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Fin du verre d’eau gratuit dans les bistrots?

Contrairement à une croyance populaire répandue, aucune loi n'oblige les restaurateurs suisses à offrir un verre d'eau gratuit. Keystone

En Suisse comme ailleurs, la carafe ou le verre d'eau du robinet, généralement gratuits, sont en train de disparaître. Les restaurateurs veulent ainsi encourager le client à consommer plutôt de l'eau en bouteille, importante source de revenu pour eux.

Chacun en a fait l’expérience en Suisse ou ailleurs. Depuis quelques années, demander de l’eau dans un établissement public entraîne presque toujours la question «gazeuse ou pas gazeuse?» Factuelle à première vue, la question est aussi un message clair au client: «ce sera de l’eau en bouteille et ce ne sera pas gratuit.»

Il est certes toujours possible – si l’on ne craint pas de passer pour un radin aux yeux de ses convives, du serveur ou du client d’à côté – de réclamer de l’eau du robinet. Mais la probabilité de la gratuité sera incertaine et la joie du serveur ou de la serveuse limitée.

Une croyance populaire

De plus en plus d’établissements font en effet payer l’eau du robinet selon des modalités variables et diverses. Certains ne la facturent que si le client ne consomme pas une autre boisson payante. D’autres la facturent toujours, selon un montant forfaitaire. D’autres enfin pratiquent le tarif à la pièce: en Suisse entre 2,50 et 6 francs la carafe et 2 francs le verre d’eau.

Mais qu’en est-il alors – pour ce qui est de la Suisse – de la fameuse règle selon laquelle le tenancier d’un établissement public est tenu, de par la loi, de mettre à disposition de quiconque la feuille officielle du canton et d’offrir un verre d’eau.

Cette règle, pour ce qui est du verre d’eau, est un mythe. Ainsi selon le chef de la police du commerce du canton de Fribourg Alain Maeder, «c’est une croyance populaire» et la loi fribourgeoise ne prévoit rien en la matière. Comme d’ailleurs toutes les autres lois suisses. A l’exception notable de celle du Tessin, où le restaurateur «doit fournir gratuitement l’eau» lorsqu’il sert «un repas principal.»

Cela dit, l’établissement n’est pas entièrement libre car une Ordonnance fédérale l’oblige à afficher de manière «bien visible et aisément lisible» le prix à payer effectivement pour toute prestation.

Associations embarrassées

Cette disposition est rarement respectée pour l’eau du robinet. En prévision d’éventuels litiges avec des clients mécontents, les associations suisses de cafetiers et restaurateurs, nationales et cantonales, recommandent vivement à leurs membres de se montrer plus disciplinés en la matière.

En fait, les associations sont assez embarrassées. Toutes sont conscientes que c’est aussi grâce au boom incroyable, ces dernières années, de l’eau en bouteille non-gazeuse que beaucoup de cafés et restaurants assurent leur survie. Le retour à l’habitude de l’eau du robinet pourrait être une mauvaise nouvelle pour certains.

Les associations soulignent en outre que pour le restaurateur, servir de l’eau du robinet coûte: achat de carafes, vaisselle supplémentaire, travail en plus pour le personnel. Elles rappellent que dans certains pays, Italie notamment, un forfait «couverts» est payé pour ce genre de prestations.

Faire preuve de souplesse

«A la longue, un restaurateur ne peut pas se permettre d’offrir trop de prestations gratuites ou inférieures au prix coûtant», déclare Brigitte Meier, porte-parole de GastroSuisse, principale association de la branche.

Mais les associations savent aussi que la restauration est un art de vivre et que comme dans toute profession, la tradition, l’éthique et l’image de la branche jouent un rôle important.

Le temps où l’on apportait spontanément au client une carafe d’eau en signe d’accueil et de bienvenue est peut-être en voie de disparition. Mais à long terme, est-ce vraiment en faisant payer le moindre verre d’eau que l’on sauvera la profession? Bien des associations recommandent donc à leurs membres de faire preuve de souplesse et de penser aussi en termes de relations publiques.

Un débat mondial

Une chose en tout cas est certaine: le débat est mondial. La nouvelle pratique de faire payer l’eau du robinet s’est développée, avec des nuances, un peu partout et elle provoque des réactions.

Les restaurants chics et les maires de plusieurs grandes villes – dont San-Francisco, New-York, Londres et Venise – ont par exemple lancé une campagne pour encourager les consommateurs, et en particulier les clients des cafés et restaurants, à revenir à l’eau du robinet.

Une polémique qui est indissociable de la critique que suscite dans le monde entier l’augmentation faramineuse de la consommation d’eau en bouteille.

En Suisse, le député Jacques Neyrinck (démocrate-chrétien) a pour sa part déposé en septembre dernier une initiative parlementaire qui demande l’interdiction de commercialiser l’eau dans les bouteilles en PET et l’encouragement de la consommation d’eau du robinet.

swissinfo, Michel Walter

Toutes catégories confondues, les ventes mondiales d’eaux en bouteille ont plus que doublé ces dix dernières années.

Elles ont passé de 80,59 milliards de litres en 1997 à 188,77 milliards en 2007.

Elles pourraient même tripler d’ici 2012 (par rapport à 1997) si l’on en croit Global Industry Analysts, une des grandes agences mondiales de pronostics industriels.

L’augmentation a été particulièrement impressionnante ces cinq dernières années en Asie avec un taux de progression annuelle moyen de 17,5%.

Mais également au Mexique (+8,6%) et aux Etats-Unis (+8,8%).

L’augmentation concerne notamment la simple eau potable filtrée – aussi appelée «Perrier du pauvre» –, nouvelle mine d’or des sociétés Nestlé et Coca Cola.

Le leader mondial de la branche est incontestablement Nestlé.

Sa division «eaux» (Nestlé Waters), avec ses 72 marques (dont notamment Perrier, San Pellegrino, Vittel et Contrex), possède une centaine d’usines dans 38 pays et emploie 35’000 personnes.

Recettes en 2007: 10,4 milliards de francs.

Certaines organisations font néanmoins campagne pour que les consommateurs privilégient l’eau du robinet. C’est le cas de «London on Tap», soutenue notamment par l’actuel maire de Londres et par le service des eaux de la ville, «Thames Water».

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