et 2008, malgré la bonne conjoncture.

Les jeunes, les personnes peu qualifiées et les femmes sont particulièrement touchées. Travail.Suisse regrette aussi que les enquêtes sur la multiactivité n’abordent pas les revenus générés par ces emplois. Le syndicat estime que de nombreuses personnes prennent un second ou un troisième poste pour pouvoir améliorer leur salaire. 

En Suisse, les activités professionnelles non soumises à impôts ne relèvent pas, selon la loi, du travail au noir, explique Thomas Geiser, professeur à l’Université de St-Gall.

«En revanche, lorsqu’un étranger travaille sans autorisation ou lorsque les déductions sociales ne sont pas effectuées, l’activité est qualifiée de travail au noir», dit-il.

Lorsqu’une personne travaillant à plein temps accepte une autre occupation à l’insu de son employeur, le qualificatif de travail au noir peut aussi, partiellement, être appliqué.

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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